Le jeudi 30 septembre 2004


C'est beau la vie
Pierre Foglia, La Presse

Si les médecins m'annonçaient demain que je suis atteint de la sclérose en plaques, ou plus vraisemblablement à mon âge, de la maladie d'Alzheimer, ou d'un cancer plus ou moins fulgurant, il est certain que je voudrais en finir.

Pas sûr que je le ferais.

Quand j'évoquais la chose à 30 ans, je n'hésitais pas une seconde. En sortant du cabinet du médecin, boum, bonsoir la compagnie. A 30 ans, il ne coûte rien d'envisager la mort, on sait bien qu'on est éternel. C'est différent passé 60, quand on se sent dévaler la pente à toute vitesse, et qu'en plus, un beau matin, un médecin vous annonce que vous n'avez même plus de frein à main. C'est sûr que je penserais à me jeter dans le précipice.

Pas sûr que je le ferais. Je n'ose pas ajouter par « manque de courage », j'aurais aussitôt sur le dos toutes les associations de handicapés du pays, tous les curés, sans parler de quelque chroniqueurs pour me faire la morale, pour me chanter c'est beau la viiiiie.

Parle pour toi.
Si moi je ne la trouve pas belle, la vie, avec le cancer du côlon, j'peux-tu me faire sauter sans que vous en fassiez un traité de philosophie ? Puis-je couper court sans que vous me prêtiez de faire partie d'un grand complot eugénique ?

Ce ne serait même pas un suicide dans la mesure où se suicider, c'est se soustraire à la vie. Je me sous-trairais, moi, à la maladie. Je ne vous dis pas que c'est bien, que c'est mal, je vous dis que c'est ma vie, ma souffrance.

Vous me dites que le courage, c'est d'affronter la maladie, pas de s'y soustraire ? C'est vrai aussi. Je connais une survivante -bonjour Valentine- qui me tire des larmes de bonheur chaque fois que je la vois. Je connais des combattants, qui montent à l'assaut de leur cancer et parfois le vainquent. Et je connais aussi le troupeau des terrorisés qui vacillent sans tomber, qui cherchent encore un peu d'air. Qui font encore un pas. Encore un jour.

Mais moi, je voudrais faire autrement. Parfaitement: moi, je. C'est terriblement personnel, ce truc-Ià. Ça ne regarde pas la société. C'est moi. C'est vous tout seul face à la mort. Moi, j'aimerais avoir LE DROIT d'en finir. On me dit que je donnerais alors le mauvais exemple. Que j'aurais l'air de suggérer aux autres sursitaires, faites-Ie donc aussi. Paraît-il que d'aucuns calculeraient que mon suicide assisté économiserait six mois de soins intensifs à la société, hé hé. Il paraît que le monde est plein de fils, de neveux, de cousins ingrats qui n'attendent que le moment d'aider au suicide de leurs parent séniles pour avoir l'héritage, ou tout simplement la paix. Ou pour faire de la place dans les hôpitaux.

J'entends ces peurs-Ià, diffuses, pas claires, mais j'entends surtout la morale qui les porte. Il y avait l'autre soir à la télé ce couple chrétien qui se félicitait d'avoir mis au monde un enfant handicapé (sachant qu'il allait naître handicapé). Je les ai trouvés admirables, comme sont souvent les gens habités par une foi sincère. Mais est-ce maparanoïa -très sensible sur le sujet -, est-ce l'enthousiasme pétaradant de la journaliste qui les présentait -il m'a semblé qu'ils faisaient la morale. Je me mets à la place de cette autre jeune femme qui, dans les mêmes circonstances, a choisi l'avortement thérapeutique, et qui regardait la télé ce soir-là: elle a dû se sentir un peu salope, et peut-être même un peu criminelle.

C'est ce qui me dérange dans toutes ces histoires: la morale. Pas la loi. La morale. Tous ces gens qui font la morale, même quand ils n'ont pas l'air de la faire. Par exemple, dans l'histoire du monsieur qui vient de se suicider, tous ces gens, des comités de ceci, des regroupements de cela, des conseils et des sociétés canadiennes de quelque chose, tous ces gens qui ont dit, Ah si on avait plus de soutien ! Plus d'aide ! Plus de services ! Ces choses-là n'arriveraient pas.

Mettons que j'ai le cancer de quelque chose. Il me reste six mois. Mettons que je trouve en moi la détermination de couper court à cette marche funèbre. Mis au courant et croyant bien faire, un proche me trouve du soutien. Un psy par exempie. Toc, toc, toc, bonjour, je suis le docteur Jean Ferrat. Le vent dans tes cheveux blonds/Le soleil à l'horizon/Quelques mots d'une chanson/Que c'est beau, c'est beau la viiiiiiiie...

Je le tue. Je vous jure, je le tue. Déjà, pas malade, je suis pas capable. T'as 10 secondes pour sortir Chose, après je tire. Neuf, 10, boum.

PARLANT DE HANDICAPÉS -
Les jeux paralympiques sont évidemment une glorieuse réponse à cette histoire de malades qui veulent en finir avec la vie. Rappelons que le Canada y a gagné 72 des 1539 médailles distribuées aux 4000 athlètes qui participaient à ces jeux. Une médaille par 2,3 athlètes.

IMPERTINENCES -Je n'écrirai pas son nom pour lui éviter de se faire niaiser par ses amis. Juste ses initiales. A. H. Comme la fille de Victor Hugo qui s'appelait Adèle. Adèle H. En passant, c'est le plus beau film d'Adjani, elle y est amoureuse d'un officier et le poursuit partout, même en Amérique, je crois que les scènes ont été tournées à Halifax, l'officier n'a rien à foutre de cette folle, c'est un film sur la folie et sur l'amour, le plus beau film d'Adjani, je le répète parce que cela ne se sait pas, un de ses premiers, après elle s'est beaucoup déshabillée et est devenue moins bandante, comme dans L'Été meurtrier, un film qui a l'air d'une pub sur le Viagra. Avant l'invention du Viagra, c'était comme ça, les femmes faisaient des films que les hommes allaient voir le lundi après-midi, au Rialto, avec une boîte de kleenex.

Qu'est-ce qu'on disait ? Ah oui ! cette jeune impertinente qui m'écrit.

Je m'appelle A, H. j'ai 15 ans, je vais au collège Jean.Eudes à Montréal, j'ai décidé de vous écrire, car pour un projet en histoire, mes deux compagnes et moi devons avoir un témoin historique et on m'a dit que vous aviez fait la seconde grande guerre. Accepteriez-vous de nous rencontrer à ce sujet ?
PS : Si le coeur vous en dit, nous pourrions aussi parler basket-ball car mes compagnes et moi nous jouons dans le juvénile 3A.

La seconde grande guerre, hein ? Comme ça, vous me prenez pour un grabataire ? O .K. One on one sur un panier. Quinze points. L'une après l'autre. Dix piastres du point de différence. Ca va vous coûter cher, les gamines.