Le mardi 5 octobre 2004


Vélo et ... chaise roulante
Pierre Foglia, La Presse

Coup de téléphone d'un ami dimanche soir : viens-tu d'écouter Toute le monde en parle ?
Non, je lis. Je suis en train de lire L.A. Confidentiel, l'enquête de ces deux journalistes sur Lance Armstrong. Je n'avais pas eu le temps avec les Jeux.
Pis ?
Pis c'est du bon journalisme d'enquête, mais le livre souffre d'avoir été vidé de sa substance avant même sa sortie, quand des hebdos comme L'Express en ont publié les « bonnes pages », qui, d'ailleurs, ne sont pas les bonnes justement.

T'as suivi les championnats du monde (de vélo) à Vérone, sur le Net ?
Pas vraiment. Je travaillais dans le jardin, après je suis allé rouler. Si j'ai bien lu, ces championnats ont été les plus plates de la décennie. Toute petite moyenne (38 km/h). 260 kilomètres, une montagne à escalader 18 fois, tout ça pour que ça finisse au sprint, avec des gars qui normalement passent pas des ponts de chemin de fer, comme O'Grady et Hondo. Ils se sont pogné le cul toute la journée. No show se désolaient les commentateurs de Cyclingnews.com... Et notre Charles Dionne national qui s'en va dire à l'arrivée que c'était une course incroyablement dure. C'est pas parce qu'il a fini avant-dernier à 28 minutes que c'était dur. Le nombre de fois que ce jeune homme peut se mettre un pied dans la bouche dans une saison ! La veille, il avait dit : « Ça va être la guerre » ! Ferme ta gueule. Fais ta course. Pis après tu te péteras les bretelles si tu finis pas à 28 minutes. Le pire, c'est que c'est un super bon coureur. Le meilleur qu'on ait vu ici depuis bien longtemps. Quelqu'un va-t-il finir par lui expliquer un peu la vie ?
As-tu des nouvelles de Jeanson ?
Aucune nouvelle. Mais n'était-elle pas aux championnats du monde ?
Tu sais très bien qu'elle n'y était pas.
Écoute, j'ai eu un doute quand j'ai vu que « nos » filles avaient encore raté la dernière échappée, je me suis dit peut-être que la Jeanson était là et que c'était peut-être de sa faute. Tu sais comment elle est sournoise, elle a peut-être ramené le peloton encore une fois...
T'en reviendras jamais, hein ?
Jamais. Ce qui s'est passé à Sydney, ou plutôt ce qui ne s'est pas passé, et le salissage organisé, et entretenu par la suite par une petite clique qui a fait de Jeanson une pestiférée dans le peloton bien avant les rumeurs de dopage, est une des pires écoeuranteries que j'ai vues dans le sport.

Je reviens à Tout le monde en parle, c'est pour ça que je t'appelais... y'avait Chantal Petitclerc... T'es pas sérieux ! Pas Chantal Petitclerc ! Quelle surprise !
Arrête de niaiser deux secondes. Elle a parlé de toi. C'est-à-dire que Guy A. Lepage lui a lu ce passage de ta chronique où tu dis que si on donne des médailles d'or aux cul-de-jatte, il faudrait bien donner aussi des prix Nobel aux cons. Elle ne s'est même pas fâchée. Elle a même dit qu'elle t'aime bien.
Moi aussi je l'aime bien. Cette fille-là m'a fait faire un bout de chemin. Mais je n'irai pas plus loin. Des jeux paralympiques, non. Un million et demie de catégories, et autant de médailles, non. Par contre, des épreuves en fauteuil roulant ouvertes aux non handicapés, dans le programme olympique régulier, oui.
Avec Chantal, on s'engueule gentiment tous les quatre ans, mais je suis sûrement un des journalistes qui la respectent le plus. Je veux dire qui la respectent vraiment, dans ce qu'elle est. Je vais te donner un exemple. Ce que je veux dire par vraiment. Quand j'ai entendu qu'elle avait battu le record du monde du 100 mètres, je n'ai pas dit comme l'autre espèce de tôton samedi matin : comme c'est merveilleux, vous êtes une lumière pour tous les handicapés de la terre. Cette journée-là, quand j'ai entendu pour la douzième fois à la radio que Chantal Petitclerc avait battu le record du monde du 100 mètres, j'ai dit en sacrant : y'en-a-tu un tabarnak qui va finir par la respecter pour vrai et nous donner son chrono !
Ben non. Il a fallu que j'aille voir sur le Net. 16 s 33.
(Pas un mot pour expliquer pourquoi sur les petites distances les chronos des chaises sont forcément beaucoup plus lents que ceux des athlètes debout. Rien sur la technique du départ. Rien sur le matériel. Titane ? Carbone ? Acier ? Rien sur ce qu'est la fille finalement. Chantal Petitclerc se définit comme une athlète, sa vie, c'est s'entraîner et performer : me semble que la moindre des politesses serait qu'on s'intéresse au résultat de son entraînement, non ? Et ce résultat ne se résume pas dans une médaïïye. Le résultat, c'est 16 s 33. Et 52 seconde au 400. Et 1 min 50 au 800. Et 3 min 26 au 1500.
Ça fait deux semaines que vous vous traînez à terre, que vous léchez les roues de sa chaise roulante, mais y'en n'a pas un qui lui a parlé de sport. Félicitations pour tes médaïïyes. Chinque médaïïyes, ché beaucoup de médaïïyes cha madame. T'es bonne !
Mai y'en a pas un qui a exploré ses performances. C'est pourtant ce qu'elle est : une performeuse. Elle n'est pas porte-parole des handicapés de la Haute Mauricie. C'est une athlète de niveau mondial. Y'a tout de même bien une limite à ne jamais parler de sport à une athlète de niveau mondial. Pas un qui a relevé que 3 min 26 au 1500, c'est exactement le record du monde d'El Guerrouj...

Si le meilleur film de l'année est l'oeuvre d'un réalisateur en chaise roulante, allez-vous aussi aller voir son film et en parler, ou allez-vous juste dire que c'est une bonne personne, qu'il a bien du mérite, qu'il a un beau sourire, qu'il est intelligent, et qu'on est bien fier de lui parce qu'il a gagné un Oscar ?

Pour revenir au sport, il y avait justement une question très sportive à poser à Chantal. Considérant qu'elle a gagné ses cinq médailles d'or au 100, au 200, au 400, au 800 et au 1500 mètres, la question est celle-ci : qu'est-ce que c'est que ce sport qui ne fait pas la différence entre le sprint et le demi-fond ? Je veux dire, si une même athlète peut remporter à la fois le 100 et le 1500, c'est peut-être que ce sport-là est plus près du vélo que de l'athlétisme et alors il faudrait calquer vos épreuves sur celles du vélo, kilomètre contre la montre, poursuite, et sprint. Pas cinq épreuves pour rien. Ça fera moins de médailles à la fin, mais ça fera plus sérieux.
Allez, je vous embrasse pareil belle madame, même si avec toutes ces breloques dans le cou, vous avez l'air d'une romanichelle qui dit la bonne aventure au coin de la rue. Ces jours-ci au coin des studios.