Le jeudi 7 octobre 2004


Le paysage
Pierre Foglia, La Presse

Samedi, LeBigot en a sorti une énorme qui a fâché à peu près tous les fidèles de son émission, du moins ses fidèles de mon coin de campagne. Des gens qui, habituellement, se reconnaissent dans ses opinions, dans son terroir, dans ses coups de gueule. Samedi, ceux-là sont tombés de haut quand LeBigot s'est élevé contre la rigueur du zonage agricole et a suggéré qu'on assouplisse la loi pour permettre à plus de gens de se bâtir en zone verte, ici un acre de roche, là un autre de mauvaise terre, envoye donc, ça dérange quoi ?

Il se trouve que dans la semaine, j'étais allé aux cèpes dans les Laurentides avec mon ami Giuseppe Marinoni. Oui, oui, celui qui fabrique des vélos. Oui, oui, on en a trouvé. Plein. Une dizaine de kilos. Je ne saurais vous dire où précisément, pas que veuille en faire un mystère, mais c'est la run à Peppe, pas la mienne. Dans le bout de Sainte-Agathe, Val-Morin, Val-David, Mont-Tremblant. Curieuse cueillette qui ne se fait pas au fond des bois comme chez moi, mais en parcourant des rangs très habités. Peppe investit le terrain des gens au pas de charge, comme s'il était le gars de l'Hydro. Il s'en va direct à la ligne de sapins qui sépare deux bungalows, ramasse une dizaine de cèpes sous les sapins, et hop on recommence un peu plus loin. On en a trouvé au pied des boîtes aux lettres, dans les haies, en tassant les poubelles, à la lisière de minuscules bosquets.

J'étais à la fois émerveillé parce qu'il n'y a pas plus beau, comme champignon, qu'un cèpe qui plastronne sur son talus, p'tit bonhomme sou son chapeau marron ; et à la fois écoeuré , parce qu'il n'y a pas plus déprimant que la banlieue en pleine campagne. Et les Laurentides, c'est la banlieue à la montagne. Chalets et bungalows tassés les uns sur les autres, nouveaux développements, nouveaux chemins partout. Mille pancartes annonçant des terrains à vendre. Le territoire bradé en lots. C'est ça que t'aimes, LeBigot ?

Si c'est si beau par chez moi -- le long de la frontière du Vermont -- c'est justement parce que ce n'est pas à vendre. Et tu ne peux pas changer ça un petit peu, je veux dire changer ça pour que ce soit à bâtir « juste un petit peu ». Dès lors que la porte sera entr'ouverte, les développeurs vont s'engouffrer. Va voir à Mont-Tremblant comme c'est beau, LeBigot.

Égoïste dis-tu ? Mais non. J'ai rien à perdre. Je peux foutre 10 bungalows dans mon champ. Mais la collectivité, elle, y perdra ce bonheur gratuit déguisé en géographie : le paysage.

Tout ça le même jour

Dans la seule journée de mardi, j'ai reçu deux courriels et un coup de téléphone universels, au sens où ils constituent un mode d'emploi qui pourrait s'intituler : comment faire chier le chroniqueur. Je vous détaille la chose.

Mode d'emploi pour me pomper

Vous m'écrivez une première fois pour me dire que vous n'êtes pas d'accord avec le contenu de ma chronique. Je vous réponds. Presque gentiment. En tout cas en portant un intérêt manifeste à vos arguments. Mes boss seraient fiers de moi. Civilisé. Interactif.

Vous me revenez une seconde fois. Mais oups ! Vous venez de changer de niveau de discussion. Ah ah Foglia ! J'ai réussi à te pomper ! L'objet de notre discussion est complètement évacué de ce second courriel, comme s'il n'avait jamais existé, tout ce qu'il en reste, c'est que vous avez réussi à me faire réagir. Hey, les boys, Foglia m'a répondu.

Je me sens cocu de vous avoir répondu. Je pensais que nous avions un échange. Je me retrouve piégé par un groupie de merde. Je suis effectivement pompé. Vous avez magnifiquement réussi. Je vous félicite.

Mode d'emploi pour me pousser au suicide

Vous m'écrivez pour m'accuser de collusion avec le pouvoir, ici il faut que je donne un exemple. Dans la chronique de samedi, je citais une dame atteinte de sclérose en plaques qui disait recevoir tous les services dont elle a besoin et remerciait même, nommément, le travailleur social qui s'occupe de son cas au CLSC où elle est rattachée.

Vous m'écrivez en grinçant, bravo Foglia, les services sociaux, les CLSC et le gouvernement doivent être bien fiers de toi. Je vous réponds sur le même ton que le travailleur social en question, c'est le chum de ma nièce et que c'est lui qui m'a demandé d'écrire cette histoire, parce qu'il vient de poser sa candidature pour devenir directeur du CLSC et que ça tomberait bien si je parlais de lui dans La Presse de samedi.

Vous me revenez une seconde fois. En mouton. Vous me remerciez infiniment de vous avoir répondu. Vous vous excusez, vous ne saviez pas pour ma nièce. Aucune ironie dans votre confusion. Les bras me tombent. Les yeux me ferment. Le front me cogne sur le clavier de l'ordinateur. Je lâche un cri de mort à travers la maison : Fiancée, oublie pas de faire écrire sur ma tombe, que vers la fin, j'étais tanné en sacrament.

Mode d'emploi pour me faire acheter un fusil

C'était le même jour au bureau. Le téléphone. Ici Berthe de la station 118.4 FM (ou 97.6 ou 102.3, je ne sais pas trop). Ici Berthe, est-ce que je peux vous demander ce que vous avez contre X ?
Qui parle ?
Elle se renomme. Je ne suis pas plus avancé. Je connais X évidemment puisque c'est le sujet de ma chronique du jour, mais loin de l'haïr, je lui rends hommage.
Suis-je en ondes ?
Non, m'assure la fille avant de revenir à la charge : « Ces statistiques que vous donnez, pourquoi ne pas les avoir publiées avant ? » Je n'ai aucune idée de quoi elle parle. Des statistiques ? Et tout d'un coup je flashe. Ce qu'elle appelle statistiques ce sont des chronos. Des records. De toute évidence le sport n'est pas son bag, or la chronique à laquelle elle réfère porte, précisément sur l'essence du sport. Elle aurait pu avoir un doute. Se faire confirmer. Tout simplement me poser la question : je suis pas très familière avec le sujet, que voulez-vous dire au juste ?
Mais non. La question était : qu'avez-vous contre X ?
J'ai rien contre X, madame. J'en ai contre les connes des radio privées qui ne savent pas lire, c'est bien pour ça qu'elles font de la radio d'ailleurs, y'a juste à causer.
Nouveau téléphone 10 minutes plus tard. La même. On vous a enregistré. Nous donnez-vous la permission de diffuser notre conversation ?
J'en ai aussi contre les putes.
Tout ça le même jour.
Hey boss, me semble que ça fait longtemps que je suis allé à Bagdad.