Le jeudi 21 octobre 2004


Rôti de porc à la japonaise
Pierre Foglia, La Presse

J'écoutais Maisonneuve qui n'est pas Maisonneuve cette semaine, à sa place un jeune homme très bien. Michel Pépin, bref, c'était sur les porcheries. Rien de neuf sur le fond. Le nouveau est dans la forme que prend le débat.

Sur le fond, c'est toujours la même industrie hyper polluante, surtout pollution au phosphore des nappes phréatiques qui alimentent les cours d'eau dans les régions où sont implantées les grandes porcheries. On a resserré les normes d'épandage, moins de lisier à l'acre, ce qui est très bien, mais ce faisant, on oblige les producteurs à étendre leurs lisiers sur des plus grandes surfaces, résultat, la solution est pire que le mal, on étend du lisier partout, même qu'on déboise pour faire de la place. Le Québec est tout doucement en train de se transformer en une immense soue à cochons.

Sur le fond encore, volonté très claire du gouvernement, des municipalités agricoles et bien entendu de l'UPA par sa très puissante Fédération des producteurs de porcs d'aller de l'avant. Rien de neuf, donc, sur le fond, développer, développer et encore développer.

Ce qui est neuf : le discours des producteurs, du gouvernement et des municipalités. Une formidable opération de relations publiques, dont le titre pourrait être « noyer le cochon », comme on dit « noyer le poisson », détourner l'attention. La levée prochaine du moratoire risque-t-elle de relancer l'implantation des méga porcheries ? Mais non, dit le gouvernement, vous allez voir, on va harmoniser tout ça dans le respect de la population.

Ben tiens, Chose. Sauf que le respect de la population sera bientôt assujetti à la bonne volonté des municipalités qui auront le pouvoir de gérer la production porcine (projet de loi 54). Et comme les municipalités sont à genoux devant les producteurs porcins, comme d'ailleurs devant n'importe producteur ou promoteur...

Au lieu de heurter le citoyen de front comme l'ancien discours qui se réclamait brutalement du droit de produire -- fermez vos gueules, les citadins --, le nouveau discours prétend l'éduquer, mais commence d'abord par le plaindre : on vous a mal renseigné, mon bon monsieur, il n'y a pas de méga porcheries au Québec, elles sont toutes aux États-Unis ; il n'y a pas de surproduction ; on a fait des progrès immenses du lisier et dans l'épandage, et la dernière en date, le lisier de porcs ne pollue pas ! Sauf par l'odeur ! Dixit M. Claude Corbeil, président de la fédération des producteurs de porcs : on est bien conscient que la principale pollution de l'industrie porcine, c'est l'odeur !

Voila qui met en confiance le citadin qui se dit, bon, enfin, ils (les producteurs de porcs) reconnaissent que ça pue. D'ailleurs, l'émission avait commencé par une question de l'animateur : qui veut habiter à côté d'une porcherie ? Pour un citadin, il n'est pas d'horreur plus bucolique que d'être voisin d'une porcherie.

Ai-je le nez moins délicat ? Au cours des 10 dernières années, j'ai habité à deux reprises à proximité d'une porcherie. Des odeurs ? Cela dépendait du vent. Rien d'inconfortable. Une odeur de campagne. Quelques jours par année, disons une dizaine, le cultivateur, mon voisin, fumait ses champs au lisier, et alors oui, ces jours-là, cela puait beaucoup. Désagrément passager, prix normal à payer pour habiter en plein champ.

Il y a deux sortes de pollution à la campagne. L'une qui dénature les sols et les rivières et défigure le paysage. Et l'autre qui fait du bruit. Je préfère mille fois avoir pour voisin une porcherie qu'une scierie par exemple, ou des séchoirs à grains qui ronflent 24 heures sur 24. Mais revenons à nos cochons, et à celui-là en particulier qui admettait une pollution par l'odeur qui n'existe pas, pour mieux taire celle qui nous empoisonne au phosphore, celle qui fait raser des forêts pour étendre du lisier, celle qui dénature la plus belle part du territoire.

Tout ça pour quoi ?
On vous répondra : pour une industrie qui crée des milliers d'emplois. Qui enrichit quelques dizaines de gros producteurs. Qui donne un débouché à notre production de grains et de moulée.
Curieusement, personne n'évoque jamais le cochon lui-même. C'est une industrie bien avant que d'être un rôti de porc. La bête est accessoire. One ne parle jamais de ce qu'il goûte. Sauf les porte-parole autorisés de l'industrie payés pour affirmer que le cochon du Québec est le meilleur du monde, la preuve, les Japonais n'en veulent pas d'autre.

Et les journalistes de le répéter jamais l'avoir demandé aux Japonais, bien sûr. En fait, tout ce que les Japonais demandent à notre cochon, c'est de n'être pas gras. Pour le reste ils le recouvrent de teriyaki et à la fin, notre cochon goûte la sauce soya, comme tut le reste au Japon.

Vous allez dire que j'invente la chose pour les besoins de ma chronique, mais le même soir, ma fiancée faisait cuire un rôti de porc pour le souper. Rôti acheté au IGA-Extra de Cowansville. Belle allure quand elle l'a déballé sur le comptoir, j'en aurais salivé si je n'avais pas gardé des derniers un souvenir plutôt médiocre. Ma fiancée l'a servi avec des lentilles.

On mastiquait en silence quand j'ai dit, hum, sont bonnes les lentilles. Et d'ajouter : mouais, mais le rôti est ordinaire.

En fait, il ne goûtait rien. Je vous avertis, le premier qui dit que ma fiancée ne sait pas faire cuire un rôti de porc, je le gifle. C'est sûr, elle aurait pu le faire cuire avec des pommes, et il aurait goûté les pommes. Ou à l'ananas et il aurait goûté l'ananas. Ou en civet, il aurait pris le goût du vin rouge. Mais elle l'avait seulement piqué à l'ail, et ébouriffé quelques branches de thym dans le plat. Quand je tombais sur un morceau piqué d'une gousse, cela goûtait un peu l'ail, mais la bouchée suivante ne goûtait rien. Pour être plus précis, cela goûtait le carton bouilli avec un peu de thym dessus.

Je suis allé chercher la sauce soya dans le frigo. J'en ai mis plein. C'était très très bon, mais il faut aimer la sauce soya. Ça goûtait tellement le soya que ce n'était pas tellement important ce qu'il y avait dessous. Du porc, du lapin, du poulet, de la dinde, du tofu. J'y pense en vous le disant, c'est le tofu qui serait le mieux, en tout cas, c'est le moins polluant comme élevage.