Le jeudi 18 novembre 2004


Le modèle canadien
Pierre Foglia, La Presse

Il y a un peu plus d'un an, une étudiante qui insistait pour porter le voile à l'école était expulsée d'un collège privé de Pierrefonds où le règlement interdit d'afficher tout signe ostentatoire de religion. La famille de l'élève, qui avait d'abord porté plainte devant la Commission des droits de la personne, vient tout juste de retirer sa plainte. C'est-à-dire que le collège a littéralement racheté la plainte de la famille.

En 1995, la Commission des droits avait interdit d'interdire le voile dans les écoles publiques. Les groupes de pression religieux (tant musulmans que juifs) espéraient que la Commission saisirait l'occasion de cette plainte pour étendre son interdiction d'interdire au secteur des écoles privées. La Commission s'est contentée d'informer qu'elle donnera, éventuellement, un avis global sur toute cette question.

En attendant, d'abord un mot des parents qui déposent une plainte au nom d'un principe et la retirent 15 mois plus tard pour quelques milliers de dollars. On nous dit qu'entre-temps leur fille a quitté le secondaire. Reste que ça fait pas cher du principe, surtout du principe religieux, je ne sais ce qu'Allah en pense, mais mon Dieu à moi, il trouve que cette histoire-là fait un peu marchand de tapis.

On ne félicitera pas non plus l'école d'avoir proposé ce marché ratoureux aux parents. Il me semble que l'école n'est pas qu'un lieu de transmission des savoirs, mais aussi de transmission des valeurs. On vient de donner aux enfants une bien curieuse leçon de choses, on vient de leur dire, les valeurs mes petits amis, comme leur nom l'indique, c'est ce qui s'achète.

Quant à la Commission des droits de la personne, la voilà sauvée par la cloche bien temporairement, le problème va forcément resurgir dans d'autres écoles privées. Et elle sera forcée alors de se brancher. Je la sens prête à distinguer entre le privé et le public, prête à concéder aux écoles privées le droit d'interdire le voile comme si le fait de payer donnait le privilège de se soustraire au modèle public.

En fait la Commission est bien embêtée, si vous voulez mon avis. Elle aurait dû faire le contraire. Interdire le voile dans les écoles publiques. Elle ne le pouvait pas, bien sûr. C'est pour cela que je dis qu'elle est bien embêtée. Elle ne le pouvait pas parce qu'on est au Canada, et que le Canada se prend pour LE modèle mondial d'intégration des immigrants.

Le modèle canadien se trouve généreux, inclusif, alors qu'il est seulement mou comme peut l'être un compromis fourre-tout. J'ai parfois l'impression que le pays est mené par les minorités religieuses. En tout cas on les sent près de s'étouffer chaque fois qu'on touche à leur chapeau, leur turban, leur voile, leur poignard. J'en entendais un ce matin, je ne sais plus s'il était juif ou musulman, dire oui ! quand les immigrants sont arrivés au Canada, on ne les a pas avertis qu'ils n'auraient pas le droit de porter le voile. On ne le leur a pas dit parce que ce n'est pas le cas. Ils ont le droit de porter ce qu'ils veulent, quand ils veulent, où ils veulent, SAUF à l'école. Enfin même pas. À l'école aussi. Mais justement, ça ne devrait pas, ce devrait être partout sauf à l'école, surtout à l'école publique.

Dans une société d'immigrants comme la nôtre où se frottent toutes les races, toutes les cultures, toutes les religions, la laïcité des institutions (l'école, la justice, etc.) est la seule garantie d'intégration au modèle de société, à condition évidemment d'en avoir un modèle commun de société.

La nouvelle du jour

Guy Cloutier, imprésario et producteur de spectacles, un des grands manitous du showbiz québécois, a plaidé coupable hier à cinq des neuf chefs d'accusation qui pesaient sur lui, attentat à la pudeur, grossière indécence, agression sexuelle, j'oublie quelque chose ?

La nouvelle est tombée vers 10 h. Je déteste ce genre de nouvelles qui colle à la semelle, comme lorsqu'on marche dans la merde, on a beau s'essuyer les pieds, ça reste collé. Une nouvelle qui bouche l'horizon et frappe d'inanité tout autre sujet. Pas le choix d'en parler. Je m'y mets donc. J'avais presque terminé quand le doute me poigna. Allo, boss, je parle de Cloutier demain. Et je mets à lui lire mon truc...
Holà, holà, on ne peut pas publier ça.
Pourquoi ?
Parce que ton propos permet d'identifier la victime et on va se retrouver avec un outrage au tribunal.

Ce n'était pas complètement faux. Mais c'était surtout ridicule. Pas mon boss. La justice parfois. Je traitais d'un « pattern sportif » qui à mon sens illustrait ce genre de déviance, mais c'est vrai qu'en coupant les virgules en quatre, on aurait pu faire des liens qui, que... bon ben tant pis. J'ai planché sur autre chose.

Sauf que je viens d'entendre à la télé le récit de la première relation sexuelle entre la victime qui avait 12 ans à l'époque et Cloutier qui avait la main sur sa bouche pour l'empêcher de crier. Ça, on peut l'écrire. Ça, c'est d'intérêt public.

Combien on parie que la victime va demander elle-même, et ce ne sera pas long, la levée de cette interdiction de publication à des fins littéraires ? Et que cet interdit de justice aura surtout servi à protéger ses droits d'auteur ?

Un mot pour finir. Sans vouloir l'accabler plus qu'il ne l'est, je trouve que M. Cloutier vient de faire un tort immense au beau métier d'imprésario et je me permets de mettre en garde mes lecteurs contre toute généralisation intempestive.

Avec mes excuses

Dans une récente chronique, pour faire image avec le nombre de morts américains en Irak (autour de 1200), je disais que durant le seul congé de Thanksgiving 2002, la route avait fait 4019 morts aux États-Unis, dont 1561 à cause de l'alcool. Je donnais mes sources, sauf que j'ai mal lu mes sources. Ces statistiques valent du congé de la Thanksgiving à la fin de l'année. Un mois et quelques jours donc. Vous auriez dû lire le courriel courroucé de cet étudiant en transport de l'Université de Montréal qui m'accuse de... désinformation !

Au plaisir donc de vous désinformer samedi prochain, cette fois ce sera sur les souris. La souris sylvestre, dit mon dictionnaire des mammifères, est une jolie petite souris qui pèse entre 12 et 32 grammes. Mais quand on a des millions, ça finit par faire des tonnes de souris. Mes chats ? Mes chats, y dansent, les tôtons.