Le samedi 11 décembre 2004


Putain de démocratie
Pierre Foglia, La Presse

Je crois à la définition que Churchill donnait de la démocratie : le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres. A l'exclusion de tous les autres, parce qu'on n'a rien trouvé de mieux. Mais le pire des systèmes quand même, parce que putain que ça n'avance pas vite, des fois. Dieu que c'est long, la démocratie, quand il faut que t'attendes que le plus grand nombre ait compris pour faire un bout de chemin.

Je pensais à cela en écoutant l'incroyable, le désespérant débat sur la légalisation des unions homosexuelles. Qu'est-ce que c'est plate ! Qu'est-ce qu'on brette ! Qu'est-ce qu'on procrastine ! Qu'est-ce qu'on en a à foutre !

Alors il m'est venu une idée. L'idée d'une démocratie à deux vitesses. Oui, dans un même pays démocratique, le Canada, par exemple, deux vitesses à la démocratie. Une qui irait très vite. Et une autre pour ceux à qui il faut expliquer longtemps. Et, j'y pense à l'instant, pourquoi pas une démocratie à trois vitesses: la vite, la pas vite et l'Alberta ?

Vous me demandez de quoi aurait l'air le débat sur le mariage gai dans la vite ? Il n'y aurait pas de débat là-dessus. Dans la démocratie du plus petit nombre, il n'y aurait aucun espace pour un débat sur le mariage des gais, sur le droit de tourner à droite au feu rouge, sur le port du voile à l'école, sur l'euthanasie, sur l'avortement, sur toutes ces choses entendues, qui vont de soi, dont on a déjà parlé cent fois. Un mourant en phase terminale demande qu'on abrège ses souffrances, de quoi voulez-vous débattre au juste ? Une gamine enceinte veut se faire avorter ? C'est son ventre. Les gais veulent s'épouser ? Qu'ils le fassent.

Au coeur de Ia démocratie qui va vite, le vivre-ensemble serait contenu dans un contrat social qui renverrait Dieu et la morale à la maison. Et tendrait à rendre l'espace public - l'école notamment - indifférent aux différences. Vous me suivez ? Mais si. De nombreux débats de société actuels sont des débats « de différence ». C'est bien ou c'est mal d'être pédé. C'est bien ou c'est mal d'être musulman. En fait, dans ce merveilleux pays, c'est bien le plus souvent. Dans ce merveilleux pays; les juges penchent toujours du côté de la différence, et la rumeur officielle la glorifie. Ce qui est aussi bête que de la nier. Dans ma démocratie qui va vite, l'inclusion à la communauté se ferait dans l'indifférence à la différence. On n'en a rien à foutre que tu sois pédé. Marie-toi et crisse-nous patience. On n'en a rien à foutre que t'ailles à la mosquée, si ça t'amuse.

Est-ce dire que, dans ma démocratie du petit nombre, nous n'aurions jamais de débat parce que nous serions tous de la même opinion ? Mais non. Il y aurait donc cet état culturel minimum en deçà duquel personne n'aurait envie de débattre du mariage des gais, « qui va de soi », et il y aurait le débat sur la responsabilité.

Toutes ces questions qu'on pourrait résumer en une seule ou presque: Suis-je le gardien de mon frère ? Des enfants de mon frère ? S'ils crèvent de faim, je fais quoi ? Du bénévolat. Des guignolées. Ou j'augmente les impôts. Suis-je le gardien de la Terre ou après moi le déluge ?

Bref, ces questions-là et plein d'autres sur la culture, auxquelles ne sauraient répondre des juges.

LA FAIM - Cette image d'un enfant devant son assiette vide... J'avais 8 ans quand mon père est décédé. On a eu faim. Mais j'avais plus honte que faim quand, la semaine précédant Noël, la voiture des généreux donateurs s'arrêtait devant notre domicile. Tambollis, lumières et trompettes, Dieu que cela semblait leur faire du bien.

Aujourd'hui, j'ai 41 ans. Je gagne très bien ma vie. Je donne discrètement. Toujours en dehors de la période de Noël (D. Pelletier)

LA VIE - Mes parents sont tous deux atteints de la maladie d'Alzheimer. La maladie a progressé très rapidement, tous deux sont en chaise roulante, et en couches, et il faut les faire manger. Plus atteint que ma mère, mon père ne s'exprime plus de façon intelligible, mais il sourit souvent, il aime être touché, il est très apprécié du personnel. Il va s'éteindre doucement en tirant profit de la vie... jusqu'à la fin. Cela lui ressemble bien.

Ma mère est autrement. Quand nous allons la voir, nous sommes cinq enfants, son regard se durcit, et elle répète sans arrêt: je veux m'en aller, je veux m'en aller, je veux m'en aller. Je sors de là chaque fois bouleversée. Elle a 87 ans.

L'autre jour, je suis allée faire euthanasier mon chat de 19 ans. Pour me consoler, la vétérinaire m'a dit : Il souffre, ce n'est plus une vie. Dans quel monde vivons-nous, monsieur Foglia ? (France R., fille de Jeanne et de Philippe)

LE SPORT - Ma fille de 15 ans fait de l'athlétisme. Un jour elle me revient en me disant que son entraîneur lui a conseillé l'haltérophilie, pour se renforcer. Je n'ai pas réagi très positivement, quelle mère a envie de voir sa fille se faire des muscles ? Mais bon, je me suis dit que l'idée était de la garder active.

La voilà au club Fortius. Et la voilà qui me parle avec enthousiasme de l'ambiance au gymnase, et de ses entraîneurs, Pierre Bergeron, et de la blonde de ce dernier, Maryse...attends une minute, je lui dis, Maryse ? Maryse Turcotte ? Elle me répond par un oui d'ado que n'étouffe pas la culture, pas même la culture sportive.

La fin de semaine dernière, c'était le championnat junior d'haltérophilie à Windsor, près de Sherbrooke. J'étais dans les gradins, nerveuse comme une mère peut l'être de voir sa fille pour la première fois dans ce genre de compétition. J'en suis revenue enchantée, conquise. La simplicité de Pierre et Maryse et des autres, leur enthousiasme, leur générosité, leur passion surtout, j'ai trouvé ma fille bien chanceuse. (Hélène Mercier, VP ressources humaines, Henry Birks et Fils)

LE BRUIT - Il m'arrive au moins deux fois par jour de sortir la tête par la porte du patio et de crier comme une hystérique: Léon ! Léon ! viens mon chaton, viens ma crevette tigrée ! Léon ! Allez viens Léon. Léon ! Léon ! Léon ! Envoye mon bel amour ! Léon ! Léon ! Léon ! Ousque t'es, Léon ? Léon !

Bref, vous croyez que mes voisins préféreraient que j'aie une motoneige ? (Christine)

LA LUMIÈRE - Longtemps que je n'avais pas eu des nouvelles de mon jeune ami Maxïïïïïme. Et puis le voilà qui rebondit, génial à son habitude. Cher Pierre Foglia, les événements se bousculent, mon frère est parti hier en Alberta avec son ami poser des détecteurs de tremblements de terre à huit dollars de l'heure. J'hérite en son absence de sa grande lampe sur pied. Ma chambre n'a jamais été aussi bien éclairée.