Le vendredi 13 août 2004


Ca doit être le climat ...
Pierre Foglia, La Presse, Athènes

M. Dick Pound -notre Dick Pound- président de l'Agence mondiale antidopage -notre agence puisqu'elle est installée à Montréal- faisait le point hier sur le dopage. J'y viens dans un instant, mais pour aller au plus croustillant, les 200 journalistes présents voulaient d'abord savoir un truc.

Kenteris est ce sprinter Grec qui avait étonné le monde en remportant le 200 mètres à Sydney. Il sortait de nulle part, mais j'avais présumé, et titré dans La Presse, qu'il sortait d'une pharmacie. Le consul grec à Montréal avait vivement protesté auprès de mes patrons, si c'est toujours le même je crains qu'il ne s'étouffe à nouveau dans son souvlaki, parce que cette fois je ne suis pas tout seul à avoir des doutes, 11 millions de Grecs commencent à s'amuser follement de la chose.

On a très peu vu Kenteris depuis Sydney, absent des championnats du monde, il ne se fait apprécier que chez les Grecs, dans des petits meetings où les contrôles antidopage se font à la bonne franquette. Il est annoncé comme le grand favori du 200 mètres ici. Plein de gens aimeraient le rencontrer. Notamment les gens qui procèdent aux contrôles antidopage.

C'est la blague du jour. Les Grecs y ajoutent un sourire, quand on leur demande où est Kostas Kenteris, ils nous répondent qu'il est probablement avec Katarina Thanou. À Sydney, cette Thanou avait fait deuxième du 100 mètres derrière Marion Jones. Thanou est attendue ici comme Cathy Freeman l'était à Sydney. Deux Blancs brisent la suprématie des Noirs au sprint, comme c'est curieux, deux Grecs. Ce doit être le climat qui fait ça. (Petite parenthèse : si jamais la Thanou devait battre la Française Christine Arron - la fille la plus vite en ce moment sur 100 mètres - ne manquez pas, dans L'Équipe du lendemain, the big big baboune !).

Bref, hier soir à 19h30, Kenteris et Thanou avaient rendez-vous pour un contrôle antidopage au village. Ils ne se sont pas présentés. Tard hier soir, le CIO a ordonné la tenue d'une enquête.

Cette bouffonnerie à la grecque pourrait vous laisser croire que plus ça change plus c'est pareil dans le monde stupéfiant du contrôle antidopage. Justement pas. Ça change vraiment et en profondeur.

Avant que ces Jeux commencent et que vous disiez n'importe quoi comme d'habitude, faisons le point sur trois périodes, avant, après, maintenant.

Avant. Disons 1988, les Jeux de Séoul. On est dans l'ère Samaranch, le patronage, les trafics d'influence. Pas la dope. La dope n'existe pas à cette époque. C'est une pure invention des journalistes en mal de scandales. Ben Johnson ? Une preuve par le contraire. On en pogne un. On le jette aux chiens (aux médias) pour les calmer. Voyez comme on a la situation bien en main. La dope n'existe pas et quand elle existe on règle ça, ça traîne pas.

Après. Après Ben Johnson, ça déboule. Banalisation de l'EPO au milieu des années 90. Des organisations aussi solides que le Tour de France vacillent (affaire Festina en 98). Le public est alerté, et sous la pression médiatique les grandes organisations sportives se bricolent une petite lutte antidopage maison pas trop dérangeante. Les fédérations internationales, athlétisme (particulièrement la fédé américaine), le football, le soccer, le vélo, s'appliquent à «couvrir» leurs affaires plutôt qu'à découvrir leurs dopés. Avant, on niait. Après, on enterre.

Maintenant. Maintenant il y a cette Agence mondiale antidopage qui a fait un remarquable travail depuis sa création il y a cinq ans. Travail de normalisation, d'uniformisation. Le monde du sport est maintenant régi par un même code mondial antidopage que viennent de signer 20 comités olympiques et 35 fédérations sportives (même si le soccer chique encore la guenille). Un sport qui n'adhérerait pas à ce code serait rayé du programme olympique. Les Jeux d'Athènes inaugurent une nouvelle ère. Liste unique de 2004 produits interdits. Uniformisation des procédures de contrôle et des sanctions.

Maintenant les fédérations ne peuvent plus «couvrir» leurs vedettes et leur imposer des sanctions bidon. À Sydney, Kenteris s'était tout de suite abrité derrière sa fédération : j'ai été contrôlé quatre fois messieurs. Sauf que personne d'autre que les gens de la fédé grecque n'ont jamais vu ces contrôles. Personne d'autre que les gens de la fédé américaine n'avaient vu les contrôles de Carl Lewis avant qu'il parte pour Séoul. Eux seuls savaient qu'il était positif.

C'est fini. Liés par le code mondial qu'ils ont signé, les comités olympiques nationaux ne peuvent plus laver leur petit linge sale en famille. Les Chinois ne peuvent plus faire bouillir leur soupe à la tortue dans leur cour. Un organisme réellement indépendant les surveille. Ce n'est pas l'AMA qui va faire les tests à Athènes. Les observateurs de l'AMA vont seulement s'assurer qu'on ne jettera pas ces tests au panier comme on l'a fait à Séoul (après avoir tiré Ben Johnson à la courte paille pour l'exemple).

En quoi cela empêchera-t-il les athlètes de se doper ? C'est une autre question. Presque philosophique. Un autre débat. Rien ne peut empêcher un athlète qui veut se doper de se doper s'il est persuadé que sa dope est indétectable.

On tombe ici dans une zone grise. Quels produits, quelles méthodes sont détectables ? C'est la partie de la conférence de presse de M. Pound que j'ai le moins aimée. M. Pound utilise les médias pour faire peur aux tricheurs. Quand on lui demande si le test pour détecter les hormones de croissance est prêt, il se fait évasif : c'est une surprise qu'on réserve aux tricheurs...

La détection du THG. qui a fait tomber une vedette comme Dwain Chambers et sérieusement ébranlé Marion Jones et une demi-douzaine d'autres, montre les progrès de la lutte antidopage. La toute dernière avancée me semble être l'analyse de nouveaux paramètres indirects dans le sang (autres que l'hématocrite), mais jusqu'à quel point cette méthode permet-elle de détecter, par exemple, le très à la mode dopage par transfusion ? Je n'en sais rien.

Ce n'est pas M. Pound qui va me le dire. Je ne ferais même pas confiance à Mme Ayotte là-dessus, l'intox faisant bien évidemment partie de l'arsenal antidopage. En dire moins pour en pogner plus. Ou en dire plus pour en effrayer plus...

Comment allez-vous Christiane ? Je m'excuse de troubler vos vacances mais c'est surtout pour vous prier de garder ouvert votre cellulaire, je sens qu'il va arriver ici des choses qui requerront vos grandes lumières. Je vous embrasse.