Le dimanche 15 août 2004


Le yogourt remonte à l'antiquité
Pierre Foglia, La Presse, Athènes

On l'a attendue longtemps, cette première médaille des Jeux. Elle est allée à l'Italien Paolo Bettini, à l'issue d'une course interminable dans le chaudron du centre-ville d'Athènes. Deux cent vingt-sept kilomètres. Presque six heures de route.

Bettini aussi attendait depuis longtemps. Il courait depuis quelques années après un titre de champion du monde; la médaille olympique couronnera tout aussi bien son impressionnante carrière d'écumeur de classiques. Le Toscan a battu son compagnon d'échappée, un jeune Portugais inconnu, Sergio Paulinho, 24 ans, qui a lancé le sprint de très loin, de trop loin. Bettini l'a sauté sans histoire à 30 mètres de la ligne. Le Portugais était arrêté, à court d'essence.

Les Canadiens? Michael Barry finit dans le peloton, peu importe le rang (32e). L'histoire, c'est qu'il a attaqué dans le dernier tour pour la médaille de bronze: «Ça n'a pas pas marché, je ne regrette rien, ce fut une longue et très dure journée». Gordon Fraser a abandonné au 14e tour. Raison invoquée: des crampes. Quant à Eric Wohlberg, 39 ans, il a abandonné au 11e tour. Il n'a jamais été dans le coup, se retrouvant assez vite en queue de peloton. Il n'est sans doute pas très fair-play d'affirmer que Charles Dionne eût fait beaucoup mieux que Wohlberg sur ce parcours, mais je l'affirme quand même et j'ajoute que les sélectionneurs ont fait une bêtise.

Je disais qu'elle fut interminable, cette course. Deux cent vingt-sept kilomètres, 17 tours d'un parcours très urbain. Départ devant la mairie d'Athènes. Les coureurs faisaient le tour de la colline des Loups (Lycabette) et le tour de l'Acropole avant de revenir à la mairie. Un parcours plus technique que difficile, même avec son raidillon de 700 mètres, trop court pour décoller les bons sprinters routiers. La chaleur? La plupart des coureurs la supportent bien, les Espagnols, les Italiens, les Australiens mieux que les Esquimaux. Ça tombe bien, il n'y avait pas un foutu Esquimau dans cette course.

En ce samedi matin, Athènes avait l'air de Saint-Hyacinthe un dimanche après-midi, en plus antique, c'est sûr. Athènes remonte à l'Antiquité et même avant, alors que Saint-Hyacinthe ça fait moins longtemps. S'cusez. Je voulais seulement dire qu'Athènes était vide. Où sont les Athéniens? En tout cas, ils n'étaient pas à la course. Les Grecs ne sont pas des trippeux de bicyk. Ils n'ont jamais gagné le Tour de France, ils n'ont même jamais gagné le tour de Grèce, d'ailleurs il n'y a pas de tour de Grèce. Voyez comme ils partent de loin. Bien sûr, il n'y avait pas plus de Grecs que d'Esquimaux dans cette course.

Mais je reviens à Athènes délicieusement provinciale en ce samedi matin. J'ai laissé partir les coureurs et je suis allé manger un yogourt chez Neon, place Omonia, un des plus vieux cafés de la ville. Le yogourt aussi remonte à l'Antiquité en Grèce. Au début de l'histoire du monde était le chaos, disent les Grecs. Mais avant le chaos? Avant le chaos était le yogourt. Et ça paraît quand tu le manges, il a un petit goût d'éternité. J'ai pris un café aussi.

Comment le voulez-vous, m'a demandé le serveur? Turc! Il ne m'a pas trouvé drôle. Au début était le chaos, avant le chaos était le yogourt et avant le yogourt, il y avait la chicane avec les Turcs.

Vous vous demandez pourquoi je ne vous parle pas de la course? Parce que le café Neon n'a pas de terrasse, et de là où j'étais assis (juste à côté du comptoir des pâtisseries) c'est à peine si j'apercevais les coureurs quand il tournaient sur Omonia Square pour remonter le boulevard Patission.

Mais aussi parce que dans ce genre d'épreuve, il ne se passe strictement rien avant la mi-course. Une chute après trois kilomètres éliminait deux des favoris, le champion du monde de Hamilton, Igor Astarloa, et le Hollandais Michael Boogerd. L'immense Suédois Magnus Backstedt a lancé la première attaque, il a été rejoint plus tard par Richard Virenque et un Hongrois, et c'est ainsi qu'on s'est rendu à la mi-course. Là les Allemands, Ullrich en tête, ont commencé à faire les fous, les Australiens dans leur roue.

La course était lancée. Et comme il fallait s'y attendre, elle s'est décidée dans les derniers tours. On a vu Paolini, McEwen s'essayer. Etxebarria, le Vénézuelien de Euskatel. Puis l'Ukrainien Popovych, cinquième du Tour d'Italie. Axel Merckx. Une vraie course, je vous dis. Et ce fut le démarrage de Bettini, imparable. Si vous voulez mon avis, il s'était entendu avec le Portugais pour sortir à ce moment-là. Il restait deux tours, ils ont monté leur avance à 45 secondes, vous connaissez la suite.

Le vélo est aux Jeux depuis toujours, mais les pros du Tour de France n'y paradent que depuis Atlanta, et franchement je ne comprends pas très bien ce qu'ils viennent faire ici. Ce n'est qu'une classique de plus au calendrier des pros. Pourquoi le vainqueur de cette classique-là, pas plus difficile qu'une autre, pourquoi celui-là est déclaré «champion olympique», fouille-moi.

EXPORTATION - C'était dans le parking des équipes, avant le départ. Je parlais avec Jacques Landry, de Québec, que j'ai connu comme coureur et comme entraîneur. Je lui posais des questions sur le parcours, sur les trois coureurs canadiens, penses-tu que Michael Barry a des chances, il me répond, on parle un peu, je lui demande le numéro de son cell, il me dit oh oh stop, qu'est-ce tu crois que je fais ici?

Je ne sais pas. T'es un des coaches de l'équipe canadienne?

Eh non. Je suis coach, mais de la Nouvelle-Zélande!

Tu me nisaises?

Julian Dean, le coureur néo-zélandais qui préparait les sprints pour Thor Hushovd (Crédit Agricole) au dernier Tour de France, est arrivé. Jacques s'est excusé. On est tellement bons en vélo au Canada, on est tellement forts qu'on exporte nos coaches. C'est ça, oudebon on est tellement bordéliques qu'ils préfèrent s'en aller.

LES FILLES - Rencontré Eric Van den Eynde qui dirigera les filles aujourd'hui. «Personne ne pourra dire après la course qu'on n'a pas essayé.» Cela résume assez bien son plan de match. Comme Lyne Bessette sera très très surveillée, il faut s'attendre à ce que Éric joue la carte Susan Palmer dans la première moitié de la course. Quoique... quoique les plans de matches dans les courses de filles s'enlisent neuf fois sur dix dans une course par élimination. À la fin restent les dix plus fortes, et la victoire va à la meilleure sprinteuse... Et ce sera? Un petit deux sur la Suédoise Susan Ljungskog, comme à Hamilton l'automne dernier.

Rencontré aussi le docteur Pierre Blanchard, président le fédé québécoise qui agit ici comme commissaire de course. Je sais que ça ne vous fait pas un pli, mais quand j'ai commencé dans le journalisme, je recevais 5$ par nom que j'écrivais dans mes articles. C'est une belle tradition qui remonte elle aussi à l'Antiquité que j'essaie de relancer. Allez, je vous embrasse.