Le vendredi 20 août 2004


Une antiquité
Pierre Foglia, La Presse, Athènes

C'était dans les toilettes, juste avant la conférence de presse de l'équipe canadienne d'athlétisme. Je donne un coup d'oeil à l'urinoir voisin : Nicolas Macrozonaris et son grand sourire ! Bonjour Nicolas ! Tu fais pipi même quand y'a pas de contrôle antidoping ? Comment trouvez-vous les Grecs, M. Foglia ?

Très différents de ceux de Montréal, Nicolas.

Je suis nono bien sûr. Évidemment qu'ils sont différents. J'étais assez nono pour m'imaginer les Grecs d'Athènes comme ceux de l'avenue du Parc. Et je découvre avec ravissement depuis quelques jours un pays et des gens très très loin du folklore que je redoutais. À chaque nouvelle sortie dans Athènes, je me dis mais, bougre de con, pourquoi n'es-tu pas venu avant ?

Ce pays me va bien. Je ne vous parle pas du décor. Hors de ses ruines magnifiques, Athènes est ordinaire. Je vous parle des gens. Je trouve les Australiens et les Irlandais formidablement sympathiques, je suis fasciné par les Chinois, j'aime le provincialisme des Français, mais c'est la première fois que je me trouve quelque part dans un pays que je ne connais pas, et que je regarde les gens, comme cet après-midi dans le métro, et que je me dis : ces gens-là me conviennent. Ils n'ont pourtant rien de bien particulier. On pourrait se croire dans le métro à Montréal. C'est peut-être pour cela, remarquez.

Mais autre chose me plaît bien chez les Grecs : ils sont modestes. On dit qu'ils ont inventé la démocratie, vous êtes sûrs que ce n'est pas plutôt la modestie ? Il en faut pour n'avoir gardé de tant d'Histoire qu'un espace civique et un art de vivre. Mais surtout, on voit bien que ces gens-là étaient pauvres il n'y a pas longtemps, qu'ils ne sont pas encore des nouveaux riches.

Comment cela, modestes ? Ces Jeux ne sont-ils pas tout ce qu'on veut, sauf modestes ? Ces Jeux sont une folie comme en font parfois les pauvres pour avoir l'air riches, une fois dans leur vie.

Vous ai-je dit que mon ordi était une merde ? Hier, je suis allé le faire réparer dans le centre d'Athènes, sans succès d'ailleurs. J'ai perdu ma journée. Au retour dans le métro, j'ai échangé quelques mots avec des touristes américains du New Jersey qui s'en allaient à des finales de gymnastique. Ils m'ont montré leurs billets : 120 euros. Ils trouvaient ça cher. Ils trouvaient aussi les Grecs pas très aimables et la ville sale. S'ils avaient su, ils seraient restés à Newark qui est une petite ville pimpante, un modèle de propreté et d'urbanisme comme chacun sait. Pour revenir au prix des billets, c'est cher pour les Grecs, et c'est la grande raison des estrades vides, pas seulement à la gymnastique. Mais dans l'absolu, au tarif olympique, 120 euros pour des finales de gymnastique, c'est normal. Habituellement, ces billets-là sont introuvables. Pourtant, à la sortie du métro, les revendeurs les bradaient au prix coûtant. Les estrades sont vides, la ville est vide, c'est le grand problème de ces Jeux, par ailleurs bien organisés mais boudés et par les touristes et par les Grecs. La peur du terrorisme ? Un peu. Mais aussi la télé. À force de faire des Jeux pour la télé, contrôlés par la télé, payés par la télé, eh bien les gens les regardent à la télé.

Du métro, j'ai couru pour arriver à temps à cette conférence de presse de l'athlétisme, juste avant je vais pisser et il y a ce Grec de Montréal, Nicolas Macrozonaris, à l'urinoir voisin :

Comment trouvez-vous les Jeux, M. Foglia ?

Jusqu'ici très bien, Nicolas. Sauf que les estrades sont vides.

C'est de la faute aux journalistes, monsieur le journaliste. Vous avez fait si peur aux gens qu'ils ne sont pas venus.

Des fois, en fait presque tout le temps, Nicolas dit n'importe quoi. Si je me souviens bien, il y a six mois les Américains parlaient de ne pas envoyer d'équipe à Athènes si la sécurité n'était pas renforcée. Des athlètes, pas des journalistes, des athlètes, des stars comme Kevin Garnett, de la NBA, ont dit ne pas vouloir aller à Athènes parce que c'était trop dangereux.

Des fois, les athlètes m'énervent. Ils sont beaux. Ils sont fins. Ils sont drôles et puis tout d'un coup on leur pose une question sur le sens du sport, et ils nous répondent sur le sens de la vie en nous faisant la leçon. Une journaliste venait de demander aux six athlètes présents, dont Macrozonaris et les trois coureuses de haies, s'ils ressentaient beaucoup de pression. Le Canada n'a pas gagné de médailles, croulez-vous sous le poids des attentes du Canada tout entier ?

Je vous résume la réponse : sachez, messieurs les journalistes, que les médailles ce n'est pas tout dans la vie. Dites-moi pas, jeune fille ! Je suis un vieux monsieur. Sur l'estrade devant moi, il y avait cette gamine de 23 ans - Angela White pour ne pas la nommer - qui me disait pépé je vais t'expliquer la vie. Holà ! Vous êtes une bonne coureuse de haies, mademoiselle, mais je doute que vous sachiez à quel point la vie est une course à obstacles plus difficile et plus longue qu'un 100 mètres haies. Comment le sauriez-vous ? Quand vous n'êtes pas dans votre bulle olympique, ou sur la table de massage avec votre physiothérapeute, ou en conférence avec votre agent, ou au téléphone avec votre psychothérapeute, vous êtes sur le campus de votre riche université américaine en Idaho.

Heureusement il y avait aussi Chantal Petitclerc, toujours aussi allumée et chaleureuse, qui nous a refait son couplet sur les athlètes en fauteuil roulant, il me semble qu'elle le fait avec moins de conviction qu'avant, lasse de n'être toujours pas entendue par le CIO. Le CIO ne fait parader les athlètes en fauteuil roulant aux «vrais» Jeux que pour annoncer les paralympiques qui suivront. Chantal sait que je ne l'appuie pas dans ce combat-là, cela ne l'empêche pas de me parler chaque fois de ses chats, Miso et Pu Yi, et moi de lui demander chaque fois, s'ils sont en chaise roulante aussi.

Ne manquez pas Émilie Mondor ce soir, si on vous la passe en direct ce devrait être vers 16h15 à votre heure, une course de qualification, le vrai 5000 mètres sera couru lundi. Ce ne sera pas facile pour Émilie de se qualifier. Ne manquez pas, vendredi, la deuxième médaille du Canada, oui madame, en trampoline. Le Canada se distingue dans les sports périphériques, tout ce qui est synchro, courte piste, double saut périlleux à l'envers avec des skis dans les pieds et trampoline.

Je niaise. Cessez de vous impatienter, de vrais lauriers viendront en fin de semaine, en aviron. Les médailles d'aviron sont les plus belles des Jeux. Les plus propres aussi, lavées au fil de l'eau.

Et puisqu'on parle d'eau, il faudrait bien que j'ajoute un mot au naufrage de la natation canadienne, mais demain, OK, demain promis, si je n'ai pas jeté mon ordinateur par la fenêtre. Mais c'est peut-être moi qui vais se jeter par la fenêtre. Fiancée, je veux que tu fasses écrire sur ma tombe : Il n'était pas Grec, mais son ordinateur remontait néanmoins à l'antiquité.