Le dimanche 22 août 2004


C'est la faute aux Anglais
Pierre Foglia, La Presse, Athènes

Oh que les garçons du quatre de pointe sans barreur étaient déçus de leur médaille d'argent. Après un départ laborieux, ils avaient repris le contrôle de la course, ils étaient en tête comme prévu aux 1500 mètres, leur poussée semblait irrésistible, ils dégageaient une telle puissance, qu'on ne voyait pas, à ce moment-là, ce qui pourrait les empêcher d'aller chercher la première médaille d'or du Canada.

On aura du mal à trouver en sport, image plus soudée d'une équipe que ces avironneurs de pointe liés par une cadence, quatre corps magnifiques, quatre coeurs fous, qui montent, dit-on, à 240 pulsations minute. Il ne s'agit pas ici de dépassement, ce foutu cliché. Il s'agit ici de partager une souffrance, d'en faire une clameur unique. Si la poésie est l'alchimie du verbe, l'aviron est l'alchimie d'un cri de souffrance. Surtout l'aviron de pointe, ces bateaux cultes que sont le huit et le quatre de pointe.

Oh qu'elle était belle et sereine cette victoire annoncée. Et magnifiques ces corps qui faisaient rouler leurs muscles sous la peau, ces bras qui ramènent la pelle tandis que les jambes brûlent leur dernière goutte d'acide lactique au fond du bateau. Il faut que je dise leurs noms, même si à ce moment-là ils n'en avait qu'un seul: Force. À la proue, Barney Williams. Derrière lui Jake Wetzel, l'énorme chauve avec une toute petite voix éraillée de coiffeur pour poodles. Puis Thomas Herschmiller et Cameron Baerg à la poupe. Il faut qu'on le sache: ils n'ont commis aucune erreur. N'ont eu aucune faiblesse. Cette superbe machine humaine n'a connu aucun raté. La défaite est tombée du ciel, comme une averse sauvage, et totalement imprévisible.

Cela s'est passé dans le couloir voisin. Dans le bateau des Anglais. Les Anglais sont les rois du quatre de pointe depuis l'Antiquité ou presque. Leur bateau est un bateau mythique. Avec un capitaine de légende, Steven Redgrave. En Angleterre, Redgrave c'est Michael Jordan avec une rame dans la main. Il avait beau être modeste, il prenait tant de place dans le coeur des Anglais que le quatre avironneurs anglais du quatre de pointe se résumaient à un: Steven Redgrave. Il a fallu qu'il prenne sa retraite pour que les trois autres apparaissent en pleine lumière. Un surtout: Matthew Pinsent. Trois médailles d'or dans l'ombre de Redgrave. Trois médailles passées inaperçues ou presque. Il lui fallait celle d'hier pour naître enfin.

C'est ce Pinsent de malheur qui, à 150 mètres de l'arrivée, a fait une légende de lui-même. C'est lui qui a entraîné les trois autres dans sa quête d'absolu. On vient de le voir, dans ce sport les autres ont le choix de suivre ou de... suivre! Ils ont suivi.

Inexorablement, le nez du bateau anglais s'est détaché de celui du bateau canadien, pour mourir sur la ligne. Dix mètres de plus, il était battu. Les anglais n'en pouvaient plus.

Oh que les Canadiens étaient déçus. Que leurs regards étaient noyés. Qu'ils ont mis du temps à revenir à la surface. Oh que la défaite faisait mal.

Croyez-vous que vous les auriez battus si vous aviez eu dix mètres de plus ?

Demande-moi le demain, a répondu sombrement Herschmiller à un confrère d'une radio de Toronto.

Titanick Ce garçon a tout pour lui. Il est gentil. Il est amusant. Il est pas bête. Il est beau, encore plus beau quand il prend cette mine de chien battu comme hier dans la zone mixte. Il venait de se faire éliminer sans gloire, il nous a raconté une histoire. Une histoire de blessures, bien sûr. On l'a cru. Il est génial pour raconter des histoires. Si un jour il a des petits enfants, il vont lui dire encore, encore grand-papa, en sautant sur ses genoux. Nous aussi, les journalistes, il nous fait sauter sur ses genoux. Ou si vous préférez: il nous tient dans le creux de sa main. Ce garçon est génial avec les médias.

Ce garçon est béni des dieux. C'était un bon sprinter, en construction, un work in progress, comme on dit, régulier à 10.20. Mais un jour, c'était à Mexico, en altitude, c'était aussi en début de saison, un jour il a gagné une course en 10.03, battant Tim Montgomery, le détenteur du record du monde.

Macrozonaris est devenu une star du jour au lendemain. Les journalistes ont sauté dessus, je vous l'ai dit, ce garçon, c'est du bonbon. Il est gentil. Il est amusant. Il est pas bête. Il est beau, et j'oubliais, il est Blanc, c'est un atout dans cette spécialité toute noire. Bien vite il a eu un agent, même deux.

Plein de commanditaires. Et beaucoup, beaucoup d'amis. Sa photo était dans le métro de Paris l'automne dernier à l'occasion des championnats du monde. Un peu plus tôt cet été je suis tombé à la télé sur un long et complaisant documentaire qui nous le montrait dans son lit, quand il était petit, quand il mange un souvlaki, quand il fait pipi.

Mais durant tout ce temps, sur la piste, Nicolas Macrozonaris, courait toujours en 10.20. Parce que c'est un coureur de 10.20. Sauf que son environnement, son statut social et médiatique, sont maintenant ceux d'un coureur régulier à 9.9. Cela fausse les perspectives.

Cela n'a jamais été aussi évident qu'hier. S'il n'était pas tombé sur une série aussi facile en matinée, s'il avait couru, par exemple, la série de Pierre Brown, l'autre sprinter Canadien, il se serait fait sortir au premier tour. Dieu sait alors ce qu'il nous aurait raconté.

Tandis qu'on lui parlait dans la zone mixte, est passé un modeste sprinter Français du nom de Pognon qui s'est fait sortir en 10.15. Personne n'attendait Pognon dans la zone mixte. Nous on était 25 pour Macro en 10.28 (et 10.40 en matinée!). C'est ce que je veux dire par «fausser les perspectives».

Ce garçon a tout pour lui mais, je le crains, plus pour très longtemps. Ses amis l'appellent Nick, d'où mon titre: Titanick. Non, ce nétait pas hier soir, le naufrage. Just un coup de houle hier soir. Et la fête a continué sur le pont. Comme le Titanic.

Les grands-mères Et non! Je ne vous palerai pas des huit médailles remportées par l'incroyable monsieur Phelps, je vais plutôt parler ici de l'incroyable gâchis de Natation Canada.

Pas de nageurs canadiens pour la dernière soirée à la piscine, notre relais 4x100 quatre nages, qui aurait dû normalement faire la finale, ne s'est pas qualifié. Explication d'Alain Lefebvre, directeur technique de la fédé québécoise et chef d'équipe à Sydney: le moral est atteint. Depuis quelques jours, les journaux de Toronto tirent à boulets rouges sur Natation Canada, en particulier sur l'entraîneur chef Dave Johnson. Les médias torontois sont alimentés par ce nageur de 1500 Curtis McGillevery qui n'a pas fait l'équipe, mais aussi par quelques entraîneurs ontariens qui visent la job de Dave Johnson. Et qui vont l'avoir. Ils l'auraient eu de toute façon, ce n'était pas nécessaire de foutre toute cette merde.

Les nageurs sont écoeurés. Ils en veulent à tout le monde, aux médias et même au public, auquel ils reprochent son inculture sportive. Ils reprochent aux journalistes de s'intéresser à la natation une fois par quatre ans, et seulement pour foutre le bordel. Un beau gâchis vous disais-je.

Quelques consolations tout de même. Mike Brown, 6e au 200 brasse, et Rick Say, même rang au 200 libre. La superbe cinquième place du relais 4x200, et en ce qui regarde l'unique athlète québécois de la sélection, Yannick Lupien, il a fait sa job comme partant du relais 4x100.

Deux grandes déceptions, le brasseur Morgan Knabe et celle qui devait être le joyau et l'inspiration de cette sélection, la toute jeune Brittany Reimer (16 ans), qu'on voyait deux fois sur le podium, sauf que quelqu'un a oublié de lui dire que pour aller sur le podium, il faut d'abord se qualifier pour la finale. On attendait plus aussi de Mike Mintenko et Brent Hayden, tous deux des Dolphins de Vancouver, le club phare au Canada, entraîné par Tom Johnson, le frère de l'autre. Tom Johnson a amené cinq de ses Dophins à Athènes. Tous effacés. Si on cherche un bouc émissaire, je vous le suggère, au lieu de son frère.

L'autre jour en ville, j'aborde une dame: je vois que vous êtes Canadienne? Oui, me répond-elle, je suis aussi la grand-mère de Mike Mintenko, le nageur. Une Bouchard de Chicoutimi, mais installée depuis si longtemps à Moose Jaw en Saskatchewan, qu'elle en casse joliment son français. Au fait, il nage quoi votre petit-fils?

Elle ne savait pas.

Je lui dis vous devez être triste, cela ne va très bien pour les nageurs canadiens?

Elle me regarde tout étonnée: c'est pas grave. On les aime pareil.

Le Canada tout entier devrait en faire autant. Le Canada tout entier n'est-il pas une grand-mère qui radote un peu, n'entend rien au sport, et n'a aucune idée de ce que nage Mike Mintenko?

MARYSE - Des petites nouvelles de Maryse Turcotte. Elle a reçu des millions de courriels de félicitations. On semble avoir bien saisi, au Québec du moins, que son exploit est ailleurs que dans ce onzième rang qui ne veut rien dire...

Elle a hâte de rentrer. Comme de nombreux athlètes, je pense à Chantal Petitclerc et à d'autres, surtout ceux qui ont gardé un souvenir lumineux de Sydney, de nombreux athlètes, disais-je, n'aiment pas beaucoup Athènes. Ils y sont venus plusieurs fois en compétition préolympique, le fond de l'air ne leur a pas plu. Ils trouvent les Grecs tellement moins souriants que les Australiens... Tout le contraire de ce que je vous écrivais il y a trois jours, mais bon, je savais déjà que je ne voyage pas comme un athlète. J'achète moins de cartes postales. De quoi parlait-on? De Maryse. Parfois il suffit d'un détail... l'autre jour elle s'est fait sortir d'un autobus qui allait au site du volley-ball de plage, on lui a dit votre accréditation est pour l'haltérophilie, allez à l'haltérophilie.

Elle y va. Elle rentre jeudi.