Le mardi 24 août 2004


Ça ne comptait pas !
Pierre Foglia, La Presse, Athènes

En a-t-on parlé de ce toit que les Grecs n'ont jamais eu le temps de poser sur la piscine olympique? Je vais vous dire un truc, elle est bien plus agréable sans toit. Et je vais vous dire un autre truc, ils auraient dû tenir les finales de plongeon dans cette piscine sans toit plutôt dans la glacière couverte et trop climatisée où elles se déroulent.

Dehors, la touffeur méditerranéenne, les cigales, et un ciel d'un bleu complètement grec. Dedans, on se croirait dans un centre d'achat à Chibougamau. Même que ça prendrait une petite laine. Si j'avais su, j'aurais apporté ma tuque. J'exagère, bon. Mais eux aussi. Quatre heures de plongeon, c'est long!

Des préliminaires sans autre enjeu que d'éliminer 14 des 32 plongeurs inscrits à cette compétition, c'est long comme un documentaire finlandais sur la culture extensive de la betterave à sucre. Le temps s'étire en se vidant de toute émotion. Tu commences à dormir bercé par le plouf des plongeons. Plouf. Plouf. Plouf. De temps en temps t'ouvres un oeil: hon, c't'un bon, y'a pas fait de bubulles.

C'est pas nécessaire, des préliminaires. On les repère tout de suite ceux qui n'ont pas d'affaire là. Tiens, il y avait deux Italiens hier, les frères Marconi, je pensais à leur mère, j'étais gêné pour elle. Ça ne ressemblait pas à un plongeon. Ça ressemblait à un plat de spaghetti que tu lances dans les airs et qui retombe n'importe comment en petits bouts disparates. Ceux-là, faut les inviter au festival de l'humour, pas aux Jeux olympiques.

Despatie, Despatie, ben oui Despatie. Il a plongé comme un dieu, hier. S'il replonge comme ça ce soir, c'est dans la poche. Despatie, c'était bien. Mais ça dure deux secondes. Plouf, c'est fini. Faut que tu te refarcisses les 31 autres avant qu'il revienne.

Et savez-vous quoi? Les points ne comptaient même pas. C'est la première affaire que Despatie nous a dit: C'est dommage, ça ne compte pas. Tu parles! Il a gagné ces préliminaires avec 22 points d'avance sur un Chinois qui s'appelle Peng Bo. Le troisième, un Russe, est repoussé loin dans la brume, fondu dans la masse indistincte des 30 autres, tous des nuls.

Tu devrais faire de la boxe, Alexandre. Les coups donnés dans la première ronde comptent autant que les dernier. Transpose ta performance d'hier à la boxe, ton adversaire ne se relevait pas. C'était fini.

Mais au moins, Alexandre, ces préliminaires auront servi à éliminer l'adversaire que tu me désignais comme le plus redoutable avant les Jeux, ce Wang Feng. Il a raté son cinquième plongeon, il ne sera pas de la finale.

Alexandre m'a regardé par en dessous. J'ai vu à l'entraînement qu'il n'est pas au top, mais pas au point de ne pas faire la demi-finale. Vous vous trompez, je crois.

Je ne sais pas lire peut-être? Je lui montre la feuille de pointage: tu vois, il est 29e.

Puis je regarde mieux, hon! Me suis trompé. S'cusez. C'est 29e pour son plongeon raté. Mais septième au cumulatif. Il n'est pas éliminé.

J'avais hâte qu'on change de sujet. Quelqu'un a demandé à Alexandre comment il avait pris les malheurs d'Émilie à la tour. Il ne nous a pas dit qu'il n'en avait rien à foutre, mais c'est ce que ça voulait dire. Après on lui a demandé si le Canada-qui-ne-gagne-pas lui mettait plus de pression sur les épaules? S'il se sentait investi d'une mission?

Pas du tout. Je ne peux pas gagner de médaille en judo, en boxe, au saut à la perche. Et je ne peux rien faire pour Émilie. Ce qui lui est arrivé, rater un plongeon au mauvais moment, peut m'arriver aussi. Mais pour l'instant, je suis très content d'avoir commencé fort, même si ça ne compte pas. Ça veut dire que je suis dedans. L'important est de continuer comme ça. L'important, ce sont les demi-finales demain midi. Arriver le premier en demi pour plonger le dernier en finale. J'aime bien être le dernier à plonger. Le dernier a connaissance de toutes les notes, le dernier a le dernier mot. J'aime ce sentiment d'être en contrôle.

Il nous a laissés pour aller saluer ses parents en vitesse, et rentrer au village après.

C'est bien le village?

Il n'y a rien à faire. C'est bien pour rien faire. C'est bien pour dormir.

Philippe Comtois aussi participait à ces préliminaires. Ce sont ses deuxièmes Jeux olympiques. À Atlanta, il ne s'était pas qualifié pour la finale, il avait fini 16e. Gravement blessé en plongeant, du trois mètres justement, il n'est pas allé à Sydney. Son grand bonheur serait de faire la finale ce soir, comme une revanche sur cette blessure qui l'a laissé handicapé. Mais il est déjà comblé d'être passé en demi. «J'attendais cette journée depuis si longtemps.

J'ai travaillé si fort pour y arriver. Je suis fier d'être de cette gang-là, c'est incroyable ce que le plongeon a évolué depuis Atlanta. Le niveau de ces préliminaires était effarant.»

Sitôt le dernier plongeon noté, l'entraîneur Michel Larouche a renvoyé Despatie et Comtois pratiquer leurs plongeons de base. «Je ne les ai jamais vus aussi superbes tous les deux. Ils ont plongé avec une formidable intensité. C'est bien qu'Alexandre ait gagné, il aime prendre les commandes, être en haut de l'affiche. Mais il fallait aussi que je les ramène sur terre. Les plongeons de la demi-finale sont des imposés. Des plongeons de base. Je les ai renvoyés à la base.»

Avant les Jeux, j'avais demandé à Alexandre de me désigner ses adversaires les plus redoutables au tremplin de trois mètres. Il avait donc dit ce Wang Feng, septième après avoir complètement raté un plongeon. Comme deuxième adversaire le plus redoutable, l'Américain Troy Dumais. Dumais est cinquième après les préliminaires. Puis le Japonais Ken Terauchi, il est quatrième. Puis le Chinois Bo Peng, il est deuxième. Et l'Australien Newbery, il est dixième.

Les demi-finales commencent à midi heure locale et la finale débutera à 21h45, ce soir. Rappelons que les points acquis en préliminaires sont pris en compte avec ceux obtenus en demi-finale pour déterminer les 12 finalistes. Ils étaient 32 au départ. Il en restait 18 après les préliminaires. Ils seront 12 en finale ce soir. Le rang n'est pas indifférent. Le plongeur en tête après les demi-finales, plonge le dernier en finale. Mais est-ce vraiment un avantage? Je ne suis pas sûr.

Dernière précision, les points des préliminaires ne comptent pas en finale. Mais les finalistes traînent leurs points de la demi-finale. Cinq plongeons imposés en demi-finale. Des plongeons à bas coefficient de difficulté. En finale, les plongeurs referont les mêmes six plongeons qu'en préliminaires. C'est pas obligatoire, mais ils font tous ça.

Si vous n'avez pas tout compris, c'est pas grave, je publie cet automne un petit manuel qui s'intitulera «Tout savoir sur le plongeon». 18,40$. En prime, scotché à l'intérieur, le single de Nana Mouskouri, Roses blanches de Corfou, Votre parfum est si doux/quand l'aurore vient éclore/Mais je suis bien loin de vous/Roses blanches de Corfou/hou-hou-hou.