Le mercredi 25 août 2004


On n'y croyait plus
Pierre Foglia, La Presse, Athènes

Il s'avance pour son sixième plongeon. Ce sera le dernier de cette finale au tremplin de trois mètres. Tous les autres plongeurs ont terminé. Alexandre Despatie est à ce moment-là troisième, peut-être même quatrième. Tout dépendra de ce qu'il va faire maintenant. Y croit-il encore? Pas nous. Il s'avance sur le tremplin.

Vous avez remarqué? Quand ils s'avancent sur le tremplin de leur démarche sautillante, ils ont l'air du matador à l'instant où il va plonger son épée dans la nuque du taureau. Sauf qu'en entrant dans l'eau, le plongeur n'est plus le toréador. Il est son épée.

Alexandre est entré dans l'eau comme une épée. Pas loin de la perfection. Le tableau montre des 9 et des 9,5. Le total : 755,97 points. Deuxième. La médaille d'argent. On le voit exulter près de la douche. On devine son immense soulagement. Il monte sur le podium avec cinq tout petits points d'avance sur le quatrième, et deux seulement sur le médaillé de bronze, son idole de jeunesse, le Russe Dimitri Sautin. Oh que le jeune homme de Laval est passé près d'une grande déception!

C'est arrivé à son troisième plongeon. Un plongeon renversé avec rotation arrière, trois sauts périlleux et demi. Il a manqué d'espace, une entrée pas très verticale, des éclaboussures... Pour le perfectionniste qu'il est, une catastrophe : «J'ai été complètement découragé pendant deux secondes. J'ai eu envie de tout lâcher. Je me disais que ça ne valait pas la peine. Et puis je me suis ressaisi. Le quatrième plongeon a été correct, les cinquième et sixième, super. Cette leçon-là - qu'il ne faut jamais abandonner - vaut plus que la médaille. Revenir de l'arrière dans une telle compétition, je suis fier.»

Avait-il suffisamment pratiqué ce plongeon? a demandé un confrère anglophone, à Michel Larouche, son entraîneur.

J'ai ri. Je riais de notre ignorance à tous. Sauf que celle-là, je l'avais posée à Alexandre avant les Jeux. Les plongeons que tu vas faire à Athènes, les as-tu pratiqués souvent?

Il a pris l'exemple du premier qu'il a exécuté hier soir. Il le fait depuis six ans. Tous les jours ou presque. On est arrivé à 5000 fois! Les plongeons qu'ils exécutent sont imprimés dans leur système, comme sur une carte informatique. Alors comment peuvent-ils les rater comme Alexandre a raté son troisième hier soir? Ils ne le savent pas eux-mêmes. D'après Larouche, c'est dans la tête. Pas les jambes, pas les bras, ni la rotation du corps. C'est dans la tête. Un doute...

Une distraction, peut-être?

Comme ce Chinois, par exemple, ce Bo Peng, tout seul sur sa planète qui faisait tout mieux que les autres hier soir. Pas seulement mieux. Comment vous dire? Les autres, en faisant une vrille, imitaient le tire-bouchon à la perfection. En les regardant faire, on se disait : oh le beau tire-bouchon! Le Chinois, lui, transmuait, transposait ces vrilles en émotion. Tu ne disais pas: oh le beau tire-bouchon! tu disais : wow! L'émotion, j'exagère peut-être un peu. Cela reste du plongeon.

L'émotion un peu froide de ce court instant de la beauté qu'ont à offrir les sports dits «artistiques».

La vérité? On était venu chercher une médaille d'or. On, les journalistes. Et ne mentez donc pas, vous aussi. Michel Larouche a eu beau qualifier cette seconde place de fabuleuse, (et elle l'est!), Alexandre a eu beau manifester sa joie, on, vous pensiez médaille d'or. Ils ne l'avoueront pas, mais Alexandre et Larouche aussi. On s'est fait dire 20 fois ces jours derniers, on ne l'a pas inventé, qu'Alexandre était maintenant presque meilleur au tremplin de trois mètres qu'à la tour. Trois médailles d'or sur le circuit de la Coupe du monde la dernière année. On s'est fait dire qu'il était en feu ces jours-ci, et ça non plus on l'a pas inventé, on l'a vu dominer les Chinois en préliminaires. On l'a vu au-dessus de ses affaires en demi-finale.

Et parlant des Chinois, on s'est fait dire aussi qu'ils étaient trop gâtés, que dans la perspective des Jeux de Pékin, le régime cédait à tous leurs caprices. On parle d'un gymnaste qui s'est acheté une usine de chaussures avec sa prime gouvernementale, on parle de rentes à vie, on parle de sponsors qui permettent aux plongeurs de vivre dans un luxe ostentatoire...

On en a conclu un peu vite que les plongeurs chinois n'auraient pas très envie de plonger et que c'était dans la poche pour Despatie.

Ce n'est pas tout à fait ce qui est arrivé. Un sixième plongeon moyen et Alexandre se retrouvait quatrième. Devancé par les deux Chinois. Il reste la tour de dix mètres, vendredi et samedi. On ne vous promettra rien cette fois.

À 5h hier soir, heure d'Athènes, on était tous partis pour la gloire. J'avais déjà préparé mon titre : une, deux, trois! Une le vélo. Deux Despatie. Trois Felicien.

Ce doit être ce qu'on appelle la glorieuse incertitude du sport.

LA BELLE DE CADIX - Les hymnes nationaux de chaque pays ont été joués et enregistrés par une quelconque fanfare grecque avant les Jeux. En fait, plusieurs versions de chaque hymne national ont été soumises pour approbation au comité olympique de chaque pays. Le Canada a approuvé une version du Ô Canada, et avant hier soir, cette version avait été jouée deux fois. Une fois pour Chantal Petitclerc. Une fois pour Kyle Shewfelt.

Les «proud Canadians» étaient furieux. Paraît que le Ô Canada a été massacré les deux fois. Une enquête est en cours qui doit déterminer si les Grecs ont bien fait jouer la version approuvée par le COC.

Vous ne le répéterez pas? Au début des Jeux, je suis allé faire une entrevue avec le responsable des hymnes nationaux, j'en ai profité pour subtiliser le Ô Canada et le remplacer, devinez par quoi, ben oui... la belle dé Cadix à des yeux dé vélours, tchika-tchik a-ya-yaille...

Sérieux, aucun autre pays au monde, même pas la Corée du Nord, ne ferait une histoire avec ça.

C'est le Canada dans toute son hystérie nationaliste. Tu te promènes sur la Plaka, les seuls touristes identifiés par un petit drapeau, ce sont les Canadiens. Je les félicite tout le temps. Vous êtes canadien? Je vous félicite. Pas baveux. Pas ironique. Très straight. Des fois, je me penche et en baissant un peu la voix : Thank you. Une autre spécialité canadienne, je le crains: le chialage pour les notes. Cette fois, ce sont les gens de la gymnastique qui demandent des explications pour la note, trop élevée, selon eux, accordée au Roumain qui a devancé Shewfelt pour la médaille de bronze au cheval-sautoir.

La démarche est d'une inélégance absolue. C'est le même Roumain qui avait fini à égalité avec Shewfelt pour la médaille d'or pour les exercices au sol. Il n'a pas chialé quand on lui a dit qu'il devrait se contenter de la médaille d'argent en vertu de je ne sais quelle convention. Il n'a pas demandé une enquête publique. Les lois civiles ont un sens, les règles du sport n'en ont aucun, ce sont pures conventions qui ne tiennent qu'à la bonne foi de ceux qui les observent ou les font observer. L'irruption du légalisme dans les conflits en annule toute l'indispensable gratuité. Le sport, c'est pour apprendre à perdre tout autant qu'à gagner. Et quand tu perds, même si c'est la faute de l'arbitre ou d'un juge, une règle d'or : tais-toi.

ENCORE L'ANTIQUITÉ - Les Grecs gagnent de surprenantes médailles d'or - je n'ai pas dit stupéfiantes - en judo par exemple et en plongeon synchro, deux médailles qu'ils échangeraient n'importe quand pour une seule qu'ils passeraient au cou de leur héros, l'haltérophile Pyrros Dimas, tellement adulé, ici, qu'on lui a construit un stade pas très loin du mont Olympe, dans le nord de la Grèce. Trois fois médaillé d'or, il en cherchait une quatrième, il l'a eue, mais elle est seulement de bronze. L'autre jour, j'ai presque fâché un flic du village de presse en lui disant votre Pyrros Dimas n'est même grec, il est albanais...

J'ai eu droit à un cours d'histoire. Dimas a émigré d'Albanie effectivement, mais il vient d'une minorité grecque qui vit en Albanie dans la région de Chimara. On le voit souvent à la télé dans une annonce de yogourt. Vous ai-je dit que le yogourt remontait à l'Antiquité? Pyrros aussi.

Hé, je ne vous ai pas dit, il y a un athlète qui s'appelle Foglia à ces Jeux. Deux en fait, avec moi.