Le jeudi 26 août 2004


Le grand malheur de Perdita
Pierre Foglia, La Presse, Athènes

Les journaux anglophones pleurent sans pudeur. Perdita, tu es toujours la reine dans notre coeur. C'est à peu près le titre du Toronto Sun d'hier. Alors que du côté de la presse francophone, sa chute est plutôt perçue comme une maladresse. Hon, elle s'est plantée! (la nounoune). Dans cette histoire, mon pays, c'est l'athlétisme.

L'incident en lui-même n'a rien de particulièrement exceptionnel. Une coureuse de haies qui s'enfarge dans une haie, la chose est banale. Et je vous ferai remarquer que les haies sont un petit peu là pour ça, pour enfarger les coureuses. Faut bien qu'elles jouent leur rôle de temps en temps. Je ne sais pas non plus où on est allé chercher que faire tomber une haie, oui peut-être, mais pas la première. Pourquoi pas la première? Elle est moins haute?

C'est arrivé exactement comme Perdita l'a expliqué. Ni maladresse. Ni erreur technique. Ni trac. Perdita n'a pas craqué du tout. Tout le contraire. Un peu trop confiante. Un peu trop d'agressivité. Elle prend le risque d'attaquer très bas sa haie pour se donner de la vitesse, son talon accroche. Elle s'enfarge.

C'est sa version. Et ça colle tout à fait à ce que j'ai vu.

J'en étais désolé. D'abord, cela nous a privé d'un fabuleux 100 mètres haies. Je suis de ceux qui croient que Perdita aurait été battue par l'Américaine Joana Hayes, dont le 12,37 est du gros gros stock (Perdita n'a jamais couru sous les 12.40).

J'étais désolé aussi, bien sûr, pour Perdita elle-même. Je l'aimais bien. Notez l'imparfait. J'étais au Stade de France l'automne dernier quand elle est devenue championne du monde, je l'avais trouvée rafraîchissante. Je ne suis pas le seul.

Sa popularité dépasse largement les frontières du Canada. Ce qu'on aime d'elle? Sa santé. Sa normalité. Regardez les coureuses de haies européennes, vous allez comprendre.

Quelque chose m'a pourtant dérangé mardi soir. Perdita tombe et sa chute entraîne celle de Irina Shevchenko sa voisine dans le couloir 6. La pauvre fille reste à terre. Elle aussi c'est sa finale olympique.

Que fait Perdita?

Pas un geste. Pas un regard. Pas une accolade. Cela aurait dû être son premier réflexe: aller vers la Russe, la prendre dans ses bras. Mais elle ne la voit même pas. Elle la voit, mais elle ne la voit pas. Une autre fille à terre? Où ça? Qui ça?

Elle n'en a rien à foutre.

Elle est toute à son grand malheur.

Le petit malheur de Tadili

Le 800 mètres est un coupe-gorge, pourtant, tout le monde veut courir le 800. Neuf séries de huit coureurs, les deux premiers de chaque série qualifiés, plus les six meilleurs chronos. Un coupe-gorge, vous dis-je. Pauvre Tadili. Achraf Tadili est ce Montréalais d'origine marocaine qui a gagné le 800 des Jeux Panam l'an dernier. Cela avait été moins bien aux Championnats du monde, où il s'était fait sortir au premier tour.

Pauvre Tadili. Au départ de sa série, l'Algérien Saïd Guerni et le Kenyan Mutua. Le premier champion du monde, le second un des meilleurs chronos de l'année.

C'était râpé avant de commencer: Tadili ne pouvait pas finir dans les deux premiers. Il est passé avant-dernier au 400, est revenu de l'arrière dans le dernier droit pour finir quatrième. 1.46.63, pas canon, pas désastreux. Son quatrième chrono de l'année.

Il espérait encore être dans les six meilleurs temps quand je l'ai rencontré dans la zone mixte. Je vais attendre mon destin, m'a-t-il dit, très solennel. Dans la zone mixte. Son destin ne l'a pas fait attendre trop longtemps. Éliminé.

Pour vous dire comme c'est fou, il y avait un autre Canadien dans ce coupe-gorge, Gary Reed, il est tombé sur une série très lente, et l'a gagnée en 1.46.74. Un dixième plus lent que Tadili. Mais il est dans les deux premiers. Il est qualifié.

Quelle retraite?

Quand Nicolas Gill a perdu, j'ai pris pour acquis qu'il allait prendre sa retraite. C'est un des moments les plus intéressants de la carrière d'un athlète. Il sort de son environnement, s'avance à découvert, il sort de son enveloppe d'athlète, la question: y avait-il aussi un homme là-dedans?

Je n'avais aucun doute concernant Nicolas Gill. Mais je trouvais particulier qu'il vive ses premiers jours de retraité au village olympique. T'es dans la gang, mais tu n'en fais déjà plus partie... Je lui ai donné rendez-vous en ville. On est allés manger une brochette sur une terrasse.

Ça va?

Ouais.

Nicolas n'est pas le garçon le plus bavard du monde. Un gros nounours qui dit les choses avec mesure. Je ne lui ai pas demandé, mais j'imagine que le mot qu'il déteste le plus dans la vie c'est: trop. En faire trop. En mettre trop. En dire trop.

Alors cette retraite, pas trop difficile?

La retraite? Je ne prends pas ma retraite. Je suis retourné à l'entraînement hier soir, une petite séance de musculation... Depuis deux ou trois ans, j'arrête, je reviens, ce n'est pas de l'indécision. Je ne suis pas obligé de couper net. Je ne suis pas comme un athlète qui arrête tout pour commencer une autre vie. Je reste dans le judo, je vais retourner à mon club Shidokan à Notre-Dame-de-Grâce tous les matins. Je gagne ma vie comme entraîneur. Comme entraîneur, je m'entraîne, je contrôle mon poids. C'est sûr que je ne serai pas à Pékin. Ce sont mes derniers Jeux, c'est certain. Mais si je reçois une invitation pour le tournoi de Moscou en novembre, je vais accepter, 20000$ de bourses, c'est bien. Ce serait étonnant qu'ils m'appellent avec le résultat que j'ai fait ici, mais on ne sait jamais, ils m'aiment bien, pis ça leur prend un ou deux Nord-américains. Je serai des Championnats du monde au Caire l'an prochain. Comme athlète, comme entraîneur, on verra.

C'est fou comme les Olympiques, c'est pas comme les gens pensent. Des athlètes de tous les pays, qui se rencontrent, qui s'affrontent en fraternisant. Ça marche par gang, par discipline, par catégorie à l'intérieur d'une discipline.

En judo, une vingtaine de judokas par catégorie de poids, qui se connaissent depuis des années, qui se voient à toutes les Coupes du monde, les Olympiques c'est juste une compétition de plus, avec une vitrine plus grande. Il n'arrive jamais qu'un Papou que personne ne connaît batte tout le monde. Il y a eu des grosses surprises dans la catégorie mi-lourds de Nicolas Gill, mais ça reste dans la famille...

Ta défaite contre l'Italien c'est une surprise?

Pas vraiment. Je n'étais pas content de l'affronter. Je l'haïs. Pas le gars. Le judoka. Il a le style pour me battre. Il se bat très penché. Il pousse tout le temps, et moi je me bats mal en reculant. La surprise, c'est que je l'avais presque. Un autre avertissement pour passivité et je passais devant aux points. C'est là qu'il m'a retourné.

Les pires de tes quatre Jeux?

Non, les pires, c'est Atlanta. Les plus beaux, Barcelone, j'avais 20 ans, je fais une médaille de bronze. Les pires Atlanta, pas à cause du combat dont tout le monde se souvient qui a duré quelques secondes. Les gens oublient que c'était mon sixième combat. Ce qui m'a crevé le coeur, c'est que j'étais au top de ma forme, je n'ai jamais été un meilleur judoka que ces années-là, de 95 à 97... Sydney? C'est la médaille d'argent. C'est tout le contraire d'Athènes, tout ce qui pouvait aller bien à Sydney est allé bien. La grande satisfaction de ma carrière.

Qu'est-ce vous faites de vos journées?

Aujourd'hui, je vais au baseball.

Vous n'allez pas voir Despatie ce soir?

Oh moi vous savez les sports artistiques, c'est...

Trop?

PAS ENCORE DES MÉDAILLES? - Conférence de presse des jeunes femmes de vélo de montagne pour nous dire quoi donc? Rien. Que tout va bien. Tout va toujours très bien avant. C'est après qu'elles se souviennent qu'elles avaient un bobo ici. Remarquez que deux des trois filles sont des aspirantes sérieuses au podium dans la course de vendredi. D'abord Alison Sydor, 38 ans, dire que j'ai connu ça bébé quand elle courait sur route, je la revois au tour de Beauce qui avait alors un volet féminin, une petite blondinette toute effarouchée. C'est maintenant une dame au visage sévère, comme si toutes ces saisons à rouler dans la boue lui avaient laissé un masque de fatigue. Elle sent peut-être aussi que la jeune femme qui était assise à côté d'elle hier la pousse tout doucement vers la sortie. Marie-Hélène Prémont a connu plus de succès que Sydor sur le circuit de la Coupe du monde cette année. Si le circuit à l'européenne -beaucoup moins technique que chez nous, plus roulant- ne la dépayse pas trop, Marie-Hélène peut finir dans les cinq premières. La grande favorite de cette course sera la Norvégienne Gunn-Rita Dahle qui a tout gagné cette année. Et aussi une revenante, l'Italienne Paola Pezzo célèbre pour avoir couru les seins à l'air à Atlanta, ce qui avait donné au vélo de montagne, nouveau sport aux jeux, une belle «visibilité».

L'HEURE GRECQUE - J'ai fini par trouver un défaut aux Grecs. Ils se couchent trop tard. Les finales de ces jeux commencent souvent à 22h, parfois comme en athlétisme à 23h30, le départ de la finale du 1500 mètres a été donnée à minuit moins le quart, tu parles d'une heure pour courir! Au début, je croyais que c'était pour faire plaisir aux réseaux américains, mais non, 22h à Athènes, c'est le milieu de l'après-midi à New York et Montréal. Ça changerait quoi de commencer deux heures plus tôt...

On termine d'écrire à trois heures du matin, on se couche, on s'endort -vous l'avez peut-être remarqué dans quelques-uns de mes textes, des fois j'inverse, je m'endors avant d'avoir fini d'écrire-bref on essaie de dormir, et là, les chiens! Toute la nuit des bandes de chiens qui jappent. Et à 6h30 du matin, le coq se met à chanter. Chaque fois je me dis voyons, c'est mon rêve olympique, ça s'peut pas un coq. Des stades, des piscines, des courts de tennis, une station de métro, un peu plus loin sur le boulevard, des vendeurs de chars, dayousqu'il est ce putain de coq?