Le lundi 30 août 2004


Le bilan de la méduse
Pierre Foglia, La Presse, Athènes

Au dernier soir de ces Jeux, dans la magnificence des adieux, je me posais une question déjà nostalgique : dans quatre ans, par quoi les Chinois vont-il remplacer cette couronne de lauriers que les Grecs déposaient sur la tête des médaillés pour leur donner un petit look antique ? La pire que j'ai vue avec ce truc-là sur la tête, c'est une haltérophile chinoise, toute petite mais 322 livres, qui avait l'air d'une méduse, plus précisément qui avait l'air de la méduse dans mon livre de cuisine vietnamienne, page 23. Méduse au naturel : faites bouillir la méduse dans son eau de mer, ajoutez quelques feuilles de laurier.

L'ATHLÈTE DES JEUX - Michael Phelps et ses huit médailles. Qui d'autre ? Pour le Canada, le kayakiste Adam van Koeverden. Pour le Québec, Marie-Hélème Prémont, médaille d'argent au vélo de montagne.

LA PLUS BELLE COURSE - Le 800 mètres femmes, cinq filles en 1 :56, un finish au couteau remporté par l'Anglaise Kelly Holmes devant la Marocaine Hasna Benhassi. Mutola ? Quatrième. La course la plus décevante ? Le 5000 des hommes. Peut-être que je l'attendais trop. Peut-être aussi qu'El-Guerrouj commence à me tomber un tout petit peu sur les rognons. Il en met beaucoup, on dirait qu'il commence à se prendre pour sa légende. Et j'essaie encore de comprendre pourquoi les trois Éthiopiens et les trois Kényans qui l'accompagnaient n'ont pas essayé de le faire sauter avant le dernier tour. Le roi du Maroc les a achetés ?

LA DÉFAITE QUI M'A FAIT LE PLUS PLAISIR - Celle des États-Unis au basket. Cela n'a rien à voir avec le basket. Cela a à voir avec les États-Unis. C'est le genre de défaite qui aide les Américains à découvrir le monde. Les étoiles de la NBA ont perdu trois matchs dans ce tournoi, contre Porto Rico, contre la Lituanie et, en demi-finale, contre l'Argentine. L'Américain moyen ne s'en souviendra plus demain. Mais il commence à se douter qu'il y a d'autres pays que le sien dans le monde.

LE FLOP - Marion Jones. Mouillée dans l'affaire Balco, battue aux sélections américaines où elle a été écartée du 100 et du 200, la triple médaillée d'or de Sydney s'en venait sauver les meubles à Athènes. À la longueur. Et au relais. Deux médailles d'or à sa portée. Elle s'est plantée à la longueur, cinquième, dans un concours qu'elle aurait dû survoler tant il ne s'y est rien passé. Et elle est responsable de la disqualification du relais 4x100 américain. Partie deuxième relayeuse, elle est arrivée trop lentement pour placer le bâton dans la main de Lauryn Williams, déjà en pleine vitesse. Un sacré cauchemar pour la golden girl de Sydney.

Le flop canadien ? Non, pas Perdita. Elle n'a pas failli athlétiquement. Disons le huit à l'aviron, annoncé comme le fleuron du sport au Canada et qui s'est royalement planté.

Le flop québécois ? Macrozonaris. Émilie Mondor, c'est pas un flop, mais tout de même une déception. Elle est loin de sa forme de Paris l'automne dernier et de sa forme aux Championnats du monde de cross country du printemps. Trop longue saison ? Mal planifiée ?

L'INCIDENT DES JEUX - Je viens d'y assister. Un type déguisé en bouffon du roi s'est précipité sur le marathonien brésilien Vanderlei de Lima, qui menait la course. Il restait environ quatre kilomètres. Le fou a essayé d'entraîner le coureur en dehors du circuit. Des spectateurs se sont interposés. Une scène surréaliste. Le coureur a pu repartir. Il a perdu une vingtaine de secondes, je ne crois pas que cela ait changé le résultat. Belle victoire de l'Italien Baldini, qui a le même médecin que Lance Armstrong.

LA VICTOIRE LA PLUS SYMPATHIQUE - Celle de l'Américain Tyler Hamilton dans le contre-la-montre, son hommage à Bjarne Riis, le Danois, qui en fait un autre coureur, son étreinte sur le podium avec son copain Bobby Julich, l'autre Américain sur le podium.

TOUTES MES EXCUSES - Même si personne ne m'en a demandé, je dois des excuses aux joueuses de volleyball de plage pour mon allusion aux danseuses. Disons-le : cheap shot. Je n'en continue pas moins de trouver leur tenue plus indécente que mon propos. Ce mini-bikini est une grossière invitation au voyeurisme, particulièrement lors des services, quand la fille qui est au filet envoie des signaux à la fille qui sert. Elle a alors les mains sur les fesses, les caméras des télé s'attardent longuement sur les fesses de la fille, sous prétexte de nous montrer les signaux. Ah, ah ah ! petits comiques. Rappelons que ce costume est obligatoire. Des filles comme Guylaine Dumont ont vivement protesté auprès du président de la Fédé. Rien à faire, au contraire : le président en a remis en faisant parader, entre les manches, des pom-pom girls encore plus dénudées.

Pour ce qui est du sport lui-même, je continue de dire qu'il n'a pas sa place aux Jeux. Il y a déjà du volley aux Jeux, les joueurs du beach volley en viennent, d'ailleurs. Guylaine Dumont, par exemple, qui a joué pro en Italie et au Japon, est une grande athlète, mais va-t-on se mettre à inventer des versions bord-de-mer de chaque discipline ? Un concours de plongeon du haut des cliffs d'Irlande ?

LE SCANDALE DES JEUX - Les nouveaux rois du sprint sont américains, ils s'appellent Justin Gatlin (100) et Shawn Crawford (200). Ils sont crétins comme le sont d'habitude les sprinters américains, ils n'arrêtent pas de se frapper la poitrine, moi, moi, moi, et de montrer leur index pour dire qu'ils sont premiers.

Leur entraîneur, c'est Trevor Graham. Qui était le coach de qui, avant ? De Marion Jones et de son mari Tim Montgomery.

Montgomery qui a affirmé devant un grand jury fédéral que Graham dopait ses athlètes.

C.J. Hunter, l'ancien mari de Marion Jones, accuse aussi Graham : c'est lui le premier qui a montré à Marion comment se doper. Graham est l'entraîneur de six athlètes officiellement contrôlés positifs, dont Jerome Young. C'est pour ça que les Grecs ont fait tout ce raffut au départ du 200. Ils disaient: vous riez de nous parce que Kenteris et Tanou ont eu cet accident de moto, mais les vôtres aussi sont en mobylette...

UNE NOUVLLE DISCIPLINE OLYMPIQUE - Côté organisation, des Jeux impeccables, mais on va arrêter de s'en étonner, cela insulte les Grecs, qui préféraient presque nos doutes. Deux réserves : le logement, des cellules à 400$ la nuit, et la bouffe, dégueu comme d'habitude aux Jeux (pour les journalistes). Ma plus grande frustration comme journaliste, la même qu'à tous les Jeux : attendre les athlètes dans la zone. On passe plus de temps à ATTENDRE les athlètes dans les sous-sols des stades, dans les combles des gymnases et des piscines, qu'à regarder les Jeux. Des athlètes qui vont, de toute façon, nous répéter ce qu'il viennent de dire à la télé en direct.

Le deuxième jour, bris d'ordinateur. Plus de modem. Plus d'Internet. Grosses complications pour envoyer mes textes. Des nuits à zigonner. J'ai finalement adressé une demande officielle au Comité olympique international pour l'inscription d'une nouvelle discipline olympique, le lancer de l'ordinateur de plage. En anglais the beach computer throw. Je vais être dur à battre, je vous avertis.

Allez, je rentre dans mes terres. À bientôt.