Le samedi 8 janvier 2005


Peau de lapin
Pierre Foglia, La Presse

Pourquoi la contribution du Québec n'est-elle que de 100 000 $ ?
Ce n'est pas une bonne question. Si dans un an il se vérifie que le Québec s'est impliqué durablement sur le terrain, c'est même une bonne réponse de M. Charest.
Pourquoi le Canada a-t-il mis tant de temps à intervenir ?
Une autre mauvaise question. S'entendre avec les autorités locales dans des zones de conflit comme au Sri Lanka prend du temps. Une semaine plus tôt, une semaine plus tard, on verra dans six mois qui sera encore sur le terrain.
Vous en voulez, des bonnes questions ?
Pourquoi le tsunami et pas le Darfour ou le Rwanda hier ?
Pourquoi le tsunami et pas le naufrage quotidien de l'Afrique ?
C'est pas pour faire un match entre un tsunami et une guerre, entre un tsunami et une famine, entre le tsunami et le sida, mais rappelons tout de même que CHAQUE JOUR, sur la planète, meurent de faim -- ou des suites immédiates de la faim -- environ 100 000 personnes. Chaque jour. Cent mille personnes. C'était quand déjà, le tsunami ? Le 26 ? Disons il y a 12 jours. Un million deux cent mille morts de faim depuis le 26. Pas un mot. Pas un sou. Pas un article. Pas une photo. Pas un envoyé spécial.

Pourquoi les raz de marée et pas les raz de misère ?
Parce que le raz de marée est un bon spectacle ? Parce qu'on vit dans une société de spectacle et que ça nous prend de l'action, pour être ému ?
Parce que les raz de marée, pour terribles qu'ils soient, ont un début et une fin comme les films d'horreur, alors que les raz de misère ça ne finit jamais ?
Parce que c'est plus facile de faire la charité que de faire justice ?
Mais le pire, c'est quand j'ai vu débarquer les psys au Point. Ils étaient deux. Et un autre le lendemain... Ils se sont mis à appliquer aux enfants de Sumatra des médecines mentales qui conviendraient aux enfants de Saint-Hyacinthe (encore que je ne jugerais pas qu'elles conviennent tant que cela aux enfants de Saint-Hyacinthe), comme si les référents étaient les mêmes, comme si ces enfants-là vivaient les mêmes fragilités psychiques que les nôtres, comme s'ils avaient été fuckés, comme nous, par un siècle de pop-psychologie...

Saloperie de charlatans qui n'en finissent plus de palabrer sur les séquelles que laissera une tape sur les fesses de nos petits morons, mais qui jamais, au grand jamais, ne parlent des conséquences de la malnutrition sur les bébés. Or, chaque jour, sur cette planète, près d'un million de mères sous-alimentées accouchent à cheval sur une tombe... Le jour brille un instant, puis c'est la nuit à nouveau. Non, ce n'est pas un psy qui a dit ça, c'est un écrivain. Ce sont toujours les écrivains qui disent les choses importantes. Ici, c'est Beckett dans En attendant Godot.

Oui j'ai passé les Fêtes à bougonner. Cela a commencé la veille de Noël, à la radio, une émission animée par Frédéric Nicoloff sur le thème d'un Noël pluraliste, multiculturel, bref, canadian. Une jeune auditrice appelle. Musulmane. Je la cite de mémoire, les fêtes de Noël, c'est du cinéma, dit-elle, les chrétiens ne sont chrétiens que ce jour-là, moi, comme musulmane, je prie cinq fois par jour. Ça, c'est avoir la foi... Exactement ce que j'appelle l'arrogance de la différence des nouveaux arrivants. Et l'animateur qui reste coi, bien sûr. Le Canada dans toute son insignifiance multiculturelle. Encore quelques années et le petit Jésus sera en turban dans sa crèche, et sa mère portera la burqa.

J'ai passé les Fêtes à bougonner. Non, c'est pas les festivités. Je ne déteste pas. C'est tous ces trucs-là. Les psys. Le tsunami. Les petites nounounes voilées. Janette Bertrand toute nue. Enfin presque. Ce que j'ai contre Janette Bertrand ? Rien. Tout. C'est LA vieille parfaite, refaite, reconditionnée, remontée pour aller jusqu'à 112 ans, le temps d'écrire trois autres livres. Y a pu de vieux, au Québec, y a juste Janette Bertrand qui idéalise la vieillesse, ah ! le bel âge. Dans mon propre journal, l'autre jour, sur cinq colonnes : « Janette ne regrette rien ». Tant mieux. Mais y avait une photo et à sa place je regretterais au moins mon dernier face-lift. Elle a l'air d'une peau de lapin retournée. Quand j'étais petit, on gardait les peaux de nos lapins, on les retournait (le poil en dedans), on les bourrait de foin et on les faisait sécher sous l'appentis. Ça donnait des peaux distendues avec lesquelles papa nous fabriquait des tambours. Si je joue bien du tambour ? Pas pire. Un peu comme j'écris, tiens. Rien de délicat, mais du beat.

Qu'est-ce qu'on disait ? Ah oui, parlant de musique et parlant de bougonner, faut que je vous raconte mon dernier achat musical tel que commenté par Claude Gingras. Je cherchais un truc chez HMV, je ne l'ai pas trouvé, mais en fouillant je tombe sur un CD de musiques de films jouées au violon par Itzhak Perlman, dont le thème d'Out of Africa, t'sais quand Robert Redford lave les cheveux de Meryl Streep dans la jungle... anyway, j'arrive avec mon CD à La Presse, Claude Gingras est là. Hé ! Claude ! Tu connais Itzhak Perlman ?...

Il m'a regardé avec une telle souffrance... (Je n'ai jamais rencontré personne comme Claude, pour souffrir à ce point-là en regardant une chiure de mouche sur le bout de son soulier.) Il m'a dit, mon pauvre Foglia ! T'as pas encore attrapé la syphilis ? Non, c'est pas vrai, il n'a pas dit ça. Mais ça voulait dire exactement ça. Il a dit : T'as acheté du Perlman ? Pourquoi pas Angèle Dubeau, un coup parti ? Même les juifs les plus smoked-meat n'écoutent pas Perlman, même eux trouvent qu'il met décidément trop de relish et trop de moutarde dans son violon.

J'ai pas encore écouté mon CD. Je vous dirai. Mais quand Claude aime pas, en général je trouve ça pas pire. C'est une question de culture. Lui, c'est le piano. Moi, c'est le tambour en peau de lapin. N'empêche que le truc que je cherchais chez HMV et que j'ai pas trouvé, vous pouvez peut-être m'aider. Vous connaissez Gaston Miron. À une époque Gaston donnait des spectacles de poésie, accompagné de quelques amis musiciens (Bernard Buisson ?) et il chantait une petite toune de sa composition, un peu nounoune, et cependant très émouvante qui s'appelle La Rose et l'Oeillet, dont le refrain va ainsi : Mon amour la rose et l'oeillet / mon amour et les lilas. J'en ai très envie, voilà. Mais chantée par Miron, pas par un autre. Ce serait mon cadeau de Noël. Vous ne me faites jamais de cadeau, ni de dons, ni rien. Attendez-vous que je sois victime d'un tsunami ?