Le jeudi 13 janvier 2005


Courrier santé
Pierre Foglia, La Presse

Plutôt que courrier, retour sur deux chroniques écrites avant les Fêtes, deux chroniques sur la santé, qui disaient toutes deux que ce n'est pas le bordel que l'on croit dans la santé au Québec, et qu'à cette enseigne, Les Invasions barbares sont peut-être du bon cinéma -- mais très malhonnêtement documenté. Remarquez, je n'ai encore pas encore vu le film, ma fiancée est justement partie le louer au dépanneur du village qui a une section vidéo. J'ai assez hâte.

Deux chroniques santé donc. l'une sur le sang, les greffes de moelle osseuse et l'équipe de chercheurs de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. L'autre sur Riccardo, 49 ans, en phase terminale d'un cancer du poumon, que j'étais allé voir chez lui, dans Villeray, où j'avais été accueilli par Biko, un golden noir exubérant, écrivais-je, ce dont il s'est grandement insulté, m'a-t-on rapporté. Quel tata, aurait-il aboyé, avant de pisser sur ma chronique. Un golden ne peut être à l'évidence être noir. Il s'agit bien sûr d'un labrador. Toutes mes excuses à Biko.

Et mes excuses aussi à Riccardo qui m'avait convoqué expressément pour témoigner de la qualité des soins qui lui sont dispensés depuis deux ans, tant par le CLSC Villeray que par Entraide Ville-Marie, un organisme de soins palliatifs gratuits à domicile -- pour cancéreux seulement -- qui couvre tout Montréal et Laval. Cette partie de son témoignage est assez bien rendue dans mon texte, mais Riccardo m'avait dit aussi que ce système était grandement fragilisé par l'esprit PPP qui préside maintenant à la gouvernance des affaires de l'État. « Votre chronique laisse un peu l'impression d'une béate agonie, me reprochait-il gentiment le lendemain, alors que je suis peut-être le dernier des mourants heureux. Le système est menacé de toutes parts. Dans cet esprit des PPP (partenariats public-privé) qui fait de l'État une entreprise, le mourir aussi devra bientôt être rentable, croyez-le ou non, M. Foglia, on s'en va vers des soins palliatifs compétitifs ! »

C'est ce qui m'a le plus impressionné chez Riccardo, le mourant social. Comment rester un être social -- et soucieux du tissu social -- jusqu'à la fin. À ma dernière extrémité aurais-je, comme lui, la générosité de me soucier encore du bien commun ? C'est une question idiote bien sûr. On doit suivre sa pente plus encore dans ses instants là, je serai donc furieusement individualiste.

André Joyal, matheux de l'Université du Québec à Trois-Rivières que j'ai connu jadis dans l'entourage de Pierre Vallières et Charles Gagnon -- si c'est bien le même André Joyal -- m'écrit : Salut man, ce monsieur Riccardo fait oeuvre bien utile avant de mourir... Il y a trois ans ma mère a été hospitalisée (à Notre-Dame) en peine nuit. Elle avait 91 ans. Je suis allé la voir, elle était dans un corridor, oui dans un corridor et ça courait autour d'elle. Sauf qu'ils l'ont guérie. Quatre-vingt-onze ans. Ils l'ont retournée guérie dans son centre d'hébergement. Elle va bientôt avoir 95 ans.

Cela résume assez bien notre système de santé. Tu sais que Arcand a dit en entrevue que ce système était digne du tiers-monde ? Demande-lui donc c'était en quelle année il est allé au Sud-Soudan, la dernière fois...

Si la chronique Riccardo, publiée la veille de Noël, en a laissé perplexes plusieurs (ainsi Mme Perreault de Trois-Rivières, dont le mari, 47 ans, deux enfants, cancer du poumon, n'a pas encore réussi à avoir un rendez-vous avec un oncologue !), la chronique sur le sang et les greffes de moelle osseuse, publiée quelques jours avant, a fait, elle, l'unanimité. Il y a longtemps que je n'avais pas reçu un courrier aussi abondant, et aussi résolument enthousiaste.

À l'origine de cette chronique, le témoignage de Mme Christiane Sauvé, guérie d'une leucémie aiguë par l'équipe de chercheurs du centre de greffe de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, et en particulier, ici, le Dr Lambert Busque.

Quel hasard votre chronique de ce matin ! Je débute aujourd'hui un traitement qui va me conduire à une greffe de cellules souches à Maisonneuve-Rosemont. Je remercie Mme Sauvé de son témoignage, me voilà à espérer que je ne fais pas tout cela pour rien (Ève C).

Votre chronique tombe le lendemain du service d'une parente qui m'était très chère, Brigitte, décédée hier des suites d'une leucémie, elle avait 25 ans. Elle était traitée à Maisonneuve-Rosemont, probablement par la même équipe que Mme Sauvé. Je veux rappeler l'importance des dons de moelle pour ces greffes qui sauvent souvent la vie, même si cela n'a pas été le cas pour Brigitte. (Sébastien G)

Je suis étudiante en médecine, j'ai failli pleurer en lisant votre article, pourtant ce n'était pas triste, j'ai failli pleurer de joie, je crois bien. Il est vrai que je suis fatiguée, c'est la période des examens, mon dernier demain. Merci (Valérie).

Et beaucoup d'autres. Celui-là, Jacques Gauthier, a subi quatre greffes de moelle osseuse, la dernière datant du 2 septembre... Je veux insister sur la qualité des soins, le dévouement des infirmières de tout le personnel du Jewish General Hospital. Mon médecin, Martin Gyger, a travaillé 27 ans à Maisonneuve-Rosemont avant de faire des greffes au Jewish.

Pour finir, des nouvelles de Valentine. Elle va bien. Aussi bien qu'on peut aller avec un cancer dans les os. Plusieurs cancers en fait. Valentine est soeur missionnaire dans une petite congrégation qui a une antenne ici, boulevard Saint-Joseph. Valentine est nigériane, elle aura 40 ans au mois de mars. Adorable. Je vous ai parlé à quelques reprises des écoeuranteries que lui a fait Immigration Canada qui montre beaucoup moins de compassion pour les bonnes soeurs cancéreuses, que pour les danseuses roumaines. On était devenus amis même si des petites choses, Dieu par exemple, nous séparaient. Elle est repartie au Nigeria il y a environ deux mois. Elle en a eu soudain assez de la chimio et de tout ça. Elle se battait à mains nues si on peut dire, refusant tout médicament qui pouvait altérer sa lucidité, la morphine par exemple.

Quand je suis allé la saluer le jour de son départ, elle m'a dit : Si jamais vous deviez reparler de moi dans votre chronique, n'oubliez pas de remercier tout le personnel du service d'oncologie de l'hôpital Charles-LeMoyne, et particulièrement le Dr Jean Latreille. Ce sont des gens de bien. Des gens admirables.

C'est fait, madame.