Le samedi 29 janvier 2005


Les joies du badminton
Pierre Foglia, La Presse

Il y a quelques semaines, des vieux qui jouent au badminton au centre Claude-Robillard m'ont invité à aller jouer avec eux. Venez donc, on est une bonne gang. On a du fun. On est en forme. Je décline. Ils insistent. Je me pompe. Si vous voulez faire du sport, on va aller courir, mais pas à Claude-Robillard. On va aller courir dehors quand il fait moins 15, un 10 kilomètres. Ou 150 kilomètres de vélo cet été.

Ils voulaient juste que je parle d'eux dans le journal, je sais bien. Ils se sont finalement retrouvés dans Le Courrier d'Ahuntsic qui leur ont consacré un long papier. Et pourquoi pas ? Les journaux de quartier sont faits pour ça.

Je vais vous poser une devinette : pourquoi, d'après vous, ces pépés-kodak se sont-ils adressés à moi ? Vous ne trouverez pas. Ils se sont adressés à moi parce que je suis vieux. Dans leur petite tête blanche, je n'avais pas le choix, parce que je suis vieux COMME EUX.

Je suis en train de découvrir avec accablement que vieillir contraint au grégarisme le plus effarant. On n'est pas vieux tout seul. La vieillesse n'est pas un état, c'est un foutu troupeau. Et on n'a pas le droit de ne pas répondre à l'appel du troupeau, sous peine d'être traité de snob ou, le pire des crimes quand on est vieux, d'être accusé de jeunisse.

Viens-tu jouer au badminton avec nous ?

Jamais je ne serais allé jouer à quoi que ce soit avec ces gens-là quand j'avais 30 ans. D'ailleurs, ils ne me l'auraient jamais demandé. On ne se rencontrait pas, et si par impossible hasard on s'était rencontrés, il ne leur serait pas venu à l'idée plus qu'à moi de dire eh ! c'est le fun, t'as 30 ans, nous aussi, si on jouait au badminton ensemble ?

Ils n'ont pas changé. Moi non plus. Ils sont ce qu'ils ont toujours été ave 40 ans de plus et moi pareil. Fouille-moi pourquoi nous voilà soudain semblables par l'âge. Comme si les années avaient tout nivelé, égaux en goûts et cultures.

Pourquoi irais-je jouer au badminton avec vous ?

Parce que t'as pas le choix. T'as 64 ans comme nous. C'est la réponse implicite, l'évidence par en dessous. Je suis complètement terrorisé. Je ne veux pas rencontrer Claude l'ancien prof d'éduc, ni Guy le vieux pape, ni Germaine qui trimbale ses nombreuses raquettes, ni Réal et son service woo toon... (extraits du portrait d'ensemble, tel que rapporté dans le Courrier). Je veux pas devenir scout à mon âge, j'ai toujours hayi les scouts.

Je suis terrorisé. Pas à l'idée de vieillir. À l'idée d'être obligé de le faire en gang. Dans une maison de vieux ou dans un autobus qui s'en va au Faneuil Hall à Boston (et en revenant on s'arrêtera dans les outlets de North Conway).

Pourtant, un à la fois, j'ayis pas tant que ça les vieux. Ni les petites vieilles. Je te le jure. Invite-moi si tu veux. Si t'es pas un autobus, si t'es pas un groupe, si t'es pas un club d'ornithologie, si tu joues pas au badminton au centre Claude-Robillard avec Claude, Guy, Germaine et les autres, si t'achètes pas ton Viagra à la coopérative des aînés parce que ça revient moins cher en grande quantité, appelle-moi, on prendra le thé, on se fera une ligne. Fais-tu des confitures ?

Le civisme

J'ai arrêté de fumer il y a plus de 20 ans, mais je songe sérieusement à m'y remettre en fin de semaine. Pas par goût. Par civisme. Je sais bien, ce n'est pas agréable du tout, et puis ça coûte cher, ça pue et tu tousses comme un dératé, mais je vais me sacrifier, faut faire quelque chose. C'est assez d'intolérance. Allumer une cigarette est aujourd'hui un geste civique.

Le civisme est d'accepter les contraintes. C'était du civisme de la part des fumeurs de s'empêcher de fumer dans les lieux fermés, mais voilà qu'on leur interdit de fumer en public, à l'air libre, aux terrasses des cafés par exemple. C'est du pur fascisme. Quand la contrainte se fascise, alors le civisme exige de la refuser.

Ce que vous ne voyez pas bien pour rester aussi calmes, c'est qu'il ne s'agit plus ici de santé, mais de morale. C'est qu'on ne fait plus la chasse aux cigarettes, mais au MAL. On vient de changer de registre, on ne veut pas seulement vous empêcher de fumer, on veut aussi extirper le mal. On est en plein dans l'univers de M. Bush.

Quand j'entends les gentils petits médecins des émissions cool du matin déconner à peines ondes sur les fumées secondaires, j'ai envie de crier assassins.

Ont-ils entendu parler de l'Appel de Paris ? Cette centaine de scientifiques, dont quelques Prix Nobel, qui ont solennellement déclaré aux Nations unies, au printemps 2004 : « La pollution chimique menace la survie de la planète. » La survie de la planète. Et vous êtes là, petits comiques, à dénoncer les fumées secondaires, quand on crève par dizaines de millions de cancers chimiques dont vous ne dites jamais rien. Je considère qu'aujourd'hui 60 à 70 % des cancers sont dus à la pollution. Dominique Belpomme, professeur de cancérologie à l'Université de Paris-V, instigateur de l'Appel de Paris. Soixante-trois pour cent plus de cancer au canada aujourd'hui qu'il y a 20 ans, alors qu'on fume 20 fois moins qu'il y a 20 ans. Même en tenant compte du vieillissement de la population et d'un meilleur dépistage, 63 % de plus, c'est une stat absolument paniquante. (1)

J'ai la certitude que dans 100, 200, 300 ans, on fera l'effroyable bilan de ce quasi-anéantissement, à peu près dans les mêmes termes dont on parle aujourd'hui de l'Holocauste, et on se rappellera peut-être que les médecins de l'époque prévenaient du danger des fumées secondaires aux terrasses des cafés, quand l'air de ces mêmes terrasses et du pays tout entier était déjà plein des fumées délétères de l'industrie, jamais nommée, jamais dénoncée, et dont les grands manitous étaient toujours à revoir le prochain Kyoto à la baisse, avec bien sûr la complicité des politiciens.

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(1) Ce paragraphe est repiqué d'un article de Québec Science, signé Isabelle Cuchet, Cancer, malaise dans la civilisation, et je ne résiste pas à vous donner aussi l'exerce : On en est maintenant certain : la pollution empoisonne l'organisme humain. Le numéro d'octobre 2004, consacré entièrement à la santé.