Le mardi 8 février 2005


Le blues d'hiver
Pierre Foglia, La Presse

Cent kilomètres tout ronds, oui madame. En deux jours, mais quand même. 100 kilomètres de vélo durant ce premier week-end de février, ce n'est peut-être pas un exploit, mais c'est un sacré pied de nez à l'hiver. Samedi, un 45 kilomètres frileux, jusqu'à L'Oeuf où j'ai pris un chocolat chaud. C'est alors qu'est arrivée une grande dame rousse, vraiment très très longue, elle s'approche du comptoir pour se choisir un gâteau, me regarde : vous ne me reconnaissez pas ? Je ne la reconnaissais pas. Et ça, c'est pas normal. Une rousse ! Je me souviens de toutes les rousses qui ont traversé ma vie, même 30 secondes, même sur le trottoir en face, et je ne me rappellerais pas celle-ci de plus de six pieds ? Ça doit être le climat, l'effet de serre, le smog, le réchauffement de la planète. Je dois être déboussolé comme le calendrier.

Ça m'est finalement revenu. Elle était du tout premier stage d'été de La Presse, ces stages qui ont formé et forment encore des journalistes qu'on retrouve dans un peu tous les médias du Québec. Elle est maintenant à Elle-Québec. N'aviez-vous pas écrit un papier sur les grands pieds que vous m'aviez fait lire ?

C'était sur les grandes filles.

Le plus drôle, c'est que j'ai écrit une chanson dans ma vie, une seule, ce n'est pas très bon, mais il y est question de filles fluides aux ventres plats et aux seins lousses, rousses.

Anyway, dimanche je suis allé rouler les collines du Vermont.

Vous n'êtes pas le premier, lalalère, m'a dit la douanière américaine. J'étais euphorique. J'ai ôté mes gants pour mieux faire un doigt à l'hiver. J'ai pris un petit chemin que je ne prends pas souvent, la dernière fois c'était avec mon jeune collègue Simon Drouin. J'ai dû lui dire 100 fois, c'est beau, hein, Simon, c'est beau ! M'écoutait-il seulement ? À cet âge-là, sont pas fous de paysages en demi-teintes, de sous-bois modestes, cosy disait Julien Gracq dans ses Carnets.

Dans les cours des fermes, des paysans en bras de chemise m'envoyaient la main. Un enfant avec une tuque rouge m'a fait un brin de conduite sur un vélo jaune. Les automobilistes me souriaient : pour une fois je n'étais pas un maudit bicyk, j'étais une bibite qui leur annonçaient le printemps.

Un jour, dans 350 ans -- c'est bien la seule postérité à laquelle j'aspire --, quelqu'un dans un grenier tombera sur une Presse du 8 février 2005. Écoutez ça : ils faisaient du vélo au mois de février en ce temps-là. Mais qu'est-ce que je raconte ? Dans 350 ans, comme c'est parti là, il n'y aura plus d'hiver.

Peut-être plus d'humains non plus.

(Ce n'est pas tout à fait le même sujet, mais j'entendais l'autre midi que des scientifiques venaient d'établir que les champs magnétiques des lignes électriques étaient probablement la cause d'une recrudescence des cancers chez les enfants. Ce que niaient énergiquement d'autres scientifiques au service de... l'Hydro ! C'est dans ce monde à la fois risible et apocalyptique que je me dépêche de faire du vélo avant qu'il fasse trop chaud.)

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L'autre jour, en vous parlant musique, j'ai ouvert, oh très légèrement, vers le country et vous vous êtes précipités. Quand je parle livres, vous n'osez pas (je vous en félicite !), mais quand c'est musique vous venez me jaser, vous me suggérez des trucs, j'aime ça... Foglia as-tu écouté les derniers CD de Johnny Cash ? American trois et quatre... Je ne connaissais pas, non. Il y a une toune sur le quatre, je crois bien que c'est la plus belle toune que j'ai entendue de ma vie. Hurt. Ça vient des Nine Inch Nails, c'est pas écoutable par eux, par Nash et sa voix dépouillée qui casse, c'est à pleurer. Cash fait aussi une toune de Tom Petty, plusieurs, mais celle-là surtout, I won't back down qui est incroyable pour monter la côte de la douane en danseuse. J'écoutais ça dimanche en pédalant ma campagne cataleptique, détachée du temps et des saisons, puis je pensais à vous, je me disais faudrait bien que je les remercie... Puis j'arrêtais la musique pour m'environner de silence... Puis c'était l'Alléluia de Tim Buckley. Je sais, ça joue partout, ma fiancée est pu capable, c'est pour ça que je l'écoute quand je pédale... Puis juste après sur ma cassette -- ben oui, je suis encore aux cassettes de walkman --, juste après, vient le violon de Jocelyn Bérubé dans le Blues d'hiver du Grand Cirque Ordinaire... Enfin Gaston Miron : Beaucoup n'ont pas su / sont morts de vacuité / mais mais ceux-là qui ont vu / je vois par leurs yeux...

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SOLIDARITÉ

Je suis drôlement content que la grève de la SAQ soit terminée. Qu'est-ce que j'étais tanné de les entendre brailler. Tous ces connards que j'ai vu traverser les piquets de grève pour aller chercher leur essentiel pinard. Tous ces tatas qui par connerie, indifférence, insouciance, provocation parfois allaient chercher leur bibine et en sortant s'épanchaient dans les micros complaisants de TQS : ben quoi j'ai le droit. Quand j'étais petit, il y avait les ennemis du peuple. Aujourd'hui, de plus en plus, l'ennemi du peuple, c'est le peuple.

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RELAXATION

Vous savez, depuis le temps, que cette chronique a un lecteur chouchou, mon ami Maxïïïïïïme, toujours cégépien, qui rebondit de temps en temps dans mes courriels pour me donner une nouvelle qui ne peut attendre, comme celle-ci qui date d'hier : ma mère s,est fait couper les cheveux, courts, avec des petites mèches bourgogne. Avec ses grands yeux noirs elle a l'air d'une sexologue en santé.

Maxïïïïïïme est aussi mon exégète, le seul je crois en Amérique du Nord : en fouillant dans les archives électroniques, j'ai trouvé que le mot cul revient dans 522 de vos chroniques depuis le 12 mai 1988, vous étiez alors en Arizona.

Ici, il me raconte son cours de relaxation au cégep... Le local de relaxation est très grand et très propre. Il semble encore plus grand qu'il ne l'est à cause des miroirs qui couvrent tout le mur du fond. Nous nous asseyons à l'indienne sur un petit tapis, face aux miroirs. Nos mains sont molles sur nos cuisses. Le dos bien droit, il nous faut bomber le torse. Je suis le seul garçon du cours. On ferme les yeux. Quand le silence est installé la madame nous apprend à respirer. Elle a une maîtrise en respiration. On inspi-ii-iii-iii-re. On expi-ii-iii-iii-re. On respi-ii-iii-iii-re. C'est à ce moment-là que j'ouvre un oeil pour voir tous ces seins pointés qui se réfléchissent dans le miroir. Ça me relaxe.