Le samedi 19 février 2005


Le peuple souverain
Pierre Foglia, La Presse

J'entendais l'animateur d'une émission d'affaires publiques du samedi nous annoncer que, à son émission cet après-midi, on se poserait cette question : qu'est-ce qu'un hôpital universitaire ?

Qu'est-ce que tu veux que ça me foute, Michel (Lacombe) ? Je ne suis pas médecin, je ne suis pas dans la recherche, mon seul rapport à cet hôpital sera peut-être comme patient, qu'est-ce que cela changera à mon cancer du côlon que l'hôpital où on le soignera soit universitaire ou pas ?

Je viens d'une culture démocratique -- jacobine, bien entendu -- où le citoyen n'était pas appelé à se prononcer toutes les cinq minutes sur tout et sur n'importe quoi. On élisait des gens pour qu'ils gouvernent et ils gouvernaient, votaient des lois, construisaient des routes, des écoles, des hôpitaux sans se croire obligés de consulter le citoyen ordinaire sur l'intendance.

L'État n'était pas seulement « providence », il était aussi autoritaire, autorité qui s'exprimait par la tyrannie de ses technocrates et de ses experts. Au temps où je vous parle, un gouvernement n'aurait jamais abandonné le Suroît, serait allé de l'avant avec le financement des écoles juives et aurait depuis longtemps arrêté son choix sur Saint-Luc ou Outremont pour le CHUM. Et personne, même à Radio-Canada, ne se demanderait ce qu'est un hôpital universitaire.

Est-ce dire que le citoyen était moins porté à l'action politique en ce temps-là ? Pas mois. Différemment. On descendait dans la rue pour le pain et le beurre, pour des questions de justice sociale, pour défendre les droits des peuples plutôt que celui des individus.

Est-ce dire que les temps d'aujourd'hui sont plus démocratiques ? En tout cas, le discours démocratique est beaucoup plus fort aujourd'hui. Pas fort dans le sens de plus tonitruant. Plus éclaté et, disons le aussi, plus « n'importe quoi ». M. Charest se réclame tout autant de la démocratie que le syndicat des cols bleus. Sauf que ce n'est pas la même. La démocratie ne s'est pas enrichie en se diversifiant, elle s'est plutôt instrumentalisée.

La démocratie se confond de plus en plus avec la souveraineté du nombre, et de plus en plus aussi avec les prévisions météorologiques. D'où vient le vent ? Et comment naviguer sous le vent ?

Prenez le Suroît. Le peuple n'en voulait pas et il est monté au créneau. Victoire de la démocratie ? Pas sûr. L'épisode a servi de tremplin au gouvernement Charest, qui a rebondi avec son ministère du Développement durable, du pur marketing politique destiné à maquiller son parti pris du développement tout court et à tout crin. Rappelez-vous, deux semaines après, cette loi qui a interdit aux citoyens de s'adresser aux tribunaux pour se plaindre du bruit que font les motoneiges quand elles passent dans leur cour. Une loi pour interdire d'avoir recours à la loi. Encore tout étourdi de sa victoire dans le Suroît, le peuple a laissé passer cette énormité sans broncher. C'est l'exemple parfait d'une démocratie à l'intox.

Y a pire. Il y a en ce moment cette commission Gomery qui a offert à un ex-premier ministre du Canada une extraordinaire tribune pour se défendre d'un crime qu'il n'a pas commis, sans jamais l'interroger sur celui qu'il avoue, que dis-je, qu'il revendique comme son plus joli coup politique. Il dit : il fallait sauver le pays. Et tout le monde d'opiner du bonnet. Et tout le monde de souscrire au moyen. Quel moyen ? Cet insultant, ce honteux raccourci de la démocratie : le marketing. On allait vendre le Canada, ou acheter le Québec, je ne sais trop, vendre, acheter, mais pas convaincre. Pas expliquer. Trop compliqué, trop long, trop risqué.

Dans ce pays où les habitants ne sont pas loin de croire qu'ils ont inventé la démocratie, un ex-premier ministre avoue avoir choisi le marketing parce que la démocratie c'est trop risqué et cela ne fait pas scandale. Et cela ne fait pas la une. Cela ne mérite aucune ligne dans aucun journal. Et vous, en écoutant cela, vous demandiez où serait construit ce putain de CHUM.

Je vais vous dire où : il sera construit là où ça fera le moins mal à M. Charest. À Outremont s'il calcule pouvoir le faire avaler au peuple sans trop de dommages. À Saint-Luc, s'il n'a vraiment pas le choix. Ce qui est sûr, c'est que M. Charest ne choisira pas un site. Il choisira le moindre mal pour le parti libéral. Et si c'est Saint-Luc, comme je le crois, ce sera une autre grande victoire de la démocratie, sauf que la démocratie est maintenant en PPP de la cave au grenier.

Ma culture démocratique m'avait fait naïf. J'ai longtemps cru que les experts, les technocrates n'avaient pas besoin de mon avis pour construire un hôpital. J'ai longtemps cru qu'on choisissait un gouvernement comme porte-parole de nos idées (plus que de nos intérêts, d'ailleurs), et qu'une fois choisi on devait le laisser gouverner en présumant qu'il le ferait dans l'intérêt de tous. Avec tout de même une opposition alerte comme chien de garde. J'étais naïf, je vous le répète.

Votre culture démocratique a pris résolument le virage de la souveraineté populaire : sondages toutes les cinq minutes, référendums, pages d'opinions, tribunes libres, etc. Et avec ça, vous vous imaginez tenir le gouvernement en laisse.

J'étais naïf. Mais vous, vous êtes un peu cons, je trouve.

Le génocide

L'histoire est vraie, à vous de décider si elle est « cute » ou navrante. C'est un prof qui enseigne la technologie en troisième secondaire à Laval. Même si cela n'a aucun rapport avec sa matière, il commence chacun de ses cours par quelques minutes d'actualité, histoire de « connecter » les ados de sa classe au monde qui les entoure.

Ce matin-là, dans l'actualité, le général Roméo Dallaire et le Rwanda. Quelqu'un peut-il me dire qui est Roméo Dallaire ? Un indice : il a écrit J'ai serré la main au diable. un autre indice : il est la personnalité de La Presse de l'année. Un autre indice : il commandait des troupes de l'ONU... Un élève réagit enfin, ah ! oui oui oui, c'est rapport au génocide de Rouyn-Noranda.