Le mardi 22 février 2005


La lettre de François
Pierre Foglia, La Presse

Salut vieux Pierre, souvent quand je traverse ta chronique et que je te sens bougon et chialeur, j'ai envie d'aller te chercher pour t'amener au jardin botanique, au cinéma, j'ai envie de te faire rire avec mes niaiseries... Je suis toujours le même fou du roi que tu connais, un imbécile heureux, un VIP, un Véritable Idiot Professionnel, tu sais j'essaie vraiment d'aider les humains à rire un peu, souvent c'est de moi qu'on rit, mais bon on rit, c'est toujours bien ça...

Il arrive régulièrement que des lecteurs, pensant me désobliger, me traitent de fou du roi. Je n'en ai, hélas, ni les aptitudes ni la générosité. Même pas le costume. L'autre jour, j'arrive chez François Gourd qui est, lui, un authentique fou du roi -- il n'a jamais pratiqué d'autre profession que celle-là. Il était vêtu d'un magnifique veston d'empereur chinois à fleurs de lotus rouge, le téléphone a sonné comme j'entrais, et il a répondu sans laisser le temps à son correspondant de se nommer : c'est pour me donner de l'amour ou de l'argent ?

Je connais François depuis... en fait je ne le connais pas beaucoup, mais quand on se croise, ça tombe toujours bien, il a toujours un festival, un événement, une performance à annoncer. C'était un film, cette fois-çi. Sur lui-même. Cela s'appelle l'Avis d'un fou. J'ai l'affiche devant moi, sous la photo de François en habits de bagnard, son chien Jobinne sur l'épaule, un texte déjanté, en caractères arabes : « François Yousouf Ben Lagourd, acteur séditieux, cinéaste propagandiste de foulosophie et de terrorisme burlesque, membre du réseau Youkaïdi-Youkaïda, auteur des Versants Satyriques. Y s'lamante pas, fatwa z'en pas. Un film de S. Speilgourd mettant en vedette François Depar-Gourd. » Le film sera présenté le 1er avril au cinéma Ex-Centris.

Du François dans toute sa splendeur hirsute de bouffon patenté. Toujours trop de jeux de mots, quelques fautes de goût, mais jamais de syntaxe. Il fait rire de lui à la manière d'un clown classique, il n'a pas cette haine de soi dont on fait les Coluche (et quelques chroniqueurs), c'est bien pour cela qu'il a raté la résurrection du Parti rhinocéros : il n'avait pas à régler les comptes politiques de Dr Ferron. Bref, c'est un trop gentil garçon. Mon problème, quand je rencontre François Gourd, c'est que je ne l'écoute pas. Il est toujours avec un chien et je préfère toujours le chien. Je me souviens qu'il a promené pendant des années dans le panier de son vélo, un chien extraordinairement gentil et brillant. Cette fois, il y en avait deux, deux adorables boston terrier, plus deux chattes magnifiques, je n'avais pas assez de mains.

J'arrive de Chine... un jour dans un foyer pour aînés, l'infirmière me dit, la vieille dame dans la chaise, ne vous en occupez pas, elle ne veut rien savoir. Quarante minutes après, la vieille dame dansait, je lui avais mis mon nez rouge de clown, je jouais de l'accordéon et elle dansait... l'infirmière a dit que c'était un miracle, je crois aux miracles, ils sont nécessaires.

Il n'y en a pourtant pas eu au Cirque du Soleil. Guy Laliberté est allé te chercher. Il voulait que tu foutes un peu le bordel dans son empire trop bien huilé. Au bout de deux mois il t'a mis dehors. Qu'est-ce qui n'a pas marché ? Le fou a été trop fou pour le roi ? Ou pas assez ? Serais-tu plus habile à faire danser les vieilles chinoises que les directeurs de cirque ?

Il me raconte une histoire de hamac qu'il voulait faire installer dans son bureau et qui a indisposé la direction, mais au fond, ce qui n'a pas marché, c'est tout simple : il n'est pas le fou d'un seul roi, il n'est pas un fou qu'on enferme.

Il a inventé les Foufounes Électriques parce qu'il n'avait rien d'autre à faire à l'époque. Il s'occupe toujours du Festival de Musiques Incroyables de Saint-Fortunat où il passe cinq mois par année, comment ferait-il s'il était au cirque ? Et tiens, l'autre fois, il était au café Pharmacia Espéranza, coin Saint-Laurent et Saint-Viateur, et il a eu un flash de granole en accolant les deux mots, pharmacie et espoir, cataplasme sur une jambe de bois, et cataplasme sur une âme de bois. Il a appelé Pascale Bussières. Hey, Tchikaboum, tu connais la Parmacia Espéranza ?

Pascale Bussières y est allée. Et Claude Laroche, André Melançon, Armand Vaillancourt, Stéphane Crête, Sylvie Legault, Alexandrine Agostini, Lou Babin, d'autres, des cameramen, des preneurs de son, et ils ont fait un film. En 12 heures. Ils ont improvisé. Cela s'appellera La Pharmacie de l'Espoir.

Un rassembleur, un organisateur de bingo psychédélique, un extraordinaire éleveur de chiens qui n'a que le défaut majeur : il fait des jeux de mots débiles. Je dis ça... n'empêche qu'il m'a fait un cadeau que je porterai cet été en vélo. C'est un t-shirt des Hells. Sauf que dans l'écusson, au lieu de Hells Angels c'est écrit Hells Zheimers. Et sous Chapitre du Québec : Je me souviens pu.

Foglia, tu m'avais dit : je vais te téléphoner lundi, j'avais bien hâte. Au lieu du téléphone tu as parlé de moi dans ta chronique, je voulais te faire rire, te prendre dans mes bras, mais tu n,existes pas, tu n'es que des mots...

Il arrive régulièrement que des lecteurs me traitent de fou du roi. Ils pensent me désobliger. Ils me donnent seulement le regret de ne pas être libre comme François.