Le samedi 5 mars 2005


La langue de l'humour
Pierre Foglia, La Presse

Quand j'étais petit, j'avais honte de mes parents, qui parlaient si mal français que mes camarades s'en moquaient en imitant leur accent. Mes parents, qui étaient italiens, parlaient aussi très mal l'italien, comme d'ailleurs les trois quarts des Italiens qui, jusqu'à l'arrivée de la télévision, baragouinaient un patois différent d'une région à l'autre. C'est la télévision et la radio qui ont normalisé la langue italienne. Et c'est aussi récent que le début des années 60.

Pourquoi je vous raconte ça ? Pour que vous vous sentiez moins seuls. Pour une autre référence que la France, toujours la France, rien que la France.

Quand je suis arrivé au Québec, au début des années 60, les Québécois parlaient un français assez différent de celui des Français, différent aussi d'une région du Québec à l'autre. Quarante-cinq ans plus tard, on ne parle toujours pas tout à fait le même français à Chicoutimi, Montréal et Angoulême, mais les différences se sont considérablement amenuisées. La différence est presque toute, maintenant, dans l'accent.

On parle et on écrit beaucoup mieux le français aujourd'hui au Québec qu'il y a 45 ans. Et cela pour la même raison qu'en Italie : la télévision et la radio ont rapproché le Québec du français international. L'éducation aussi : beaucoup plus de gens vont à l'école beaucoup plus longtemps. Ce n'est pas parfait. Y a comme du slack dans la syntaxe. Mais le nivellement ne se fait jamais par le haut comme le rêvent les élitistes, il se fait par le milieu -- disons entre le milieu et le bas -- bref, le niveau monte lentement, mais il monte, n'en déplaise à Denise Bombardier.

Je vous disais que lorsque j'étais petit, j'avais honte de mes parents. Je crois que Mme Bombardier est toujours petite et qu'elle a toujours honte, sinon de « ses parents », de la parenté. Son accablement préféré : dieu que les jeunes Québécois parlent mal. Quand ce n'est pas la petite fille du dépanneur qui oublie le « ne » de la négation, ce sont les humoristes qui parlent comme « des demeurés et des ignares » devant les caméras de TV5. Que va penser de nous la francophonie ?

La francophonie pense toujours la même chose des Québécois, chère madame. Elle pense tout benoîtement : quel drôle accent ! Je parle de cette première impression que laissent les contacts superficiels, médiatiques en particulier : qu'il dise n'importe quoi, le québécois est d'abord un accent, une musique avant d'être un discours. Et, à l'inverse, il en est ainsi de l'accent français pour les Québécois ; et américain pour les Anglais ; et chilien pour les Espagnols. L'autre jour, dans un café de la Petite Italie, le serveur me racontait je ne sais quoi avec un épouvantable accent napolitain ; il s'arrête soudain et me dit : tu m'écoutes pas, hein ?

Non, je n'écoute pas ce que tu racontes. J'écoute ton accent pourri.

Tout ça pour vous dire que Patrick Huard serait plus subtil que Sol, cela n'empêcherait pas M. Ardisson de l'interpeller sur son accent. Tout cela pour vous dire aussi que je n'ai pas remarqué que les humoristes parlaient plus mal que la moyenne des ours. Ni n'étaient plus vulgaires.

Pour rester deux secondes dans le « normatif », les humoristes ne sont pas pires, par exemple, que Mme Louise Lantagne, directrice des émissions culturelles de Radio-Canada, qui disait l'autre matin à Homier-Roy que Félix Leclerc était un des plus grands icônes du Québec. Une icône, tatane. Les humoristes ne sont pas pires que moi, qui entamais ainsi ma chronique papale de la semaine dernière : il ne reste plus un garde-robe à louer à Rome. Une garde-robe, épais.

Quant à la vulgarité, c'est surtout affaire de ton, de contexte, d'appréciation. Il est par exemple des « qu'à mange d'la marde » résolument vulgaire, mais il en est aussi des jubilatoires, des libérateurs qui participent moins de la correction de la langue que de l'élan du coeur. Vous me suivez, madame ?

Pour en finir avec les humoristes, je ne comprends pas cet acharnement des médias à leur endroit. Certes, je les trouve nuls pour la plupart, mais contrairement à mes collègues, je ne les trouve pas si envahissants. Patrick Huard ne me dérange pas du tout, je ne le vois jamais, je ne l'entends jamais, Ni les François Massicotte, Peter McLeod et autres François Morency. Faites-vous exprès d'écouter les radios ou les émissions de télé où ils sévissent ? Il m'arrive de les croiser quelques très courts instants dans les publicités de leur spectacle, et ce que je trouve alors affligeant, c'est le petit couple hilare qu'on nous montre à la première table en avant, elle surtout, qui rit à gorge si déployée qu'on voit le fond de sa petite culotte. J'ai dit affligeant ? Plutôt attristant. C'est que j'ai alors l'impression de deux planètes, deux humanités qui dérivent dans des directions opposées et bien sûr, madame Bombardier, vous êtes sur ma planète à moi. Rien vraiment pour me consoler.

Qu'est-ce que je disais ? Ah oui, que je ne comprends pas l'entêtement des critiques, chroniqueurs, voire éditorialistes, à vilipender des gens si facilement évitables. Alors que les chanteurs ! Ou les chanteuses ! Essayez donc de passer toute une semaine sans entendre Lynda Lemay ou Isabelle Boulay, ou les deux « en boucle », ou en grappe avec Boom Desjardins et Dany Bédar. L'ennui que distillent les neuf dixième des chansons québécoises ne vous font pas honte, madame ? C'est sûr, si vous écoutez Michel Drucker...

Pour revenir à l'essentiel, la langue française a de plus redoutables ennemis que les humoristes. À Commencer par ces intellectuels bien pensants accrochés aux poils du cul de la norme, comme des morpions au pubis d'une vieille linguiste.

Et à l'autre extrême, des linguistes encore, mais ceux-là attachés à faire sauter la norme, particulièrement la norme orthographique. Des gens qui prétendent nous faire écrire ognon et nénufar, sous prétexte que tout change, alors pourquoi pas l'orthographe. Il paraît que cela faciliterait grandement la tâche des élèves. Comme si le problème était dans l'orthographe. N'importe quel prof de secondaire ou de cégep vous dira qu'il s'agit d'un problème d'organisation syntaxique. Les élèves sont souvent incapables d'écrire une phrase qui tient debout. Et ce n'est sûrement pas la faute des humoristes.

C'est la faute à qui, alors ?

Je sais pas. Bon.