Le samedi 12 mars 2005


Qu'avez-vous appris au juste ?
Pierre Foglia, La Presse

Que les agences de publicité retenues par le Parti libéral pour optimiser le programme des commandites contribuaient à la caisse du Parti libéral. Grande nouvelle. Pensez-vous que les agences retenues par le Parti conservateur ou le Parti québécois font autrement ?

Vous avez aussi appris que, pour contourner l'ancienne loi sur le maximum qu'une entreprise pouvait verser à la caisse électorale d'un parti, l'entreprise en question contraignait ses employés à contribuer personnellement... en les remboursant, évidemment. C'est la première fois que l'on vous met au courant de cette pratique ? Vous étiez où, ces 20 dernières années ? Dans le coma ?

Vous avez appris surtout que ces agences de publicité surfacturaient le gouvernement pour leurs services, services qui consistaient le plus souvent à prendre le chèque des mains du fonctionnaire qui venait de le signer pour le remettre dans les mains de l'organisateur de l'événement commandité. Je vous signale qu'on appelle ces gens-là des intermédiaires. C'est le plus vieux racket du monde. Le plus légal aussi.

Bref vous n'avez rien appris du tout. M. Chrétien a raison : la commission Gomery ne sert à rien. La section des crimes économiques de la GRC aurait pu faire la job plus efficacement à moindres frais. Mais vous aimez qu'on vous amuse. Vous aimez que la justice, ou ce qui lui ressemble, se donne en spectacle. Vous aimez qu'on retourne sur le gril quelques encravatés. Vous aimez cette fausse impression de déboulonnage -- pour citer Vadeboncoeur : Ces vers qui grouillent sous les monuments qu'on renverse.

Un bon show. Mais à la toute fin, vous n'aurez rien appris. Parce que vous vous serez trompés de question. Combien. Qui. Avec qui. Comment. À quelle heure. Quel pourcentage. Qui a signé ça et qui était au courant. Combien de fois Chose a rencontré Machin. C'est facile de ne pas se souvenir. Et se souviendraient-ils, vous apprendriez quoi ?

Le cynisme est un bien vilain défaut, mais il présente l'avantage de faire l'économie de questions inutiles. La seule question qu'il fallait poser ici, et la reposer mille fois en cognant du poing sur la table jusqu'à ce qu'elle fasse voler en éclats ce pays impossible, c'est :
POURQUOI ?

LA VIOLENCE

Le discours sur la violence du ministre Fournier, l'autre jour, après des incidents mineurs -- quelques graffitis et des meubles endommagés par les étudiants qui occupaient son bureau -- ce ton de tolérance zéro, était pure provocation. Ce discours contre la violence était en fait un appel à la violence. Être étudiant, je serais retourné illico à son bureau casser ce qui restait de son mobilier.

Il n'y a pas de cause qui justifie le recours à la violence, a dit le ministre.

Ah non ? En connaît-il une seule qui se soit gagnée sans violence ? La violence n'est pas affaire d'opinion. Être contre la violence, c'est comme être contre les inondations. Personne n'est pour, elles arrivent. La violence sociale a moins à faire avec la fureur de manifestants qu'avec la surdité du pouvoir. On commence par crier pour qu'il entende. Il n'entend jamais la première fois. Ni la deuxième. Ni la dixième. La centième fois, une vitrine vole en éclats. C'est pas bien. Mais c'est pas si grave non plus. Il n'est pas de désordre doux. D'ordre non plus, d'ailleurs.

LE CON

On a passé une partie de la semaine à commenter le procès de Sophie Chiasson, cette jeune femme qui poursuit Jeff Fillion, l'animateur de CHOI. On est tous là à chercher une nouvelle manière de parler de cette plaie qui fait se gratter tout le Québec. Sous quel angle, cette fois ? La liberté de parole ? Le droit à la subversion ? Et si c'était un honneur de se faire insulter par Fillion ? Pourquoi n'aurions-nous pas, nous aussi, un Howard Stern, un Rush Limbaugh ? Sommes-nous trop frileux ? Tout cela n'est-il pas la faute, finalement, du CRTC ? La censure n'a-t-elle pas fait de lui un phénomène ? L'ignorer ou le poursuivre comme le fait Mlle Chiasson ? On est là à se gratter quand soudain, à la télé, quelqu'un refait jouer ses propos. Le mot-à-mot.

Ciel ! C'est de cela qu'on allait débattre ? On s'apprêtait à polémiquer, manches retroussées comme pour un combat contre la haine, contre le racisme, pour le droit à la dignité, et on se retrouve devant un con. Tout simplement un con.

Vous dites ? Que j'ai aussi traité de con mon collègue Franco Nuovo, l'autre jour. Foutez pas le bordel, vous, OK ? Fillion, c'est un autre stade de la connerie. Fillion, c'est le con anal. Le con étron. Alors que Nuovo n'est pas salissant du tout, avec l'autre on s'en met partout.

QUÉBEC

L'autre matin je suis allé à Québec, j'ai pris le train. Cinquante dollars. Et encore, je paie moins cher parce que je suis vieux et que je partais de la gare de Saint-Hyacinthe. Si t'as 22 ans et que tu pars de Montréal, ça doit bien coûter 300 $... J'étais invité au Château Frontenac par le chef des cuisines, M. Jean Soulard. Tout le monde me disait : tu vas voir, il est très, très gentil. Ce qui annonce généralement un joyeux tôton. Pas celui-là. Gentil vraiment. Il m'a posé plein de questions, c'est lui qui faisait l'entrevue, elle a été publiée dans Le Soleil la semaine dernière. Il m'a demandé un drôle de truc : pour quel grand journal auriez-vous aimé travailler ?

J'ai déjà rêvé à L'Équipe parce que c'est le seul journal dans lequel je pourrais parler d'athlétisme 12 mois par année. Anyway, pour revenir à Québec, j'ai rencontré un type dans les escaliers qui montent de la rue Couronne vers la rue Saint-Jean. Il était assis. Il me dit : je souffre. Vous voulez des sous ? Non, je souffre, il me répète. Marchez avec mois, ça va vous faire du bien. On est allés jusqu'à la librairie Pantoute. Je lui ai acheté le dernier roman de Victor-Lévy, Je m'ennuie de Michèle Viroly. Il l'a ouvert à la hauteur de ses yeux comme un curé qui lit son bréviaire en marchant, je ne voyais plus sa tête derrière.

Moi, je l'ai déjà. Je vais le lire en vacances.

Je pars de vacances, lalalère. Je vous reviens avant Noël, promis. Ah oui, si le pape meurt pendant que je suis parti, pas de panique, ils vont repasser ma chronique de l'autre fois, je ne vous laisserais pas seuls dans un moment aussi difficile.