Le mardi 12 avril 2005


Cela va de soi
Pierre Foglia, La Presse

Je vais vous parler de Cuba probablement toute la semaine, cela tombe par bonheur dans le creux de l'activité même si je vous entends déjà protester : un creux, Gomery ? O.K. d'abord, une parenthèse sur Gomery, mais sur la pointe des pieds, tant je me sens , une fois de plus, peu concerné, presque tout seul sur ma planète.

Je ne partage pas vos indignations et encore moins votre intérêt pour le récit interminable des magouilles de la valetaille libérale. Est-ce parce que je n'ai pas besoin qu'on me mette les points sur les i, en particulier sur celui de cynisme ? Il s'agit pourtant d'autre chose que de cynisme, ici. Je vais vous faire hurler et m'en excuse d'avance, mais il s'agit presque d'assentiment, du moins du sentiment que tout cela va de soi.

Combien de fois dans cette chronique ai-je déploré -- avec naïveté, avec romantisme, avec idéalisme, me l'a-t-on assez souvent remis sous le nez -- combien de fois ai-je relevé que les partis politiques, tous les partis politiques, travaillaient d'abord à leur réélection et ensuite, ensuite seulement, au bien commun. Sans jamais hésiter à sacrifier le second objectif au premier. Dès lors que l'idée première est de se faire réélire, les accommodements avec la loi électorale vont de soi, il me semble.

Et pour revenir à la situation particulière qu'explore la commission Gomery, combien de fois vous ai-je renvoyés au motif premier des commandites, qui commanditaient quoi ? Le Canada ? Même pas le Canada. L'image du Canada au Québec. Tous les députés libéraux sont fiers de cette trouvaille, écoutez seulement Mme Copps claironner, aujourd'hui même, maintenant, sa certitude d'avoir sauvé le pays. Écoutez aussi les indépendantistes : ils ne dénoncent pas le principe, mais ses dérapages. Je les sens parfaitement capables de commanditer le Québec auprès des Québécois avec l'argent des contribuables. N"est-ce pas ce qu'ils faisaient quand ils étaient au pouvoir ?

Or j'en ai, moi, contre le principe. J'en ai contre les concepts de communication persuasive appliquée à la politique. Toute la noblesse de la politique tient dans sa REPRÉSENTATION. Représenter des gens. Incarner leur volonté. C'est ça, la politique. Mais dès lors qu'on inverse le processus, dès lors qu'on utilise les méthodes de la pub et du marketing pour influencer, diriger, canaliser cette volonté populaire, on vient de quitter la politique, on vient d'abandonner la noblesse de la représentation pour le déchet démocratique de la pub. Loin d'être à l'écoute de la volonté générale, on la FABRIQUE. T'en veux du Canada ? T'en veux du chocolat ?

Il est là le scandale et seulement là. Le reste va de soi.

Bien sûr qu'il est ironique que ces commandites mises sur pied pour sauver le Canada risquent de le détruire. Si par extraordinaire cela devait arriver, alors le Canada aura eu le même destin qu'Al Capone. Rappelez-vous comment est tombé le plus grand gangster de l'Histoire. Pour ses crimes majeurs ? Pas du tout. Ils l'ont coincé pour une niaiserie, un petit manquement à la loi de l'impôt.

Ainsi des révélations de la commission Gomery qui vous ébaudissent tant : des niaiseries qui vous cachent le crime majeur, le programme de commandites lui-même.

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S'cusez, cette parenthèse sur la pointe des pieds qui s'est un peu éternisée. Parlant de pieds, certains diront que je les avais dans mes gros sabots. S'cusez encore, ce n'est pas la première fois que je vous tenais ce discours dans d'autres mots, c'est à force de se répéter qu'on finit par dire exactement ce qu'on veut dire. Je n'en suis plus très loin, je crois.

Cuba, donc. Et cette fois, je ne me laisserai plus distraire, même si le pape ressuscitait. Cuba, donc. J'y étais en vacances, mais pas avec les vacanciers, allergique que je suis au farniente des bords de mer. Je suis quand même allé me baigner le dernier jour sur une plage réservée aux clients d'un hôtel qui portaient tous un petit bracelet bleu au poignet ou à la cheville, jusque ça je ne serais pas capable, pourquoi pas un anneau dans le nez ? Enfin bref, je me tire une chaise sous un arbre qui dispensait une ombre rare, j'ouvre mon livre -- Cavalerie rouge, le journal d'Isaac Babel, un intellectuel juif du début du siècle qui s'efforce de croire à la révolution socialiste --, j'ouvre mon livre, ah non ! pas déjà du sable dans mon livre ! Du sable fin, du sable blond, du sable de poupoune, du sable qui faisait de cette oeuvre terrible une bluette balnéaire; et puis il y avait à deux pas ce couple qui couvait une chicane de ménage, pourquoi tu boudes ? Je boudes pas, bon.

Fuck la plage. Je ne sais pas comment vous faites. Je suis allé faire pipi dans l'Atlantique et je suis parti.

Ce fut la seule fois. Le reste du temps, j'ai parcouru le pays à vélo, j'habitais chez des gens, mangeais à leur table, après souper, on écoutait Fidel à la télé ou le baseball, ils sont en pleines séries mondiales. Ou bien on se berçait sur la galerie qui donnait sur un jardin qui tient plus de la forêt tropicale que du potager, deux cocotiers, un caféier, un goyavier et plusieurs bananiers, des poules, un cochon, un cheval, non pas de chat, ils ne sont pas très chat les Cubains, sont plutôt chien. Il y avait une chienne et son bébé trop pataud pour monter la volée de marches qui menait à la galerie, arrivé presque en haut, il redéboulait en bas... t'es bien nono !

Pas un reportage. Des vacances. La différence ? Rien révisé. Rien relu. Pas de préméditation. Pas de sujet. Pas d'angles. Comme ça vient. Pourtant, l'envie d'écrire n'est jamais loin. T'es là, t'es bien, et soudain cette débile démangeaison au bout des doigts : écrire que je suis bien. Et forcément rompre le charme en notant... le charme de l'endroit.

C'était au bout d'une route défoncée, à une vingtaine de kilomètres de notre pension, trois bancs de pierre sur un promontoire surplombant une baie qui s'enfonce loin entre les collines. Je notai le vert plus clair des eaux de la baie, le bateau de pêche qui venait d'accoster au quai, les deux ou trois maisons de pêcheurs, misérables. Devant l'une d'elles, une chèvre attachée à un piquet qui se lamentait au bout de sa corde. Un type sort de cette maison-là, vient jusqu'à moi, me baragouine quelque chose et soudain je comprends qu'il me propose sa femme.

Pourquoi pas la chèvre ?
Cela le fait rire. Les deux, si je veux.
Mon prochain papier, jeudi, parlera du cul à Cuba.