Le samedi 7 mai 2005


La féminité inouïe
Pierre Foglia, La Presse

À la radio de l'auto, on parlait de la fille de la page 4 de notre journal, c'était mardi, je crois. En arrivant à la maison, je suis allé voir la page 4. Jolie fille en soutien-gorge et culotte d'un rose tendre d'une féminité inouïe, précisait la légende de cette publicité du magasin Simons.

Plus tôt dans la journée, j'avais lu l'article de la page 4 sur le conflit presque réglé au Journal de Montréal et forcément j'avais eu le nez sur cette annonce, qui s'étire sur les deux tiers de la page. J'ai forcément vu cette fille, mais de toute évidence sans la voir puisque je ne m'en souvenais plus. Est-ce possible que, la première fois, mon oeil n'ait pas enregistré sa féminité inouïe ?

Est-ce possible que ce genre d'image se fonde dans un paysage si familier que l'oeil glisse dessus sans plus s'y accrocher qu'au papier peint de la salle à manger ? Que sa féminité inouïe soit complètement laminée par la répétition, par habitude, par le cliché ? Est-ce possible que ce ne soit que cela : un cliché ?

Est-ce possible que les matantes qui ont dénoncé toute la semaine l'image de la fâmme dans la publicité, est-ce possible qu'elles confondent cliché et modèle ? Elles étaient quatre tout énervées l'autre soir au Point. Outre une comédienne, il y avait là une dame qui semblait en avoir contre la chirurgie esthétique, il y avait aussi un psy-de-média et, pour mener le débat, Dominique Poirier, aussi bonne animatrice que d'habitude sauf qu'elle n'était pas, ce soir-là, au service de la Fâmme. S'en est-elle seulement rendu compte ?

Sujet du débat : l'image de la femme dans la publicité. La plus tarte à la crème des tartes à la crème du féminisme de grand-maman, je veux dire avant que le féminisme lâche la guerre des sexes pour se centrer sur le pouvoir économique, c'était il y a 40 ans. Personne en 2005, sauf les matantes, personne ne croit que la fille qu'on voit dans les annonces de char, de lingerie ou de yogourt est un fantasme masculin. C'est le fantasme de tout le monde, universel, inaltérable, inoxydable, et de toute éternité. Dans 5000 ans, quand on aura vaincu la pauvreté, le cancer, le sida, qu'on aura reprisé les trous dans le ciel, la femme qui annonce de la lingerie en page 4 sera encore grande, blonde, mince et jeune.

Et voilà que mardi soir, quatre matantes débarquent à la télé et nous disent sans rire : on va changer ça. Si au moins elles étaient arrivées sur la pointe des pieds : écoutez, on sait que ce n'est pas neuf, que tout le monde a déjà dénoncé la chose, mais on voudrait essayer encore, on a une idée... Mais non. Ta-dam ! Oyez, oyez, citoyens on vient de découvrir l'Amérique et on va vous dire comment y aller. Zéro contexte historique. Zéro modestie. Zéro réserve. Zéro idée. La vraie tarte à la crème, double crème. Oyez, oyez, l'image de la fâmme dans la publicité, ça n'a plus de bon sens, fait faire quéq'chose. Elles ne disent pas quoi, mais on les voit venir, regardez-les bien tenter de remplacer la grande blonde de la page 4 par une petite grosse.

Si j'étais dans la pub, je les prendrais sur le pas. D'accord, mesdames, emballé c'est pesé, une toutounettes dans la cinquantaine pour annoncer ma lingerie. C'est pour le coup qu'on se rappellerait la fille de la page 4 quand y en parleraient à la radio. Ah ! oui, celle avec des cheveux gris ? Si j'étais dans la pub, je le ferais, pas pour niaiser, parce que c'est effectivement une bonne idée, un bon stunt.

« J'ai dit à mon fils -- c'est la comédienne qui raconte -- j'ai dit à mon fils, ces femmes que tu vois dans les pubs, elles ne sont pas vraies, tu m'entends, la preuve qu'elles n'existent pas, Foglia ne les voit pas. » Non, elle n'a pas dit ça. Elle aurait dû. Bref, on envie ce jeune homme d'avoir une maman aussi allumée. Un coup parti, la maman aurait dû dire à son garçon que, dans ces mêmes pubs, les chars, le yogourt et la lingerie qu'annoncent ces filles ne sont pas vrais non plus. Il n'y a rien de vrai dans une pub. D'ailleurs, la petite grosse avec des cheveux gris qui va remplacer la grande blonde à la page 4, la petite grosse non plus n'est pas vraie dans sa toutounerie... Elle suit un régime de pamplemousse et graines de lin, elle va au gym trois fois par semaine et si ça suffit pas elle prendra les grands moyens, elle se fera brocher l'estomac.

De l'image de la femme qui n'est pas une vraie femme dans la pub, la tendance, ces jours-ci, est de glisser vers la sexualité débridée des préadolescentes. Je ne vois pas le rapport entre ce qui me semble être un phénomène relativement récent beaucoup lié à Internet et l'image de la femme qui est de toute éternité.

Je vous demande ça comme ça : une petite fille de 12 ans qui fait une fellation à un garçon de 13 ans, est-ce si monstrueux ? Pourquoi pensez-vous immédiatement porno et violence, plutôt que jeux et découverte ? Et si c'était juste une nouvelle façon de jouer au docteur ? Vous n'avez jamais joué au docteur ? Il n'y avait pas toutes ces maladies, c'est vrai. Il faudrait leur dire, pour les maladies. Il va falloir le leur dire à 15 ans de toute façon, un peu plus tôt, un peu plus tard. Il faudrait leur dire aussi pour le sexe et l'amour, que c'est pas pareil, mais ça changera rien, y en a plein que ne l'apprendront jamais de toute façon.

À la télé ce soir-là, le psy s'énervait beaucoup d'une statistique qui révèle que, dans ces jeux sexuels, les petites grosses sont plus actives que les autres. Je ne sais pas où il a été élevé, mais ça aussi, c'est de toute éternité. La nouveauté, c'est l'âge où elles commencent. Pour le reste, c'est une vieille statistique. Les filles qui pognent moins sont moins difficiles, c'est bien connu, en tout cas c'est bien connu des gars qui... pognent moins. Moins difficiles, donc plus actives que les autres, surtout dans leur prime jeunesse, elles mettent les bouchées doubles, si j'ose dire, devinant qu'elles seront moins sollicitées en vieillissant.

Et je vous ferai remarquer que j'ai même pas de doctorat en psychologie.

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Pour revenir à l'image de la femme si uniformément sexy, je la trouve de moins en moins sexée. On ne voit plus le sexe de la femme que déformé par le pornographie ou clandestin dans les machins de satin. Voyez, moi, si j'avais à annoncer de la lingerie, je ne montrerais pas une femme le portant. Je montrerais L'Origine du monde, de Gustave Courbet, cette touffe de noir Jésus, disait Ferré, d'où part cette division d'une féminité inouïe.