Le jeudi 12 mai 2005


L'ignoble chose
Pierre Foglia, La Presse

Dans mon journal l'autre jour, cet énorme titre : Le Québec champion des fausses dénonciations. Des fausses, en plus. Savez-vous à quoi je pense quand je lis un truc comme ça ? À la mort. À la mienne. Tous ces trous-de-cul, tous ces guignols, tous ces demeurés, tous ces babouins... Sur ma tombe vous écrirez : ci-gît un homme qui a eu très peur de la mort toute sa vie, mais à la fin, à cause de tous ces trous-de-cul, tous ces guignols, tous ces demeurés, tous ces babouins, il était content de mourir.

Des entreprises de sécurité ontariennes spécialisées dans la délation prévoient que le Québec représentera bientôt 50 % de leur marché. Des grandes entreprises comme Air Canada, le Mouvement Desjardins, Quebecor World ont déjà retenu les services de ces firmes spécialisées en abjection et encouragent leurs employés à dénoncer anonymement leurs collègues qui arrivent en retard, qui prennent de la drogue. On peut le faire par téléphone ou par courriel. Cliquez ici, sur le petit Judas, dans le haut de l'écran. L'autre jour, dans une de ces compagnies que je viens de citer, un corbeau a débusqué deux travailleurs immigrés en situation irrégulière. On espère qu'il a bien dormi.

La délation est au coeur de toutes les saloperies de l'histoire, les rafles de juifs dans les pays envahis par l'Allemagne, le maccarthisme. Chez Hitler comme chez Staline, on apprend aux enfants à dénoncer leurs parents. Tous les systèmes totalitaires reposent sur la délation. Castro ne tient encore debout que par la délation. Mais le voisin qui martyrise ses enfants ? Et celui qui bat sa femme ? Et le pédophile ? Et le terroriste ? Vous allez toujours au particulier pour ne pas avoir à dealer avec le général. On ne dénonce pas. On ne dénonce pas un voleur, un revendeur de drogue, un fraudeur, l'auteur d'un hold-up. Un immigré. Un collègue qui vole l'entreprise, un parent qui vole l'État. On ne dénonce pas un voisin qui fait pousser du pot. On ne dénonce pas un plombier qui travaille au noir. On ne dénonce pas, c'est tout.

Le délateur est ignoble. Et, en plus, il fait le bien, ce sale con.

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Féminisme

Pour revenir aux deux comédiennes dans la cinquantaine qui, la semaine dernière, out of the blue, ont dénoncé l'image de la Fâmme dans la pub, il y avait aussi dans leur démarche une grande part d'inquiétude professionnelle : on n'écrit presque pas de rôles pour les femmes de notre âge, disaient-elles, et quand on le fait, c'est pour donner ces rôles à des actrices de 35 ans.

Hasard ? La même fin de semaine, j'ai loué Vera Drake, un film de Mike Leigh (dont je suis un inconditionnel depuis Secrets and Lies) et donc, dans Vera Drake, le rôle principal est tenu par une comédienne qui doit bien avoir entre 50 et 60 ans, Imelda Staunton, qui était en nomination pour l'Oscar de la meilleure actrice. Oscar que je lui aurais donné sans hésiter, même si Hilary Swank (Million Dollar Baby) n'était pas un mauvais choix non plus.

On écrit peu de rôles pour les femmes de 50 ans, dites-vous. Que proposez-vous ? Qu'on se mette tous ensemble à écrire des rôles pour les femmes de 50 ans pour combler le retard ? Souhaitez-vous qu'on peigne aussi quelques jocondes ménopausées ? Mais non, je ne suis pas macho, je suis impatienté. Je n'ai rien contre le féminisme, j'en ai, j'en ai toujours eu, j'en aurai toujours contre les connes qui le parasitent. Quand on me dit que les comédiennes sont moins bien payées que les comédiens, très bien, je comprends, je réagis, j'embarque, donnez-moi une pancarte, je vais la porter. Mais quand vous me dites qu'on n'écrit pas de rôles pour les femmes de 50 ans, où voulez-vous en venir au juste ?

Souhaitez-vous qu'on réglemente la chose ? Établissons des quotas pour les films comme on le fait pour les livres de lecture des petits enfants. Pour qu'un scénario reçoive du financement public, il faudra désormais qu'on y retrouve trois Nègres, deux Arabes, un handicapé, et quatre femmes dans la cinquantaine.

Fiancée, voudrais-tu jouer dans mon prochain film ?
Pour faire quoi ?
Tu pourrais faire des confitures en string léopard, mon amour.

Dites qu'il n'y a pas assez de paroles, de regards de femmes au cinéma, au théâtre, en littérature, dites que l'écriture en général est encore très masculine dans son appréhension des univers constitués, mais ne commencez pas à chipoter sur le sexe et l'âge des sujets représentés, ne dites pas, par exemple, qu'on manque de rôles pour les femmes de 50 ans, on s'en crisse-tu, madame Chose...

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Bonjour M. le Chroniqueur

Je me suis toujours demandé (vraiment toujours) ce que ferais si j'apprenais un jour que j'allais mourir ou que j'avais le cancer.

Bien, je viens d'apprendre que j'ai un cancer de la gorge. On est mardi le 26 avril. Je rentre chez moi et je m'ouvre une bière. Pour l'heure je ne sais ni quoi faire ni penser.

Puis je me mets à l'ordinateur pour en informer mes chums. Vous en êtes depuis le temps que je vous lis. (Jacques C)

Je ne sais pas si cela vous aidera, mais je viens de terminer un tout petit livre qui semble avoir été écrit juste pour vous. Cela s'appelle 5-FU, c'est le nom d'une chimiothérapie, le gars qui l'a écrit, Pierre Gagnon avait le cancer aussi, il est guéri. Il a écrit ce petit livre magnifique durant les six mois de son traitement. Ça commence par : À tous les survivants...

Voyez, c'est bien pour vous.