Le samedi 14 mai 2005


Ma dernière naïveté
Pierre Foglia, La Presse

J'ai été sondé il y a deux semaines. Enfin pas moi, ma fiancée. Elle était toute fière de me l'annoncer quand je suis rentré, lalalère.
Et que t'a-t-on demandé ?
Si je préférais des élections tout de suite ou à l'automne.
Bête de même ?
Euh, croyez-vous qu'il faille tenir des élections fédérales tout de suite, ou vaudrait-il mieux attendre le rapport du juge Gomery à l'automne ? J'ai dit oui, mieux vaut attendre le rapport du juge Gomery.
Menteuse, tu ne t'intéresses pas à la commission Gomery.
Je n'allais tout de même pas leur dire que c'était à cause du jardin, des fleurs et de tout ça. Et aussi que je ne veux pas voir débarquer un candidat pendant que je fais le gazon et être obligée d'arrêter la tondeuse, tu sais comme elle est dure à repartir.

Je soupçonne qu'une majorité de Canadiens disent comme ma fiancée vouloir attendre le rapport du juge Gomery, mais en fait ils n'y pensaient même pas. Ils ne veulent pas d'élections tout simplement parce que c'est l'été. Par respect pour la démocratie, qui ne s'exerce pas en bedaine.

Pourquoi M. Harper a-t-il si hâte de se retrouver (au mieux) à la tête d'un gouvernement minoritaire ? Pour goûter à la médecine qu'il sert à M. Martin ? Je doute aussi que M. Duceppe balaie le Québec comme les sondages le lui promettent. Les sondages ne sont jamais aussi décevants que lorsqu'ils annoncent, trop longtemps d'avance, un résultat inéluctable. C'est comme si une partie des sondés se rebiffaient contre cette inéluctabilité, tandis qu'une autre partie se désintéresse de la chose puisqu'elle est entendue.

Et même, cela donnerait quoi à M. Duceppe de balayer le Québec et de détenir, une autre fois, la balance du pouvoir dans un nouveau gouvernement minoritaire ? C'est quoi y veut, M. Duceppe ? Foutre le bordel à Ottawa jusqu'à la fin des temps ou faire l'indépendance du Québec ?

S'il est vrai que la commission Gomery a relancé l'idée de la souveraineté, qu'attend M. Duceppe pour mener cette idée jusqu'au bout, du moins essayer ? Va-t-il laisser un M. Landry décoté, mal-aimé des Québécois, gaspiller une autre chance ? Le PQ va-t-il se tromper de leader comme dans la campagne référendaire de 1995, quand M. Bouchard s'est retrouvé sous l'éteignoir de M. Parizeau ?

À moins que M. Bouchard revienne ? Ce n'est pas mon souhait, mais j'entends à l'instant que son retour en politique n'est pas aussi improbable qu'il l'était il y a seulement un an. Dans quel parti ? Ah ! ben-là, je sais pas. Lui non plus, probablement.

De quoi parlions-nous avant de lancer des rumeurs ? Ah oui, de souveraineté. Conjoncturelle disait Mme Marois à la radio ce matin. Vague de fond, prétend Mme Malavoy dans mon journal. Vague de fond, c'est peut-être beaucoup. Disons un sentiment largement répandu dans la population, mais un sentiment dormant. Que réveille ponctuellement la conjoncture. Toujours canadienne, la conjoncture. J'en suis convaincu, c'est le Canada qui finira par faire l'indépendance du Québec, en créant la bonne conjoncture d'une séparation. Peut-être cette fois-ci.

Résumons pour les nouveaux arrivants :
Le Québec trouve que le Canada est un bien beau pays, pas tout à fait le sien, mais bon, avec des garanties linguistiques et culturelles, il veut bien en faire partie. Je viens de vous résumer 25 ans de tétage intensif, depuis le premier référendum de 1980.

Le Canada, lui, est d'une absolue constance : il fait une névrose chaque fois qu'il est question du Québec.

La conjoncture maintenant, la dernière : le sentiment dormant dont je vous parlais à l'instant était dans le plus profond de son sommeil, on venait de se farcir quelques gouvernements péquistes (notamment celui de M. Bouchard), avec lesquels on a bien compris que l'indépendance n'était pas porteuse d'un grand projet de société. Par ailleurs, la langue, ça va plutôt bien, ces temps-ci. Bref, on était là à se demander la souveraineté pour quoi faire au juste, quand paf ! Le Canada a pété les plombs avec ses petits drapeaux à la con, son hystérique et mafieux programme de commandites. Que le Canada, ici, s'incarne essentiellement dans les Québécois d'Ottawa n'arrange rien, au contraire : cela ajoute un sentiment de trahison à l'impression de grand banditisme. Le reste du Canada, devant tout ça ? Il hausse les épaules, vaguement dégoûté : Québécois d'Ottawa ou du Québec, à quoi voulez-vous vous attendre de ces gens-là ?

C'est là la conjoncture à laquelle Mme Marois faisait référence. On doute qu'elle dure jusqu'au prochain référendum. C'est pourquoi nous sommes quelques-uns à nous demander ce qu'attend M. Duceppe. Au lieu d'aller triompher dans une élection complètement inutile qui le ramènera à Ottawa -- pour y faire quoi, grands dieux ? --, que ne se consacre-t-il à préparer ses troupes pour la bataille de la souveraineté ? Mais d'abord reprendre le pouvoir. C'est là bien du travail.

Mon collègue Denis Lessard qualifiait hier M. Duceppe de « nouvelle coqueluche » des souverainistes. Va pour la coqueluche. Pour moi, il serait le premier chef du PQ (j'inclus René Lévesque) dont je ne dirais pas, fataliste : bon, laissons-le faire l'indépendance, on verra bien après. J'adhère tout de suite à l'après de M. Duceppe (alors que je n'ai jamais adhéré à l'avant, ni au pendant de M. Parizeau, encore moins de M. Landry et encore bien moins de M. Bouchard).

Quand je pense à la souveraineté et à ses contours -- pas ses frontières, dont je me contrecrisse --, ses contours sociologiques, quand je pense souveraineté, je pense Fernand Dumont de Raisons communes, je pense à un pays défini par sa culture (au sens très large) plutôt que par son économie, et j'aime croire que M. Duceppe est de cette école-là aussi. Il le fut, en tout cas. S'il ne l'est plus, si je me trompe encore, promis, juré, ce sera ma dernière naïveté.