Le jeudi 6 octobre 2005


Le putain de sens
Pierre Foglia, La Presse

Le magazine des journalistes -- Le Trente -- donne la parole dans sa dernière livraison à des artistes, des politiciens, et des ex de la profession auxquels on a posé la question suivante : les journalistes vous informent-ils adéquatement ? En doutiez-vous ? La réponse est non.

L'écrivaine Nelly Arcand fait la page couverture de ce numéro. Photo pleine page style Stéphanie-sur-la-Croisette, plus une autre photo de la même pleine page à l'intérieur -- un close-up de son visage -- qui déborde sur la page suivante. Le texte ? Deux petits paragraphes, 14 petites lignes en tout, d'une banalité à pleurer. Le titre en page couverture : Putain que vous travaillez mal, « putain » étant ici en rappel du titre du premier roman de Mlle Arcan.

Deux photos pleine page pour deux minuscules paragraphes qui reprennent les clichés de l'heure sur l'information : il y a trop de chroniques d'humeur dans les journaux, il y a trop d'infotainment à la télé. Trois pleines pages, dont la couverture en couleur façon Paris-Match, pour ça ? You bet qu'on travaille mal des fois !

Au fait, madame Arcan-Blancheville, si vous trouvez qu'il y a trop de chroniques d'humeur dans les journaux, pourquoi donc avez-vous accepté d'en signer une dans La Presse ? Parce que Le Devoir ne vous l'a pas demandé ? En tout cas, on ne peut pas dire que vous ayez renouvelé le genre.

Je reviens à la question posée aux artistes -- les journalistes vous informent-ils adéquatement ? J'aimerais en poser une seconde. Au cours des dernières semaines, mon journal a publié une série d'articles sur les travailleurs au bas de l'échelle, une autre sur les enfants perdus, une autre sur l'agriculture, une autre sur le transport en commun, pas d'humeur là-dedans, de l'information, des tonnes d'informations rigoureuses sans pour autant être plates. Ma question aux artistes : les avez-vous lues ?

Ne me répondez pas, de toute façon je ne vous croirai pas. Les sondages sur l'information c'est toujours pareil, artistes ou pas, on se retrouve avec des lecteurs qui, dans les focus groups, réclament des grandes enquêtes, mais qui, rentrés chez eux, lisent surtout les chroniques d'humeur. C'est pour ça qu'ils trouvent qu'il y en a trop.

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Vous vous trompez, collègues : ce n'est pas le presque rien des chroniques d'humeur qui vous envahit, ce n'est pas le futile, pas l'inutile, pas le superflu, c'est, au contraire, le sens et ses gros sabots. Vous ne voyez donc pas que l'on est tous en train de crouler sous le sens ? Vous ne sentez donc pas, à travers les tribunes des journaux, à travers ces nouveaux débats que l'on entame chaque jour que l'on est tous en train de devenir complètement gagas de sens ?