Le samedi 8 octobre 2005


Les enfants attardés
Pierre Foglia, La Presse

Le documentaire de M. Arcand pose que l'on "vit dans une société qui protège mal ses enfants contre la violence."

Je vous soumets que cette société qui protège mal ses enfants est en même temps une société où l'enfant est roi. L'ONU l'a d'ailleurs déclaré citoyen de plein droit, et on est fier de cela sans voir que, ce faisant, on a plombé son enfance. La pédagogie moderne tient pour un crime la moindre tape sur les fesses, la moindre contrariété. Les programmes scolaires sont revus pour ne pas trop le fatiguer. On est dans cette société-là, une société dont le roi est un foutu bébé.

Ce qui ne rend pas moins monstrueuses les monstruosités montrées dans le documentaire de M. Paul Arcand. Ce que cela change, par contre, c'est le regard que porte cette société infantile, cette société areu-areu, sur les monstruosités en question. Le climat d'hystérie dans lequel nous plonge cette dénonciation. Là complaisance dans l'indignation, sans que pointe la moindre solution, ou pire, que pointe une solution, mais la mauvaise. Je l'ai écrit chaque fois que j'ai eu à rapporter des cas de DPJ, et je vais le répéter aujourd'hui : le plus grand danger de dérapage, ce n'est pas quand la DPJ ne fait pas sa job, c'est quand elle la fait trop.

Le courant des dénonciations à la DPJ ne signale pas des cas de prostitution familiale. Ni des cas de bébés avec du sperme dans la bouche. Le courant de la DPJ, c'est la désorganisation familiale. La famille incapable de subvenir aux besoins de ses enfants, laissés à un quasi-abandon. Le courant, ce sont les cas d'inceste, mais aussi les dénonciations suspectes, voire abusives, exemple des institutrices qui dénoncent à la DPJ des parents " ethniques " dont elles ne comprennent pas la culture. L'enfant a dit qu'il recevait des taloches, ou la maîtresse n'aime pas la ratatouille dans la boîte à lunch du petit Tamoul et décrète que ce n'est pas bon pour son développement. Il y a aussi les dénonciations de parents qui règlent leurs comptes sur le dos des enfants. J'ai raconté dans ce journal l'histoire d'un père qui avait inventé que sa femme embrassait leur fille sur la vulve, j'ai raconté comment la machine de la DPJ s'est emballée à partir de ce mensonge, les experts, les avocats et allez donc. Comme la justice, la DPJ n'a pas de marche arrière.

Et voilà un documentaire qui réclame plus de pouvoir pour un organisme qui a déjà celui, énorme, démesuré, d'entrer chez les gens et de repartir avec leurs enfants.

Le documentaire de M. Arcand pose que l'on vit dans une société qui protège mal ses enfants contre la violence des adultes. Je vous soumets qu'on vit dans une société qui surprotège ses enfants, les chouchoune jusqu'à la déconstruction, en même temps qu'elle est en train de détruire leur principal lieu d'apprentissage : l'école. Elle est en train de faire de l'école une cour de récréation permanente où l'enfant découvre la vie sans contrainte. Grandit sans contrainte (et sans maturité). Et finit par avoir lui-même des enfants.

Je vous soumets que les voleurs d'enfance sont des enfants attardés.

La mort

Comme chaque fois que je fais allusion à ma fin prochaine, les lecteurs de cette chronique s'inquiètent : vous n'êtes pas malade, au moins ?

Pas que je sache. Si je l'étais, je ne vous en parlerais pas. Je ne comprends pas qu'après tant d'années à me lire vous donniez encore dans l'illusion du " tout-dire ". Je vous ai dit que j'avais des chats, je vous dis que je roule à bicyclette, que ma fiancée fait les sudokus des journaux turcs, je vous dis quels livres je lis, de temps en temps ce que je pense, je vous dis la confiture de mirabelles, je vous dis la glu des administrations, la carrure de la sottise, je vous dis des choses infimes mais chaque fois, fouille-moi pourquoi, au lieu d'infimes, vous comprenez intimes.

Je vous dis la beauté quand c'est une erreur, parfois je dis fuck Dieu et vous sursautez, mais je ne le dis pas pour ça. Je vous répète souvent que there is a crack in everything that's how the light gets in (Cohen), je vous dis d'antiques ponts de pierre, je vous dis que ce n'est jamais la faute des miroirs, je vous dis le rideau de la pluie, je vous dis l'arrivée du 400 haies, je vous dis que j'ai un bouton sur le nez, sans doute que si j'en avais un sur la queue je vous le dirais aussi, mais je ne vous ai jamais rien dit de moi. Pas que je sois secret. Simplement, cela ne serait pas intéressant, ou alors il faudrait que ce soit de la littérature, et je suis incapable de littérature.

Malgré ce qu'il vous semble, je n'écris pas pour moi. J'écris pour vous. Aussi, quand je parle de la mort, c'est moins de la mienne que de la vôtre.

Vous n'aimez pas ? Son évocation légère aide à vivre, pourtant. Par légère, j'entends qu'il ne faut évidemment pas être mourant, pas condamné par la médecine, ni même trop malheureux, je dis bien une évocation, pas un appel.

Vous vous levez un matin et il y a le documentaire de Paul Arcand mur à mur à la radio, dans les journaux, la veille vous avez vu la productrice à la télé sur ses grands chevaux, vous sentez confusément que tout cela a été ficelé de façon à vous fermer lav gueule avant même que vous l'ouvriez, les ti-nenfants martyrisés, l'affreuse DPJ qui ne fait pas sa job, les politiciens qui ne donnent pas les moyens de moyenner, encore un peu de Nathalie Simard, et toutes les mamans au coeur de maman qui fondent, vous savez très bien que vous êtes devant une entreprise pour arracher des larmes, pour exciter l'indignation et que tout ça ne donnera rien, alors vous fermez la gueule de la radio et la vôtre. Et vous pensez à la mort et au livre de Laurent Michel Vacher, Une petite fin du monde, qui est le journal qu'il a tenu les derniers mois de sa vie (il est, mort le 8 juillet dernier). Je vous en reparle bientôt, mais là, tout de suite, je lui emprunte sa citation de départ. Elle est de Martinus von Boberach :
                                        Je viens je ne sais d'où ;
                                        Je suis je ne sais qui ;
                                        Je meurs je ne sais quand ;
                                        Je m'étonne d'être si joyeux.