Le samedi 26 novembre 2005


Porte 51, terminal F
Pierre Foglia, La Presse

En transit à Charles de Gaulle avec quelques heures à tuer avant mon vol pour Montréal, je me suis plongé dans la presse française pour découvrir qu'on n'y parlait plus du tout de l'explosion des banlieues. Il y a deux semaines ça cramait partout, les jeunes des cités brûlaient des voitures, les vieux des journaux incendiaient la République dans leurs éditoriaux, on ne voyait pas la fin de tout cela, à peine 15 jours plus tard, pfffttt, plus rien. Moi-même, c'est à peine si je me rappelle avoir entrepris ce voyage pour couvrir les émeutes.

Le temps d'écrire « nous savions depuis 30 ans et nous avons laissé faire », l'actualité avait déjà allumé d'autres feux sur d'autres fronts qui retenaient maintenant notre attention. Que savions-nous déjà ? Ah oui, les banlieues.

Sont-ce les événements qui se précipitent, ou bien nous qui nous nous dépêchons de passer au suivant, pour changer de spectacle parce que, précisément, ce qui nous intéresse d'un problème, c'est sa manifestation, le spectacle qu'il nous donne en brûlant ? Alors que le problème lui-même, à froid si j'ose dire, nous ennuierait plutôt. Rien à foutre des banlieues lorsqu'elles ne brûlent pas.

Poussons un peu plus loin. Je ne suis pas sûr que les banlieues eussent pris feu s'il n'y avait pas eu des caméras pour filmer l'incendie. Il y avait chez les jeunes qui brûlaient des voitures, le désir d'en brûler plus que ceux de la cité voisine, et la surenchère dans les insultes à la France exprimaient moins une colère que l'envie de donner un bon show de rap.

Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu'il n'y a pas de problème de banlieue. Il y en a un, énorme, qui se résume en un mot, universel : pauvreté.

Poussons un peu plus loin encore. Il a beaucoup été question d'intégration dans toute cette histoire -- et je n'ai pas été le dernier à vaticiner sur le sujet --, intégration à la française, intégration à l'américaine, alors qu'au fond, c'est effectivement une histoire d'intégration, mais d'intégration des pauvres dans une société toute tournée vers la réussite, l'argent, la consommation.

On n'a rien vu avec l'incendie des banlieues françaises. C'était de la petite délinquance. Rien que du rap, rien que du show, une version pyrotechnique de Star Académie. Les pauvres n'ont pas bougé. Les pauvres sont déconnectés. Les pauvres ne sont plus politisés, mais ils le redeviendront. Forcément. L'histoire ne finit pas, comme disait je ne sais plus quel connard de Japonais. Elle ne recommence pas non plus, mais elle continuera forcément à produire les mêmes effets pour les mêmes causes. Un jour, dans 30 autres années, ce ne seront les banlieues qui brûleront, ce sera le monde.

On écrira encore qu'on savait mais qu'on a laissé faire.

ÇA ME RAPPELLE QUELQUE CHOSE --

J'attendais l'avion pour Montréal, jeudi, porte 51, terminal F, je lisais ces journaux et ces revues dans lesquelles on ne parle plus de l'incendie des banlieues. Deux enfants se couraillaient dans les allées, la maman les rappelait à l'ordre de temps en temps. Elle s'est excusée de leur turbulence, j'en ai profité :
-- Vous êtes de Montréal ?
-- J'y vais pour la première fois.
-- Des vacances ?
-- Je suis immigrante ! Pourquoi souriez-vous ?
-- Parce qu'un jour, madame, il y a très longtemps, comme vous aujourd'hui, mais je crois que c'était à Orly à l'époque, moi aussi j'ai attendu un avion pour aller à Montréal pour la première fois. J'avais 20 ans et aucune idée de ce qui m'attendais. Vous venez d'où ?
-- De Sousse en Tunisie. Qu'est-ce qui m'attend ?
-- Pour aujourd'hui un peu de neige. Pour les jours suivants, je ne sais pas, mais ce ne sera pas facile. Ce n'est pas facile de tout recommencer.
-- C'était déjà bien difficile ce matin de quitter mes vieux parents, mon père a plus de 60 ans, imaginez. Pourquoi souriez-vous ?
J'ai failli dire : pour ne pas vous envoyer chier, madame. Mais je ne l'ai pas dit. Crisses d'immigrants.

DIRECTEMENT DU CENTRE DE LA TERRE --

Il neigeotait aussi une petite neige sur Turin ce matin. Ce qui est curieux, c'est que les arbres ont encore leurs feuilles dans cette capitale du Piémont que les Italiens du reste de l'Italie s'acharnent à décrire « belle mais froide ». Médisance. Turin est belle et chaude de tous ses pâtissiers-glaciers, Turin est la seule ville au monde où manger une crème glacée réchauffe, surtout la fior di latte, la fleur de lait, bianca comme la luce de mezzogiorno, comme la lumière du midi. Turin est la ville de trois choses. Un, la ville des librairies. Il y en a au moins 100 000. Deux, la ville de la crème glacée. Trois, la ville du chocolat. Je vais vous révéler un secret sur Turin qui n'est dans aucun guide touristique. Je le sais parce que quand j'étais petit, j'avais une tante à Turin, la zia je ne sais plus quoi, une des nombreuses soeurs de ma mère, mariée à un professeur de géologie, qui nous avait raconté que le centre de la terre était certes en fusion, mais du chocolat en fusion. La ville de Turin a eu l'idée de connecter une station de pompage sur ce chocolat en fusion, station à laquelle sont raccordés quelques-uns des cafés les plus célèbres de la ville comme celui des frères Fiorio, via Po, ou le café Platti que fréquentait Cesare Pavese. En ces endroits, quand vous commandez un chocolat chaud, on vous sert de la lave de chocolat pure. Même consistance. Bouillante. Fumante. Directement du centre de la terre.

RACKET --

Turin, c'était la première fois que je pitonnais un hôtel sur Google. Première surprise, peu de choix : on m'a proposé seulement cinq deux-étoiles, alors qu'il y a des dizaines et des dizaines de deux-étoiles à Turin. Me promenant dans la ville j'ai facilement trouvé mieux, beaucoup moins cher. Ma question : se pourrait-il qu'on se fasse fourrer sur le Net ? Se pourrait-il que Google soit squatté par des fin-finauds qui travaillent à la commission, et sur lesquels tu tombes obligatoirement quand tu cliques « hôtel Turin » ou « hôtel Singapour » ? Connaissez-vous un truc pour les contourner ? Merci d'avance.

Et vous, ça va ? Avez-vous lu Briser le silence ? J'imagine que vous allez me l'offrir pour Noël, c'est gentil.

Confucius : Briser le silence est un signe de courage. Sa soeur : Oui mais le garder, du con, est un signe d'intelligence.