Le mardi 20 décembre 2005


C'est Noël
Pierre Foglia, La Presse

C'est Noël. Deux amies, mères célibataires, vont chercher leur panier de Noël au centre communautaire de leur quartier, rue Beaudry, le comptoir Information alimentaire populaire. Il leur en coûte 20 $ chacune.

Ben oui, faut payer pour un panier de Noël. Faut être membre. 20 $, c'est pour la carte de membre qui inclut le supplément pour le panier de Noël.

Dans le panier y'avait du yogourt, mais il était expiré. y'avait des craquelins. Expirés aussi. Y'avait de la mayonnaise. Expirée. Y'avait de la vinaigrette Kraft. Expirée. Y'avait du Kool-Aid.
Expiré ?
Non, mais on n'en donne pas à nos enfants. On a tout jeté à la poubelle, sauf un poulet, une douzaine d'oeufs, quelques légumes et des fruits.
Vous auriez eu mieux à l'épicerie pour le même prix ?
Pas mieux. Pareil.
C'est Noël. Une dame est invitée avec sa fille de 6 ans à aller au pôle Nord à la recherche du père Noël. Une idée de la Fondation Rêves d'enfants. Un avion d'Air Transat, des mascottes, des lutins, tout le tralala et quatre participants de Star Académie. La dame s'interroge : qu'est-ce qu'ils foutaient là les Stars Académie ?
J'ai appelé à Rêves d'enfants pour poser la question au directeur, M. Lévesque : que faisaient les candidats de Star Académie dans l'avion ?
Marie-Thérèse Tibère est la porte-parole de notre organisme, m'explique le directeur.
Qui est Marie-Thérèse Tibère ?
Silence consterné à l'autre bout du fil. Il n'imaginait pas qu'on puisse ignorer qui est Marie-Thérèse Tibère. Je ne faisais pourtant pas semblant. Surtout, il n'imaginait pas que pour certaines personnes, Star Académie ne puisse être, en aucune façon, un rêve d'enfants. Il était sincèrement surpris. Je n'ai pas su lui expliquer que pour quelques-uns des parents de ces enfants-là qui viennent de remporter une difficile bataille sur la mort, Star Académie c'est du Kool-Aid dans un panier de Noël. De la mayonnaise passée date. De la convergence sans aucun rapport avec le pôle Nord et le père Noël.

C'est Noël. Les guignolées me sont moins tombées sur les rognons que d'habitude. On a moins entendu de ces illuminés tout à leur grand bonheur de donner. On reçoit tellement plus que ce qu'on donne ! Ben tiens ! Surtout si tu donnes de la mayonnaise passée date. Ici et là quelques voix -- notamment chez Bazzo et à Maisonneuve -- pour dénoncer, justement, le bonheur béat de donner. Donner oui, mais en rappelant que c'est une honte d'avoir à donner. Donner en soulignant que la charité n'est pas une solution. Donner en crisse. Donner en exigeant de l'État qu'il fasse sa job de régulateur social. Quand il l'aura faite, on donnera encore. Mais qu'il le fasse !

C'est Noël. Samedi en page A17 de La presse, un article de ma collègue Louise Leduc qui aurait dû figurer en une parce que -- bien plus que le débat des chefs qui faisait la manchette -- il nous renseigne sur le Canada d'aujourd'hui. C'est le temps des Fêtes. Non, ce n'est plus le temps des Fêtes. Est-ce le temps des Fêtes ? s'amuse Louise à l'entame de son papier qui raconte qu'aux bureaux montréalais d'Immigration Canada, on avait retiré le sapin de Noël pour ne pas offenser les communautés culturelles qui ne croient pas en Jésus. Une pétition des employés a forcé la direction à remettre les décorations. Ne vous y trompez pas. Pas un Juif, pas un Arabe, pas un Tamoul, pas un Sikh n'a protesté contre le sapin de Noël, la décision de l'enlever relève uniquement du délire multiculturel de ce merveilleux pays, où, comme l'a déjà écrit Lise Bissonnette en préface d'un essai sur le multiculturalisme justement, l'origine étrangère devient une sorte de supériorité morale qui devient à son tour une vigile instituant le soupçon permanent entre les cultures...

C'est Noël. Mais c'est pas pour ça qu'il faut devenir cons. Je veux dire plus con qu'on ne l'est déjà.

LA MORT -- M. Foglia, j'ai besoin de vous pour donner une voix aux enfants endeuillés. Les enfants sont les grands oubliés lorsque la mort frappe une famille...

Pour aider les enfants dans le deuil, elle a donc créé un organisme qui s'appelle Parent - Étoile : votre appui me serait des plus précieux, nous avons aménagé un petit local tout mignon qui attend les enfants. Elle signe madame Chose, psychothérapeute, consultante en suivi de deuil.

J'ai passé la journée à penser au monde extraordinaire dans lequel nous vivons : des psychologues, des psychiatres, des psychanalystes, des coiffeuses et des consultantes en suivi de deuil. Sans parler de ma fiancée qui courait les 400 haies quand je l'ai connue.

Bien sûr que je vais vous aider, madame. Mais d,abord, vous allez me dire en quoi une matante avec un bac spécialisé en étude de la mort de l'UQAM serait mieux placée que la môman ou la vraie matante du ti-cul pour lui expliquer que grand-papa, eh ! bien, il est parti au ciel, on s'en va tous là anyway, et arrête de jouer avec les poils de son nez ou bedon je ferme le cercueil.

MAXÏÏÏÏÏÏME -- Longtemps que je n'ai pas eu de nouvelles de mon ami Maxiiiiime, peut-être qu'il est dans ses travaux universitaires, mais je me dis aussi qu'un jour il ne m'écrira plus. Un jour il va écrire pour écrire. D'ailleurs un éditeur m'a récemment demandé ses coordonnées. Bien je viens de retrouver cette note qui date déjà de la fin septembre, c'est peut-être la dernière, mais c'est aussi une de ses plus belles. Du pur Maxime, presque le Richard Brautignan de La pêche à la truite, à moins ce soit le John Kennedy Toole de La Conjuration des imbéciles.

Hier soir à la sortie du piano-bar L'Essentiel, à Boisbriand, je suis allé manger un grill-cheese avec une naine et ses amies. Elles étaient trop soûles pour conduire, c'est moi qui les ai ramenées chez elles avec leur voiture. Elles partaient le lendemain au chalet, loin dans le Nord, la voiture était pleine de glacières, il y avait aussi un petit chien. La naine était en arrière entre deux chaises de patio avec le chien, elle chantait une chanson de Marie-Chantale Toupin, toé c'est moé, pis moé c'est toé. Je conduisais très prudemment, j'ai juste mon permis temporaire et c'était dans des petites rues de rien du tout.

En arrivant, j'ai dit à la naine, on a réussi. Trois Pommes. Tu te rappelles de mon surnom, qu'elle m'a répondu toute fière.

Je suis rentré chez moi à pied. L'air était lourd, mais c'était peut-être les grill-cheese.