Le lundi 04 juillet 2005


Un peu longuet peut-être ?
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Les Essarts

Un grand classique finalement. Après le contre-la- montre, une première étape de Tour de France dans la tradition, sans histoire, transparente.

Quelques chutes sans gravité, une échappée fort sympathique, mais vouée à l'échec parce que dans la première semaine du Tour, il est quasiment impossible de mener une échappée à terme- et, disons-le gentiment, aussi parce que les quatre coureurs qui composaient cette échappée n'étaient pas des gros moteurs: Thomas Voeckler, le héros de l'an dernier, encore un peu sur son nuage, le modeste et vieillissant Espagnol David Canada, Calzatti, un autre Français, et Bodrogi, qui se dit Hongrois, mais qui vit en France depuis si longtemps qu'on pourrait l'appeler Dupont.

Le peloton était bien content de les savoir devant. Il ne s'est pas trop pressé de les avaler. Mieux valait ceux-là, faciles à mater, que des plus coriaces qui lui donneraient du fil à retordre. Tout s'est passé comme prévu. À 25 kilomètres de l'arrivée, les équipes de sprinters ont mis en route, et voilà, la table était mise pour le premier sprint massif de ce Tour.

Et c'est 1-0 pour Tom Boonen.

Il y a deux grands sprinters dans ce tour. L'Australien Robbie McEwen et le Belge Tom Boonen. Le premier est un puncheur. Un Cippolini. Capable de sauter n'importe qui dans les derniers mètres. Boonen, c'est beaucoup plus. C'est l'honneur retrouvé de la Belgique. Déjà l'égal de Museeuw dans le coeur des Flamands, mais non pas l'égal de Merckx, ne dites pas de bêtises. Boonen a remporté une quinzaine de victoires depuis le début de la saison, dont un doublé Tour des Flandres- Paris Roubaix, assez incroyable à 24 ans. Beaucoup plus qu'un sprinter, disais-je, mais aussi un sacré coup de rein sur la ligne. Surtout quand cette ligne retrousse un peu comme hier. Boone est peut-être un peu moins véloce que McEwen, mais plus puissant.

Vous vous demandez peut-être d'où je tire ma science toute nouvelle du sprint, moi qui n'ai aucune inclination pour le genre? Mon voisin à la salle de presse vient de me donner une leçon.

Boonen! Boonen! il criait.

Vous êtes Belge?

Oui, mais je suis aussi un ancien pistard. Vous avez vu, McEwen a attaqué tout de suite après le tournant. De très loin. Il savait n'avoir aucune chance sur ce faux-plat. Il a essayé un truc. Ça n'a pas marché. Cette étape était pour Boonen. La logique est respectée.

Sauf que la logique ne fait pas des grandes épopées. Je ne vous cacherai pas que l'après-midi a été longuet. D'abord, le long de la côte atlantique, où les petit ports n'avaient pas trop le coeur à la fête après l'interdiction qu'on vient tout juste de leur faire de pêcher l'anchois, qui est à la côte vendéenne ce que la morue est à la gaspésienne. Puis, on est rentré à nouveau dans le bocage pour arriver aux Essarts, dont je n'ai vu que le joli parc du Manoir où était jugée l'arrivée.

À la première question qu'on a posée à Tom Boonen, il a répondu en prenant un air un peu excédé: cela fait cent fois qu'on me pose cette question.

Et à la première question qu'on a posé au toujours maillot jaune, l'Américain David Zabriskie, il a répondu: je ne sais vraiment pas quoi répondre à cela.

Et ma journée n'était pas finie. Le départ se fait ce matin à 50 kilomètres d'ici et l'hôtel que vient de m'a trouvé le service d'hébergement est à 50 kilomètres aussi, mais pas dans la même direction. Vous ai-je dit que c'était mon dernier Tour?

AH LE CANADA!- À la fruiterie, hier matin, au départ de Challans.
Tiens, des chanterelles.
Ah non monsieur, ce sont des girolles.
N'est-ce pas la même chose?
Je ne sais pas, mais ce que vous voyez là, ce sont des girolles.
Au Québec, on dit chanterelle.
Ah vous venez du Canada.
Il y a une seconde, elle avait ce petit ton cassant et là, tout d'un coup, elle était toute miel. Tu dis Canada et elles font pipi debout. A m'énarve! Je les préfère malcommodes que débiles.
Vous êtes Canadien?
Non madame, je suis Bulgare. Mais je vais aux champignons au Québec.
Parlant de champignons, bouffe-les pas tous, fiancée...

LES POULETS- Les habitants de Challans ne sont pas des Achallants, ce sont des Challandais. Ils sont 18 000 et ils prononcent les « a » comme à Montréal, y'en â pau. Challans est une petite ville bien ordinaire, capitale du marais vendéen. Ça paraît qu'on est dans un marais, il y a quelque chose d'un peu stagnant dans l'air. C'est aussi la capitale du poulet noir. C'est un poulet bio, élevé en liberté, qui doit avoir au moins 81 jours à l'abattage. Pourquoi 81? Je ne sais pas, mais c'est un beau chiffre. C'est bien pour un poulet, 81. Pour un humain aussi il me semble, et il me vient à l'instant qu'on devrait peut-être appliquer le règlement du poulet noir dans les résidences pour personnes âgées. Qu'en pensez-vous? On les laisse courir dans la cour jusqu'à 81 et à 81, couic.

JOGGING- J'étais sur le piton à sept. Je suis allé jogger. En sortant de la ville, je suis tombé sur un vieux lavoir désaffecté. Des canards barbotaient dans l'eau verte. Un lavoir? C'était l'endroit où les femmes allaient laver le linge jadis, un préau au bord du ruisseau. Elle battaient le linge à genoux avec un battoir, parfois elles chantaient. Quand mes soeurs n'étaient pas fines, quand elles apportaient le déshonneur à notre famille, ma mère allait se suicider au lavoir. Vous l'aurez voulu, qu'elle leur disait. Elle s'est suicidée au moins 73 fois. Elle emportait toujours le lavage. Une de ces fois qu'elle était allée se suicider, je l'avais suivie. Elle était à genoux comme d'habitude, à sa place habituelle dans le lavoir. Elle ne m'a pas entendu arriver. Je suis arrivé derrière elle. Elle chantonnait, la vilaine.

Je me suis rappelé sa chanson. J'entendais sa voix. À la fin de ma course, je suis repassé par le lavoir de Challans pour savoir son nom. Il a pas de nom. Alors ce sera le lavoir Ambrosina. Elle s'appelait comme ça.

MÉDIAS- Je n'ai pas vu les coureurs au départ hier matin. Enfin si, je les ai vus, mais à peine. De loin. Le départ était à 13 heures, leurs gros autobus qui ressemblent à des wagons de chemin de fer sont arrivés vers midi. Cela ne laisse pas grand temps pour parler de la pluie et du beau temps. Ils ont installé la barrière pour qu'on ne puisse pas entrer dans leur enclos. Et on est resté là comme des galeux à attendre que ces messieurs veulent bien nous dire un mot. Quelques-uns s'échauffent sur rouleaux, dans leur bulle. Quand ils s'approchent des barrières, c'est pour donner une entrevue à une télé. Tout est planifié au millimètre.

J'ai connu une autre époque de grande complicité entre les coureurs et la presse. Tout a changé en 98, après l'affaire Festina. Les coureurs ont pris leurs distances. En racontant ce que signifiait exactement « faire le métier », on les avait trahi. Et puis on fouillait dans leurs poubelles. On était sorti de nos métaphores. Ils nous aimaient en marchands de bonbons, ils nous ont trouvé beaucoup moins sucrés quand on a commencé à faire notre métier. Le vélo est maintenant un sport comme les autres pour ce qui est des rapports entre la presse et les athlètes. Ce sont des héros. On est des emmerdeurs. Ça travaille beaucoup moins bien le matin, au départ. Mais c'est plus propre comme ça.

MUSIQUE- Qu'est-ce qu'il écoute comme musique?
Tu sais bien, il écoute sa chanteuse!

Ben non justement! C'était à Fromentine. Lance s'échauffait sur rouleaux avant de s'élancer pour le contre-la-montre. Il avait ses écouteurs. Et il écoutait du rock alternatif, à moins que ce soit du country alternatif. Ses groupes préférés c'est des trucs comme Grant Lee Buffalo's et un Australien qui s'appelle John Butler. Il écoute aussi du Dave Matthews, mais en cachette de sa blonde qui trouve ça un peu quétaine. Il écoute tout ce que Sheryl Crow lui dit d'écouter pour pouvoir en parler sans avoir l'air trop Texan quand elle le traîne à des soirées comme les Grammys. Omniprésente, madame Armstrong depuis le début du Tour, mais pas fatiguante, plutôt jolie. C'est mieux que les deux gorilles qui l'accompagnent partout aussi.

LEUR PODIUM- Geneviève Jeanson a choisi la facilité (le contraire de ce qu'elle fait sur un vélo). Elle m'a donné cinq noms et débrouilles-toi pour les classer... J'arrive pas à choisir un vainqueur, alors mon top cinq dans le désordre: Armstrong, Ullrich, Vinokourov, Leipheimer, Botero. Armstrong est prêt, c'est sûr, il l'est toujours. Pas le genre à arriver à 80 %. Ullrich, on dit que ça devrait être son année. Vinokourov m'a impressionnée dans les étapes de montagne du Dauphiné, mais je ne sais pas s'il peut faire des CLM extraordinaires (il en a fait un samedi). Leipheimer a l'air bien... J'ai pas mis Basso parce que je pense qu'il est toasté du Giro. Landis va exploser dans une grosse étape de montagne, Julich va travailler pour Basso. Et j'ai bien hâte de voir ce que fera Horner.

Le podium d'André Aubut, entraîneur de Jeanson: Basso, Armstrong, Ullrich, Botero, Savoldelli.

(Ces prédictions ont été recueillies avant le départ du Tour, évidemment.)

AUJOURD'HUI- La Châtaigneraie-Tours, 212 km de plat, vent favorable. Ça va aller très très vite et quand ça va vite, il ne se passe rien. La vitesse ne donne rien à voir sur des longues distances. Mais non, je ne suis pas un autre vieux con qui fait l'éloge de la lenteur, je vous dis que le spectacle est dans l'accélération, mais comment veux-tu accélérer dans un peloton qui roule à 50 km/h.

On quitte la Vendée et ses petites maisons blanches à volets bleus pour les châteaux de la Loire. Je quitte la Vendée avec le regret de l'avoir traversée dans le tintamarre du Tour. C'est un pays délicat à traverser en silence. La Vendée est une huitre, elle s'est refermée en nous voyant arriver. Je suis sûr que si j'y retournais à l'instant, sur la pointe des pieds, je l'entendrais respirer.