Le mardi 05 juillet 2005


Il me fait penser à quelqu'un
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Tours

Vous avez lu mon compte rendu de course d'hier? Relisez-le. C'est le même pour aujourd'hui. Même étape somnifère (ce qui ne signifie pas que les coureurs dormaient. Mais nous, oui). Même échappée au long cours. Pas les mêmes coureurs, mais la même suicidaire et prodigue cavalcade qui s'éteint à cinq kilomètres de l'arrivée. Même vainqueur aussi: Tom Boonen. Le jeune Belge a montré hier sur la fameuse avenue de Grammont- voie triomphale de la classique Paris-Tours- qu'il avait beaucoup plus que de la puissance: il a aussi de l'instinct, du sang-froid, le sens du placement, bref, il a tout, ce jeune homme. Il me fait beaucoup penser à quelqu'un. En fait, il ne lui manque que d'attraper le cancer, le vaincre en changeant de morphologie, ce qui ferait de lui un grimpeur, et je le verrais bien alors gagner huit Tours de France.

Ne jurez pas que cela ne viendra pas, il n'a que 24 ans.

En attendant, il a remporté, hier, sa deuxième victoire de suite en s'imposant à l'issue d'un sprint très tactique, lancé beaucoup trop tôt par la Française des Jeux pour Baden Cooke, et par Cofidis pour O'Grady. Boonen a attendu que toutes les cartes soient sur la table pour jouer la sienne, la facilité avec laquelle il a surgi nous dit que ce n'est pas fini, il va en gagner d'autres sur ce Tour, cela pourrait aller jusqu'à deux ou trois autres. Oui, madame, je me mets à l'instant au flamand, la langue pour danser sans rien dire, disait Brel.

Je déconne, en fait, Boonen parle très bien français et très bien anglais et c'est dans ces deux langues, pour être sûr d'être bien compris, qu'il a répété hier que les raisons données par Petacchi pour ne pas participer au Tour de France sont ridicules: «Il dit qu'il se réserve pour le Championnat du monde, dans plus de deux mois! Et s'il est malade ce jour-là? Et s'il ne marche pas? Quand on se prétend le meilleur sprinter au monde, on vient le prouver au Tour de France.» Et v'lan.

Pour ce qui est du duel annoncé avec Robbie McEwen, il tourne déjà court. Cela sent même la déroute. Hier, l'Australien s'est énervé au point d'être déclassé à la queue du peloton par les commissaires, pour irrégularités. Comprenez qu'il a donné un coup d'épaule à son compatriote O'Grady. Qui derrière ces deux-là? On espérait le Danois Hushovd, il s'est complètement raté hier. On attendait Robert Hunter: inexistant. Et c'est comme ça qu'on se retrouve avec des Wrolich, des Eisel, des Allan Davis et autres seconds couteaux. Et c'est comme ça aussi que j'ai fait un petit dodo dans ma petite auto au bord de la Vienne, à Chinon, mon vieux. Quoi d'autre? Ah oui la France a recommencé à spectaculairement être belle depuis qu'on a quitté la Vendée.

LES PAPILLONS - Vous connaissez Jean Soulard? C'est le chef des cuisines du Château Frontenac. Paraît que c'est un très grand chef. Il y a une liste d'attente de plusieurs années pour suivre ses cours, il publie des livres, avant Québec il a travaillé à Tokyo, à Hong Kong, à Manille, il a régalé la reine d'Angleterre. Je n'ai jamais mangé au Château mais j'ai visité les cuisines, c'est hallucinant, grandes comme un terrain de football si c'est pas deux, des bouchers, des pâtissiers, des légumiers, Jean Soulard est à tête d'une armée qui sert 2000 couverts... par jour! Vous vous demandez ce que ça vient faire dans le Tour de France?

Jean Soulard est vendéen et le Tour est passé par chez lui hier. Enfin, juste à côté. Un village nommé la Gaubretière, pas très loin de Cholet, si anonyme que même l'église n'a pas de nom. En plein centre du village, sur une minuscule place, devant l'église sans nom justement, l'hôtel du Cheval Blanc, tenu aujourd'hui par sa tante, Mme Claudette Rivière. Ce n'est plus vraiment un hôtel. Les cinq chambres sont occupées par des ouvriers de l'usine de meubles qui y prennent pension. Ce n'est plus un restaurant non plus. Ne demandez pas la carte, y'en a pas. Mais je peux vous faire un steak, a proposé Claudette. Bref, on est loin du Château Frontenac.

Jean Soulard vient de là. Des cuisines de cette auberge-là, à l'époque tenue par sa grand-mère. «L'essentiel de ce que je sais en cuisine, je l'ai appris dans les chaudrons de ma grand-mère», me disait-il cet hiver. Tiens, même les crosnes...

Les crosnes ?

Des sortes de salsifis, cela fait bien exotique sur la carte du Château, mais ma grand-mère en faisait pousser.

C'est toujours drôle de voir d'où viennent les gens. Pas si drôle que ça, en fait, on vient tous d'un même petit cocon. Pis après, comme les papillons, on prend tout le ciel.

ENCORE DES PAPILLONS - C'était avant le pont de Trémont, un immense drapeau du Canada. C'est le drapeau de quel pays ?
Du Canada.
Vous êtes canadien ?
Je suis né à Montréal de parents français, toute la famille est revenue en France, j'avais 8 ans, j'en ai 37.
Et depuis, chaque fois que vous sortez, vous déployez votre drapeau canadien ?
Ah, pour ça, j'ai la fibre canadienne, on peut le dire !
Vous êtes retourné au Canada depuis ?
Je suis allé courir le Tour de l'Abitibi en 1987.
Alors voilà, il s'appelle Franck Carette, il est né à l'hôpital du Sacré-Coeur, sa maman était caissière chez Steinberg, son papa vendait des piscines à Laval. C'est pas tous les papillons qui prennent tout le ciel, heureusement on manquerait de ciel.

DERNIERS PODIUMS - Évidemment, plus les jours passent, plus certains de ces podiums relevés avant mon départ ont l'air fou. Prenez celui de mon jeune collègue Simon Drouin, grand fan de Ullrich. Son podium: Ullrich, Leipheimer, Vinokourov... mettons que c'est mal parti pour les deux premiers nommés. En passant, Simon pourrait bien couvrir le Tour 2006 pour La Presse , c'est dire qu'il lui reste un an pour arrêter d'être ridicule dans ses prédictions... mais tout de même pas aussi ridicule que mon autre ami, Pierre Hamel de Vélomag , dont le podium est le suivant : Jean-Patrick Nazon, Alberto Contador et le Luxembourgeois Kim Kirchen. Franchement, Pierre !

Vous vous souvenez peut-être aussi que je vous ai chanté maintes fois les louanges de l'analyste Louis Bertrand, du canal Évasion, et voyez comment il infirme d'un coup, d'un seul, tout le bien que j'ai déjà pu dire de lui, son podium: Armstrong, Ullrich, Rogers. Rogers !!! Il ajoute que Moncoutié (et non Chavanel) sera premier Français, comme en 2002.

Que Fabian Wegmann, meilleur grimpeur du Giro 2004, remportera la dixième étape à Courchevel. Il aurait pu s'arrêter là, mais non, il prédit un troisième maillot vert à McEwen, malgré Boonen. Benvoyons donc!

Heureusement, j'ai aussi des amis qui connaissent le vélo, comme Marinoni par exemple qui a Armstrong, Vinokourov, Ullrich.

AUJOURD'HUI - Tours-Blois, 68 kilomètres, pour cet exercice très particulier qu'est le contre-lamontre par équipes rendu encore plus particulier par un règlement maison totalement débile. Il y a une raison à tout, me disait mon vieux maître. Sauf au contre-la montre par équipes du Tour de France, où ce n'est pas le chronomètre qui décide des écarts, mais une charte complètement arbitraire, qui établit que l'écart entre la première équipe et la seconde ne peut pas être de plus de 20 secondes. Tu sais, avant de te lancer dans cet exercice de grande souffrance que quand bien même tu prendrais deux minutes à tes rivaux les plus proches, ces deux minutes seront réduites à 20 secondes à l'arrivée ! La pognezvous ? Moi non plus. Mais je ne vous en parle plus, ça me donne mal à la tête.