Le samedi 09 juillet 2005


Une chute et une pub
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Bretten

Je les soupçonne de tomber pour nous donner quelque chose à écrire. Depuis le départ c'est tout ce qu'on a: des chutes, rien d'autre. Au rythme où ils se plantent, on s'étonne qu'il n'y ait pas plus d'estropiés. Ce sont des acrobates exceptionnels, mais parfois, comme hier, ils ont une sacrée chance aussi. Le sprint était lancé sur Rastatt avenue, on était à 400 mètres de la banderole, les sprinters étaient en orbite et juste derrière c'était le bordel comme d'habitude, causé, comme d'habitude, par des nonos qui luttent pour une 15e place, des nonos qui n'ont rien à faire dans cette chevauchée insensée. Ça roulait à 70 km/h quand l'Espagnol Isaac Galvez, connu pour se planter souvent, tombe, glisse, on se bouche les yeux, oh la la! Le jeu de quilles qui s'en vient! Miracle: Galvez n'a fauché qu'un seul autre coureur, l'Italien Angelo Furlan qui, lui, ne voit rien de miraculeux là-dedans. Il est furieux, ils se mettent à s'engueuler, sans l'intervention du médecin du Tour, se seraient donné des taloches. Pendant ce temps-là ça continue à passer à 70 à l'heure de chaque côté! Il aurait dû y en avoir 50 à terre...

Je disais que je les soupçonne de le faire exprès pour nous donner quelque chose à écrire, sans cette chute, on aurait dit quoi? Les Vosges sont bien jolies mais pas sous ce ciel bas et au travers de ses sombres sapinaies, c'est comme si on avait fait le voyage de nuit. Deux cent trente kilomètres pour rien, enfin presque rien: une échappée solitaire de 130 kilomètres du jeune Allemand Fabian Wegmann qui court pour la Gerolsteiner.

Ai-je dit une échappée? S'cusez, c'est un lapsus. Une échappée c'est quand un coureur ou plusieurs se dégagent du peloton en espérant n'être pas rejoints avant la ligne d'arrivée.

Fabian Wegmann n'espérait rien du tout. Il exécutait une commande de son commanditaire. La Gerolsteiner est une eau minérale très populaire en Allemagne, hier on entrait en Allemagne, la course était en direct à la télé allemande, et pendant trois heures, la télé a montré le maillot de la Gerolsteiner, on a parlé de la Gerolsteiner. Comme Wegmann était tout seul dans cette échappée, la caméra de la moto a cadré son seul maillot. Joli coup de marketing. S'cusez, je viens encore de dire « échappée », alors que c'était une pub. Ce que je n'ai pas compris, c'est qu'on ait mis à contribution le jeune Wegmann, un des coureurs les plus prometteurs de l'équipe, meilleur grimpeur du Tour d'Italie l'an dernier, me semble qu'on aurait pu le garder en réserve pour aujourd'hui et envoyer un domestique faire l'épicerie...

Ce matin, j'avais sorti ma petite laine et les coureurs avaient mis des rallonges à leurs cuissards, et des couvre-chaussures pour la pluie. On gelait comme au mois de novembre, mais on nous promettait un accueil si chaleureux en Allemagne qu'on en serait réchauffé pour tout le reste de l'été. On exagérait beaucoup. Du monde oui, mais pas tellement plus qu'en France où il n'y en avait pas beaucoup. La pluie et le froid, oui, mais il y a aussi que les Allemands commencent à se lasser de Jan Ullrich. Dans la première ville après la frontière, Rastatt, je suis allé me chercher des frites avec une saucisse, le bonhomme parlait français, que pensez-vous d'Ullrich?

Chai honte! Il est fort, mais il travaille pas! Il est comme tous les cheunes auchourdhui, il foulait pas Zabel pour être avec ses amis et pis quoi? Rien du tout monsieur, c'est une krosse patate avec des pédales...

Avant de traverser le Rhin, on est passés tout près de Strasbourg d'où sera donné le départ du Tour l'an prochain. Parlant du départ du Tour... plus un mot sur Québec-2008, ni sur la course bidon promise aux Québécois, en prix de consolation. Quand on revient sur le sujet avec les organisateurs du Tour, on comprend qu'il n'ont jamais envisagé une seule seconde de partir de Québec. Trop compliqué. Et quel intérêt pour les commanditaires majeurs du Tour? Pourquoi les supermarchés Champion, le Crédit Lyonnais, le PMU, les assurances AG2r, La Boulangère et les charcuteries Cochonou iraient défiler dans les rues de Québec?

Ah oui, le sprint. C'est McEwen qui l'a emporté à Karlsruhe, sa deuxième victoire, devant le Suédois Magnus Backstedt et l'Autrichien Bernhard Eisel. Tom Boonen? Victime d'une chute en début d'étape, il n'était pas dans le coup.

AUJOURD'HUI- Pforzheim (Allemagne)- Gérardmer. 231km, seconde plus longue étape du Tour et je vous corrige tout de suite, il faut dire Gérardmé et non Gérardmère, c'est pas la mère de Gérard. Moitié en Allemagne, moitié en France, un parcours pour baroudeurs, les 50 premiers kilomètres sont en dents de scie avec quatre petits cols de troisième catégorie, puis la vallée du Rhin, avant de grimper la première montagne de ce tour, le col de la Schlucht qui n'est certes pas l'Alpe d'Huez, mais à 15 km de l'arrivée, ça devrait écarter les sprinters. On va voir des coureurs qu'on n'a pas encore vus, le premier auquel je pense c'est l'Américain Chris Horner (ancien coéquipier de Charles Dionne), sûrement aussi Jens Voigt de la CSC ou Arvesen de la même équipe. Valverde peut-être, le Hollandais Knaven, le Belge Philippe Gilbert, bref les guerriers qui, jusqu'ici, se sont tenus bien tranquilles dans le peloton parce qu'ils ne sont pas du genre à aller frimer en avant dans des échappées qui ne mènent nulle part. Je dis ça, et voyez Wegmann, hier...

LA FIEBER DU TOUR- Des lecteurs m'écrivent, pourquoi en Allemagne? En Belgique on comprendrait, mais en Allemagne, à part Ullrich?

Holà... le vélo allemand c'est bien plus que les Ullrich, Klöden, Zabel et autres Voigt actuels. Sans remonter au Moyen Âge de la pédale, il y a eu Rudi Altig, équipier de Jacques Anquetil, plus près de nous Olaf Ludwig. Didi Thurau a porté le maillot jaune bien avant Ullrich. Le vélo allemand, c'est aussi toutes les médailles olympiques sur piste des Allemands de l'Est.

Le cyclisme allemand est riche aussi en sponsors. La Telekom, Gerolsteiner, d'autres plus modestes. D'excellents jeunes coureurs aussi, ce Wegmann donc, mais aussi Patrik Sinkewitz de la Quick Step. Le Tour en est à sa onzième visite en Allemagne est déjà allé trois fois à Fribourg, à Cologne, à Felsberg, à Sarrelouis, à Francfort, à Berlin, à Coblence...