Le vendredi 15 juillet 2005


Enfin un Français qui gagne quelque chose
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Digne-les-Bains

Cocorico si vous voulez. C'est un Français qui a gagné et on est le 14 juillet, alors cocorico. Mais rien d'intempestif, discrètement, O.K.? C'est pas Virenque, c'est pas Chirac, c'est pas un coq. C'est David Moncoutié, un petit Français tout timide, et sûrement le plus gentil garçon du peloton qui a gagné à Digne-les-Bains en s'excusant ou presque.

C'est aussi le monsieur propre du peloton. Si vous demandiez aux coureurs du Tour d'écrire sur un bout de papier le nom d'un coureur dont ils sont prêts à jurer qu'il n'a jamais rien pris, très peu oseraient écrire leur nom, presque tous écriraient David Moncoutié. L'intéressé n'en fait pas un fromage, pas le genre à moraliser, à dénoncer, ni à parler de cyclisme à deux vitesses. Un bon petit coureur qui suit parfois les meilleurs, ne sombre jamais. Dans les grandes étapes décisives, il finit 25e assez loin derrière les mobylettes qui carburent au super. À la télé, les commentateurs disent que Moncoutié a encore coincé. Ah, s'il était plus entreprenant! Lui ne répond rien. Il ne dit pas fermez donc vos gueules bande de crétins, mais il devrait.

Hier, c'était une étape pour lui. Il est parti tandis que les seigneurs faisaient la sieste, il est parti avec de plus modestes que lui encore, des Merckx, des Pellizotti, des Vicioso, des Garate, des Lombardi, un O'Grady vieillissant. Il les a lâchés quand il a voulu dans la montée du Corobin. Je vous disais, hier, que j'ai pédalé ce Corobin avec ma fiancée, il y a quelques années. Eh bien, hier, Moncoutié, c'était moi, les autres c'était ma fiancée, des filles quoi.

J'exagère. C'est mon métier.

Petite éclaircie, petite victoire, mais il n'en est pas de petite pour la France meurtrie, elle les prend toutes. Le long du parcours, on sentait les gens heureux de voir un Français en tête, allez David, allez Sandy (Casar), vive la France! L'humeur était à la rigolade, aux vacances, le rosé était frais dans les verres de plastique. Vous les aimez quand même vos coureurs français même s'ils ne gagnent jamais le Tour?

Mais oui, on les aime. Ils font partie de la famille. On aime le Tour, on aime la France, elle est belle, non?

D'où on était, on dominait le lac de Serre-Ponçon, dans la vallée du Haut Briançonnais, déjà un peu la Provence, déjà les champs violets de lavande et quelques figuiers.

Vers 13h, le président Chirac s'était adressé aux Français.

Qu'est-ce qu'il a dit? Ils ont éclaté de rire! Vous ne pensez tout de même pas qu'on l'a écouté! Plus personne n'écoute Chirac, monsieur. Il n'y a qu'un homme politique qui compte en France aujourd'hui, c'est le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy. Qu'on l'aime ou pas, tout passe par lui... (Petite note en passant, j'entendais ce même Sarkozy dire à la télé l'autre soir, dans une émission de variétés, que «le premier problème de la vie politique, c'est l'ennui fondamental qu'elle génère par ses discours sirupeux». Ce fut, avec quelques jours d'avance, la première fusée du 14 juillet, et Chirac l'a reçue en plein dans le front.

Mais revenons au Tour, cette victoire de Moncoutié est aussi un baume sur le vélo français qui se remet bien mal du départ de Jalabert, il y a deux ans, et de Virenque, l'an dernier. Moreau? Il n'est pas aimé et il a 34 ans. Quant aux battants, les Français adorent ce mot-là, battant, les Chavanel, Pineau, Casar - deuxième hier - Calzati qui a abandonné, ce sont des battants qui ne battent jamais personne.

Parlant d'abandon, Tom Boonen qui a dominé la première semaine du Tour est rentré chez lui. Et aussi Manuel Beltran, un coéquipier d'Armstrong, rouage important de la Discovery en montagne, le deuxième étage de la fusée, le premier étant Azevedo...

DEMAIN - Miramas - Montpellier, 173 kilomètres de plat. Je vous dirais bien une étape pour les les sprinters, mais les sprinters sont fatigués et leurs équipes plus encore, ce qui peut permettre à une échappée animée par des costauds - comme hier - de se rendre à bon port. Une autre journée bien tranquille en perspective pour les Armstrong et compagnie.

L'ÉPO DE L'ÉPOUX - Le Tour sans au moins une histoire dope, ne serait pas le Tour. Le coureur italien, Dario Frigo, a été arrêté à son hôtel par les gendarmes après qu'on eut trouvé des seringues et des produits suspects dans l'auto de sa femme, elle-même interpellée à la frontière italienne alors que, de tout évidence, elle allait ravitailler son époux en ÉPO. Un contrôle douanier de routine, nous dit-on. Pardon? C'est à peine si on freine aux frontière européennes, sont à la veille de remplacer les douaniers par un feu clignotant, alors routine, mon cul. Les Frigo ont été dénoncés, c'est clair.

Vous savez la petite lumière qui s'allume quand on ouvre la porte du frigo? Y'en pas dans ce Frigo-là. En 2001, la police saisit des ampoules dans sa chambre, Frigo reconnaît que c'est de l'ÉPO qu'il vient tout juste d'acheter, il est suspendu pour huit mois... sauf qu'il s'était fait fourrer, c'était pas de ÉPO dans les ampoules, pur placebo. Huit mois de suspension pour de l'eau salée. Cocu, tu dis? Si ça se trouve, c'était même pas pour lui les ampoules que sa femme apportait sur le Tour.

La veille, le Russe Evgueni Petrov, coureur d'une autre équipe italienne (la Lampre) avait été mis au repos par les vampires de l'UCI pour «paramètres sanguins» anormaux.

Réaction des organisateurs du Tour en trois volets, comme d'habitude. Premier volet, la surprise, douloureuse, bien sûr. Hein! De la dope dans notre Tour! Second volet, la fermeté. Le directeur adjoint Christian Prudhomme parle de virer la brebis galeuse «à grands coups de pied dans le cul». Et d'ajouter du même souffle, c'est le troisième volet, «il faut protéger le milieu sain du vélo». Résumons le message: un milieu sain contaminé par quelques rares voyous, mais la police s'en occupe. Dormez, braves gens.

La réalité? La réalité c'est que le dopage n'est pas dans le peloton une question de morale, ou de santé. C'est d'abord une question de carrière. T'en prends et tu peux faire ta job - notez que je n'ai pas dit: «t'en prends et tu gagnes», pour gagner, ça prend beaucoup plus que ça. T'en prends et tu fais ta job, que ce soit équipier ou baroudeur, ou favori. Ou t'en prends pas et tu peux pas faire ta job. Et qui t'offriras un contrat la saison prochaine?

TOURISME - Qu'est-ce qu'on bouffe comme charcuteries! Paraît que ça donne le cancer du côlon. Si jamais ça m'arrive, je poursuis le Tour de France. Les villes nous accueillent avec des saucissons, des pâtés, des jambons, des rillettes, sauf à Tours et ici, à Digne-les-Bains, rien de très gastronomique. Courchevel s'est surpassée dans le cheap avec des petits sandwiches de pain tranché en triangle, comme à une conférence de presse de la Molson pour annoncer un tournoi de quilles (les grosses). Digne aussi s'est surpassée, mais dans le raffinement, terrine de sanglier, salade d'épeautre, compote de figues. Mais, le coup de génie, c'est le bouquet de lavande qu'on a remis à chacun en entrant.

J'ai déjà écrit que Digne est une de mes villes préférées dans le monde, avec Paris, Toulouse, Rome, Lucca, Naples, Chicago, New York, Montréal, bien sûr. Je persiste et je signe. J'arrive d'une petite marche digestive dans le vieux Digne, de la place Paradis à la place de l'Évêché, par les escaliers de la rue des Plâtriers, j'ai compté six chats! Dont trois sur le même muret... Bougez pas, les petits amis, je reviens. Je suis redescendu en joggant jusqu'à la salle de presse, j'ai piqué deux terrines de sanglier et je suis retourné. Ils m'aimaient! Fait longtemps que quelqu'un m'a aimé comme ça. M'ont fait une p'tite place sur leur muret. Rue Mère-de-Dieu, il y a des lampadaires un et un banc vert. J'ai déjà écrit dans ce journal que j'aimerais que mes amis, Bob, le Capitaine, et Michel viennent fumer une cigarette sur ce banc quand je serai mort.

C'est moi qui l'ai fumée. Une Camel bleue. La première en 30 ans. J'ai même pas toussé. Je pourrais recommencer comme ça, si je voulais.

Vous connaissez cette chanson de Ferré qui s'appelle les Vieux Copains? C'est une de ses plus belles.

PORTE-BAGAGE - Un jeune journaliste danois, qui travaille pour la télé et l'Internet, couvre le Tour en vélo, enfin en partie. Il pédale les 80 derniers kilomètres de chaque étape parce que, me dit-il sans rire - et s'il n'était pas si sympathique, j'te l'aurais reviré de bord quelque chose de rare - parce que, dit-il: j'aime savoir de quoi je parle.
Où mets-tu ton ordinateur?
Dans mon sac à dos, enroulé dans du plastique en cas de pluie.
T'as monté le Galibier avec l'ordi dans ton sac à dos?

Les cyclos-sportifs européens sont allergiques aux sacoches. Pour eux, un porte-bagages, c'est une maladie honteuse. J'en ai vu monter des milliers, pas un avec des sacoches. Si je roulais ici, je ferais exprès. Des sacoches d'où dépasseraient une baguette de pain, et sur mon porte-bagage quelque chose de très domestique attaché tout croche avec un tendeur, comme un toaster, ou un parapluie, ou un aquarium. Je monterais le Galibier comme ça. Je serais super en forme. En les passant je siffloterais la belle dé Cadix a des yeux dé vélours tchika-tchik ayayaille.