Le vendredi 22 juillet 2005


On méritait mieux
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Mende

Les Français étaient si sûrs qu'un Français ne gagnerait pas à l'aérodrome de Mende qu'ils se sont repassé, toute la journée, l'escalade triomphale de Laurent Jalabert au même endroit... il y a 10 ans! Si triomphale qu'ils ont rebaptisé cette montée de la Croix-Neuve, la montée Jalabert. Trois kilomètres à 10 % avec des passages à 17 %. La route, aux épingles très resserrées, s'élève rapidement au-dessus du gros bourg et de sa cathédrale pour atteindre un causse aride qui donne si peu à voir... qu'on y a tracé les pistes d'un petit aérodrome.

L'étape d'hier aussi a donné peu à voir. Elle a été la répétition de celle de la veille avec une différence majeure: pas de gros clients dedans. Pas un seul gros nom, enfin si, Axel Merckx porte un gros nom, mais ce n'est pas le sien.

Il ne s'agissait que de savoir lequel des 10 échappés grimpait le moins mal. Ce fut l'Espagnol Marcos Serrano, vieux Galicien qui en est à son septième Tour de France et qui n'a jamais rien gagné, sauf le championnat junior de Galice, ça fait très longtemps. J'exagère. Je veux seulement dire que cette montée méritait mieux.

En ce qui concerne le groupe maillot jaune, il s'est livré, dans la montée Jalabert, une dernière passe d'armes qui fut une synthèse de ce Tour de France. Basso et Armstrong faciles devant, exceptionnellement accompagnés, hier, de Cadel Evans. Ullrich qui s'accroche, décroche, revient. Les autres, éparpillés derrière. Ces autres dont on attendait tant. Vinokourov qui ira courir chez les Français l'an prochain et il ne mérite pas mieux. Landis toujours à la peine. Leipheimer qui a montré ses limites. Botero à 1h41 de Armstrong. Rogers. Mon Dieu, quelqu'un a-t-il vu Michael Rogers? Était-il dans ce Tour?

Je disais donc que la montée Jalabert méritait mieux que les pieds de céleri qui l'ont déshonorée en tête. Et que l'étape, qui traversait les trois plus beaux départements de la France, le Tarn, l'Aveyron et la Lozère, eût méritée, elle, qu'on s'arrêtât à une terrasse sous le couvert des arcades du vieux Millau, laissant filer, sans regret, ce Tour désormais sans intérêt.

DÉPOSSESSION- La France a mal à son Tour. Non seulement les coureurs français ne gagnent pas, mais ils sont un peu ridicules. Ce n'est pas faute d'essayer, pourtant. Ce n'est pas la bonne volonté qui leur manque, ce sont les jambes. Cédric Vasseur, hier, il échoue de peu, mais il échoue. La veille, ils étaient cinq dans l'échappée. C'est bien. Mais dès que la course s'est durcie, ils n'étaient plus qu'un. Et celui-là s'est spectaculairement effondré, juste avant d'entamer le sprint. Or c'était le sprinter du groupe.

Les coureurs français sont découragés et s'interrogent. Pourquoi nous? Sont-ils rongés, eux aussi, par le terrible mal français qui est en train de faire de toute la France un pays d'Afrique?

La victoire de Moncoutié, le 14 juillet, pis quoi? Moreau, qui était parti pour la gloire dans les Vosges, s'effrite depuis. Sauf Moreau, plutôt pédant, sont sympathiques les coureurs français. Réalistes aussi. Ça roule trop vite, je n'arrive plus à suivre, dit Jérôme Pineau. D'autres, qui préfèrent qu'on ne les cite pas: les moyennes avaient baissé après l'affaire Festina, là elles remontent à des sommets jamais atteints. On commence la saison avec des objectifs modestes, on ne les atteint pas, on ne s'amuse pas, en plus tout le monde se fout de notre gueule, le public et les autres coureurs...

Ils le pensent tous: un cyclisme à trois vitesses. Les bons. Les moins bons. Et les jeunes Français qui sont nombreux à tenter naïvement le pari d'un cyclisme à l'eau claire. Pari qu'ils sont en train de perdre.

Moins de monde, aussi, sur le parcours du Tour. La France a mal à son peloton, mais aussi à son public... Moins de monde, surtout à Pau et depuis Pau. Moins de Français, surtout. Le Tour n'est plus Noël en juillet, n'est plus le Tour de l'enfance. Le Tour apparaît de plus en plus pour ce qu'il est: une grosse business en plein air.

À Mende hier, dans un café de la place au Blé, où je prenais un café avec des collègues suisses et belges, le patron nous a lancé à la blague: des Belges, des Suisses, et même un Canadien, et ce matin j'ai eu des cyclos américains et un autobus d'Américains, aussi de Californie. Vous allez voir que, bientôt, y vont faire le Tour de France aux États-Unis!

AUJOURD'HUI- Issoire le Puy-en-Velay, 153 km. La plus courte étape du Tour, la dernière aussi puisque, demain, ce sera le contre-la-montre de Saint-Étienne et, dimanche, la pavane sur les Champs-Élysées. Pas facile pour une dernière étape. Les patrons des équipes qui ne se sont pas beaucoup montrées vont mettre la pression: on vous paie pour quoi les gars, au juste? Vous allez voir des Italiens en échappée. Des coureurs aux couleurs de la Lambre, de la Domina Vacanze, de Liquigas. Je n'y serai pas. Je remonte vers Paris ce matin. Si je veux être sur les Champs dimanche, avec ma Twingo, faut que je prenne un grand élan.

L'ÉTERNITÉ- Avant le Tour, je me prépare des sujets pour chaque étape. À Grenoble, je pensais rencontrer l'auteur d'un petit livre dont je vous ai parlé (Matin brun)... Je ne suis même pas allé à Grenoble. À Albi, je devais rencontrer un prof qui m'aurait parlé des cathares, ces puristes qui se faisaient appeler les parfaits et préfigurent les rigoristes religieux que l'on connaît aujourd'hui, de Bush aux ayatollahs. J'ai dû me décommander, je suis arrivé à Albi à minuit.

Mon plus grand regret sera d'avoir raté le Conservatoire des parcs et jardins et du paysage de Chaumont-sur-Loire. Le paysage m'interpelle depuis toujours. Il nous construit quand on est petit, nous habite toute notre vie, le paysage au sens où l'entend Julien Gracq, carrefour de la géographie et de la poésie... Dans l'étape d'hier, j'avais prévu un arrêt à Roquefort-sur-Soulzon. Soulzon, avec « L ».

Arrête un peu, Chose. Une sainte, un pont, et maintenant du fromage? Anyway, je suis passé tout droit.

Pas le temps. La course me pressait derrière, le journal devant. Pas le temps... Je vous ai parlé, l'autre jour, de Pierre Nadon, mon collègue de la section des sports, décédé une semaine avant que je parte pour le Tour. Son urne en entrant au salon. Son rire dans ma tête. Du temps, Foglia, du temps, tu vas en avoir tout plein, bientôt... Tais-toi, Nadon. Ce que nous disent les morts ne sert à rien. On est éternel jusqu'à la dernière minute.

LE NON-VIVRE-ENSEMBLE- On est dans une des régions les plus touristiques de France, les Causses, les gorges du Tarn, tout ça. Cela s'appelle la cité des Fleurs. Les tours à côté, c'est la cité des Acacias. Évidemment, y'a pas plus de fleurs que d'acacias, mais j'ai vu un coquelicot, tout à l'heure, en quittant l'autoroute pour aller faire le plein. Une femme en boubou, assise sur les marches, des jeunes autour d'une moto, je me souviens même plus si c'était en banlieue de Rodez ou de Castres. J'hallucine ou j'entends un orgue de Barbarie? Je me suis dirigé au son.

Monsieur Weiss est flamand. Tout l'été, il joue de son orgue dans la cour des grands ensembles de France et de Navarre, et de Belgique aussi.

Ne feriez-vous pas plus d'argent dans les centres-villes?
C'est ici qu'on me reçoit le mieux. Dès les premières notes, ils sont aux fenêtres.
Et les sous?
Pas beaucoup. C'est le piano du pauvre, vous savez.

Une petite fille est venue mettre un demi-euro dans le chapeau. Elle suce son pouce en regardant M. Weiss tourner la manivelle. Je reconnais la chanson, étoile des neiges/mon coeur amoureux/ nanana-nana-nana. La valse égrène ses notes aigrelettes. Le regard balaie des parkings.

EN UN CLIN D'OEIL Âgé de 32 ans, Serrano a enlevé son premier succès d'étape individuel dans le Tour. Professionnel depuis 1993, il a rejoint l'équipe de Manolo Saiz en 1999 et a notamment terminé 9 e du Tour de France 2001. « C'est incroyable. On travaille dur. On roule et, enfin, ça réussit. Le Tour n'est pas une course comme les autres. Je ne connaissais pas la montée de Mende. En revanche, je savais que si j'arrivais avec Merckx et Vasseur, je n'avais aucune chance de gagner. J'ai eu peur jusqu'au bout, surtout de Vasseur. Le matin, le briefing avait été très clair : Manolo (Sainz, gérant de Liberty) nous avait demandé d'attaquer... Il avait de bons souvenirs de 1995, avec Laurent Jalabert. »

Quant à Lance Armstrong, il attend la fin du Tour avec une certaine impatience. « Je pense à ma retraite, d'autant plus que Paris s'approche. Honnêtement, j'ai hâte que ma carrière se termine. Je reviendrai l'année prochaine, mais pas sur un vélo », a déclaré le détenteur du maillot jaune. - AFP