Le samedi 23 juillet 2005


Piège à cons
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Vierzon

C'était bien, cette échappée à quatre. Un modèle de bonne entente. Tandis que, derrière, les huit nonos qui tentaient de les rejoindre se tiraient dans les pattes, devant, le petit commando donnait l'impression de disputer un contre-la-montre par équipe, tant les relais étaient réguliers et généreux, sans arrière-pensée. Il y avait là Oscar Pereiro, qui a dominé les Pyrénées et sauvé le Tour de la décevante Phonak. Il y avait Sandy Casar, autre jeune Français attachant, 16e du Tour l'an dernier, discret et réaliste. Et il y avait deux Italiens, deux grimpeurs, Franco Pellizotti, de la Lampre. Et le vieux Giuseppe Guerini (35 ans), de la T-Mobile, sherpa d'Ullrich dans la montagne.

Lequel de ces quatre coureurs n'a pratiquement aucune chance de gagner l'étape? Si, à un kilomètre de l'arrivée, vous aviez posé la question suivante à 25 personnes qui connaissent un peu le vélo, vous auriez eu autant de Pellizotti que de Guerini.

C'est pourtant Guerini qui a gagné. Et ce n'est même pas une surprise. Le vélo, c'est souvent comme ça: il arrive ce qui doit arriver ou exactement le contraire.

Ce qui devait arriver hier au Puy-en-Velay? Un sprint entre Pereiro et Casar, qu'emporterait probablement Casar. Mais il était certain aussi que Guerini ou Pellizotti tenteraient de se détacher dans le dernier kilomètre. Un démarrage. Une mine. Plutôt que finir troisième, jouer son va-tout avant.

Ce que fit le vieil Italien.

Pourquoi Pereiro ou Casar ne l'ont-ils pas contré?

Deux raisons. La première: l'exécution parfaire de Guerini. Il se laisse glisser pour prendre son élan. L'attaque est franche. Sèche. La cassure est nette. Il prend tout de suite 30 mètres. La seconde raison est dans le « ou », quand vous demandez pourquoi Pereiro OU Casar ne bouchent-ils pas le trou. Parce que celui qui fera l'effort de revenir sur Guerini y laissera son énergie. Celui qui bouchera le trou sera battu au sprint, c'est sûr. Si ni l'un ni l'autre n'y va, ils seront battus aussi, évidemment.

Alors ils se regardent.

Vas-y, toi!

Non, toi!

Trop tard. Guerini, qui avait 30 mètres, en a maintenant 100 et file vers la victoire. Bien joué. C'est la beauté du vélo. Qui fonctionne parfois comme un piège à cons. J'aime beaucoup quand le con n'est pas le vieil Italien.

AUJOURD'HUI- Dernier soubresaut du Tour à Saint-Étienne. Un contre-la-montre de fous: 55 kilomètres, un col de troisième catégorie en plein milieu, tout ça pourquoi? Pas pour rien. Plein de petits enjeux. Permettre à Ullrich de monter sur le podium à la place du Danois Rasmussen, qui a déjà le maillot à pois. Permettre à Leipheimer de sauter Mancebo au cinquième rang. Embêter Cadel Evans, qui va glisser de plusieurs places.

Vous dites? Permettre à Armstrong de gagner sa première étape dans ce Tour? Pas sûr. De l'avis des coureurs, des suiveurs et d'Armstrong lui-même, le plus frais, c'est Ullrich.

VOS PODIUMS- Si tout se passe comme prévu dans le contre-la-montre, on aura le podium suivant: Armstrong, Basso et Ullrich, qui devrait combler son retard de deux minutes sur Rasmussen.

Quatre de mes invités au début du Tour avaient Armstrong vainqueur: Geneviève Jeanson, Dominique Perras, Giuseppe Marinoni et Louis Bertrand. À une petite inversion près, André Aubut, le coach de Geneviève, n'est pas tombé si loin avec Basso, Armstrong, Ullrich. C'est le cas aussi de Pierre Hamel, dont le vrai podium- pas celui que j'ai bricolé- était, je crois, Ullrich, Armstrong, Basso.

Nous sommes plusieurs à avoir vu Leipheimer un peu plus grand qu'il n'est. Pas si loin des meilleurs, mais jamais dans le dernier carré. Ni Vinokourov d'ailleurs. Encore moins Botero.

J'imagine que Louis Bertrand, qui voyait Rogers sur le podium, Wegmann avec le maillot à pois et Moncoutié meilleur Français, a un petit peu honte. Reste que le pire podium de tous, c'est le mien, avec Vinokourov, Leipheimer, Basso, Botero, Armstrong... un lecteur me fait remarquer: vos prédictions, c'est comme la 6/49, on ne gagne jamais! S'il vous plaît, ou vous cessez immédiatement vos quolibets, ou je porte plainte devant la Commission des droits de la personne pour insulte à une minorité risible, qui se trouve être aussi une personne âgée et un handicapé léger.