Le samedi 7 janvier 2006


Le pont
Pierre Foglia, La Presse

Une autre revue de l'année ? Pas vraiment. Le pont entre les deux. Boisclair, Sharon, deux ou trois machins et, pour commencer à ma manière, un événement minuscule qui raconte une histoire considérable.

L'ÉDUCATION - Une semaine avant l'Halloween, les enseignants d'une école primaire de Mirabel avisent les parents de ne pas déguiser les enfants pour venir à l'école le lundi suivant, jour de l'Halloween. Il est précisé aux parents qu'il s'agit là d'un moyen de pression.

C'est aussitôt la révolte.

Les médias se font les porte-voix des parents. Manif des parents. Toute la journée, les automobilistes klaxonnent en passant devant l'école.

Depuis quatre ans, on impose aux parents une réforme scolaire qui redéfinit l'éducation et, forcément, la culture. On ne leur a jamais demandé leur avis. Il ne me souvient pourtant pas qu'ils aient manifesté.

On entasse leurs enfants dans des classes surpeuplées tout en réduisant les services pédagogiques. Encore là, il ne me souvient pas de les avoir entendus klaxonner.

Mais empêcher les élèves de se déguiser en Yogi ou en cow-boy pour aller à l'école le jour de l'Halloween ! Vous n'y pensez pas, monsieur, j'en appelle à l'instant aux organismes internationaux de défense des droits de l'enfant. Vous avez le numéro de l'UNICEF ?

Cela résume assez bien l'idée que l'on se fait de l'éducation dans ce pays : n'importe quoi du moment que vous ne contrariez pas ces chers petits. C'est d'ailleurs l'idée centrale de la réforme.

LA BONNE ET LA MAUVAISE NOUVELLE DE L'ANNÉE - André Boisclair. Le jeune homme est gai. Il a pris de la coke. Il pourrait très bien devenir premier ministre du Québec. Il y a seulement 15 ans, c'eût été impensable. D'ailleurs, si cela avait été possible, au lieu de Jean Charest on aurait Claude Charron. Je ne sais pas si on s'en porterait mieux, mais on s'ennuierait moins, c'est sûr.

La bonne nouvelle, c'est que le niveau des préjugés baisse.

La mauvaise, c'est que le niveau du reste ne monte pas pour autant.

C'est pas parce que nous sommes prêts à élire un premier ministre pédé qu'a pris de la coke que nous sommes moins cons qu'avant.

Y a pédé et pédé. Claude Charron y est pédé en plus. En plus d'être brillant, en plus d'être social-démocrate, en plus d'avoir une vision.

Je suis vieux et j'ai été habitué à des pédés rock'n'roll qu'en avaient dedans, comme on dit. Des délinquants. Genet, tiens! Boisclair et ses snifs de petit bourgeois a l'air de quoi, à côté de Genet ?

Il a l'air de Boulerice. Et à côté de Pasolini ? Ou Fassbinder ? Même de Proust. C'est ça, pédé. De la gueule. Du guts. Du style.

Boisclair, comment dire ? À une certaine époque, il s'est mis à pleuvoir des restos gais à Montréal. Coulis-coulis, entrées falbalas, branches de céleri scultées en forme de pénis de phoque, et pour dessert trois framboises triturées jusqu'à l'orgasme dans le fond d'une grande assiette blanche. On reconnaissait ces restaurants à ce que le plat principal était toujours non pas raté, mais décevant, ordinaire, on devinait là une paresse, pire, un désintérêt pour tout ce qui n'est pas l'entrée et la sortie.

Boisclair.

ARIEL SHARON - J'avais l'intention de parler d'Ariel Sharon de toute façon, pour m'étonner justement qu'on ait si peu parlé dans les revues de l'année de son départ du Likoud, et de ce nouveau parti de centre droit qu'il a créé il y a un mois et demi et qui change considérablement la donne en Israël. Poudre aux yeux ?

Je m'en suis remis à mon Israélien préféré, l'écrivain Amos Oz, dont je vous ai déjà parlé à propos de deux livres. Seule la mer, magnifique roman d'amour, et Aidez-nous à divorcer, un sublime et douloureux appel à la paix.

Depuis toujours, témoigne Oz dans un édito publié dans le Corriere della Sera du 23 novembre dernier, depuis toujours Sharon incarnait ce que je détestais le plus de mon pays : le militarisme, l'arrogance, la démagogie, les colonies en Cisjordanie et Gaza, l'expansion territoriale et la répression contre les Palestiniens.

Mais voilà que depuis un an il (Sharon) se met à parler comme les gens de mon camp, à parler des effets néfastes de l'occupation sur les occupés et sur les occupants, à parler de la nécessité de trouver un compromis, à évoquer un État palestinien. Des belles paroles, me disais-je, pendant ce temps-là les colonies continuent... Puis est arrivé le retrait de nos troupes de Gaza et j'en suis resté profondément bouleversé.

Et voilà maintenant que Sharon quitte le Likoud pour créer un parti au centre. Au centre ! C'est une révolution. Une ouverture sans précédent depuis Begin, ouverture qui devrait permettre à Israël d'être gouverné par une coalition laïque.

Combien sont-ils comme Oz à avoir souhaité mille fois la mort de Sharon, qui souhaiteraient aujourd'hui qu'il vive encore un peu ?

LA JOKE MÉDIATIQUE DE L'ANNÉE - Au début de l'été, l'écrivaine Nelly Arcan fait la page couverture du magazine des journalistes. Le Trente. Dans une courte entrevue, elle déplore qu'il y ait tant de chroniques d'humeur dans les médias. Quelle plaie, monsieur, les chroniques d'humeur.

Je lui fais remarquer qu'elle signait elle-même une chronique d'humeur - et pas la meilleure - dans La Presse. Pis j'oublie ça.

Pendant les Fêtes, chez des amis, je tombe sur le numéro du magazine Protégez-vous. Qu'annonce-t-on en page couverture ? Un billet de Mlle Arcand. On y annonce aussi - il n'y a pas de hasard - un test sur les poêles antiadhésives.

J'en veux une.

MERCI - Le courriel qui m'a fait le plus plaisir cette année m'a été adressé par un lecteur de Gatineau, M. Claude Émond, je vous aime monsieur Foglia parce que vous n'avez ni morale, ni idées, mais vous avez de l'humour et du coeur.

Pour la morale, vous êtes en plein dessus. Pour les idées, vous n'êtes pas tombé loin non plus. Pour l'humour, vous dites au hasard parce que je fais vraiment beaucoup d'effort pour rire tout seul. Et pour le coeur, alors là vous n'y êtes pas du tout. Mais c'est gentil de l'avoir pensé.

GÂTERIES - Le meilleur gâteau de l'année: le mirabellis (aux mirabelles !) de la pâtisserie Ô Gâteries, à Longeuil.

Le meilleur chocolat ? Jean-Charles Rochoux, mais c'est à Paris (rue d'Assas).

La meilleure pâtisserie ? Canet, mais c'est à Nice, en passant. Pour y aller exprès, faut beaucoup aimer les pâtisseries parce que quelle ville de merde.

Un livre léger: Petit traité de désinvolture, Denis Grozdanovitch. (Points)

Une (re)trouvaille: à L'Échange, rue Saint-Denis, un Léo Ferré de seconde main, y en a pas un sur cent et pourtant ils existent, les anarchisteu-eus.