Le jeudi 19 janvier 2006


Geneviève Jeanson suspendue à vie
Pierre Foglia, La Presse

Elle m'a appelé entre Noël et le 1er janvier. Je croyais que c'était pour me souhaiter la bonne année. C'était pour m'annoncer qu'elle prenait sa retraite.

Et m'annoncer du même souffle qu'elle était plongée dans une autre affaire de dopage et qu'elle attendait la décision du Review Board, le comité indépendant de l'Agence américaine antidopage qui reçoit les explications des athlètes trouvés positifs (échantillons A et B), et décide de les sanctionner ou non.

Que risquez-vous ?
Une suspension à vie.
Évidemment, ça aide à prendre sa retraite.

Elle m'a demandé d'attendre la décision du Review Board avant d'en parler. La décision vient de tomber : Geneviève a été trouvée coupable de dopage à l'EPO. Sanction recommandée aux instances concernées -notamment à l'Association cycliste américaine dont relève Geneviève : suspension à vie.

La jeune cycliste de Lachine (24 ans) avait mystérieusement cessé de courir en plein milieu de la dernière saison et annoncé qu'elle ne participerait pas aux Championnats du monde à cause d'une douleur au tendon d'Achille. On sait maintenant que la raison était ailleurs. De sa maison en banlieue de Phoenix où elle passe l'hiver, elle m'a confirmé hier d'une voix presque indifférente : C'est fini. Je ne veux plus rien savoir du vélo. Je suis fatiguée de me battre, fatiguée de répéter que je n'ai jamais pris d'EPO ni aucune substance interdite. Depuis le début de ma carrière, j'ai dépensé presque plus d'énergie à me défendre des accusations de dopage qu'à courir. Cette nouvelle affaire va évidemment achever de me représenter comme une super dopée, ai-je le choix de tout arrêter ?

Vous semblez étonnamment sereine...

J'ai eu le temps de pleurer toutes mes larmes depuis la fin août. Je ramasse maintenant mes énergies pour ma dernière bataille qui sera juridique, qui sera pour laver mon nom.

L'affaire remonte au 25 juillet dernier à Altoona, en Pennsylvanie, au soir de la première étape du Tour de Toona, un contre-la-montre très court. Test inopiné (d'urine) par les agents de la USDA, l'Agence antidopage américaine.

Deux jours et demi après, dans la même course, autre contrôle inopiné cette fois par des gens de l'Union cycliste internationale, un pur hasard. Les petites fioles des deux tests se retrouvent à Los Angeles au seul labo accrédité aux États-Unis, celui de UCLA, où règne Don Catlin (le tombeur de Balco).

Geneviève gagne le Tour de Toona et commence à se préparer pour les Championnats du monde quand, fin août, le ciel lui tombe sur la tête : l'échantillon A du premier test est positif, à 100 %. Au téléphone, Geneviève en rajoute : En fait, j'étais positive à 125 % ! Full EPO comme si je venais d'en prendre une dose massive cinq minutes avant le départ.

Elle se rend à Los Angeles pour assister à l'analyse de l'échantillon B. Elle est accompagnée de son père. Échantillon B complètement positif aussi. Ils sont reçus fraîchement par Catlin qui refuse de répondre à leurs questions. Geneviève en a pourtant beaucoup à poser. Elle vient de se rappeler du cas Rutger Beke, un triathlète belge trouvé positif comme elle, et testé positif comme elle après un effort anaérobique (violent et court). Beke, très officiellement reconnu comme est suspendue à vie faux-positif, a été blanchi. Un cas qui a suffisamment jeté de doute sur le test pipi-EPO pour que Jacques Rogge, président du Comité international olympique, se mouille, reconnaisse qu'il s'agit d'une rare et très particulière exception, tout en réaffirmant que le test pipi-EPO de l'Agence mondiale -le seul reconnu- est complètement fiable.

Revenons à Geneviève. Positive, elle a trois semaines pour présenter une défense écrite au «Review Board». Me Jean-Pierre Bertrand, avocat et ami de Geneviève, a obtenu d'outrepasser ce délai, la défense écrite, étayée de nombreuses et savantes études d'experts a été remise au Review Board le 21 décembre. Sur la promesse que Geneviève ne se présenterait à aucune course, Me Bertrand avait aussi obtenu que les médias ne soient pas informés tant que le Review Board n'aurait pas rendu son verdict.

Ce qu'il vient de faire : coupable de dopage à l'EPO.

Mais pourquoi recommander une suspension à vie ?

Parce que c'est le règlement après une seconde offense. Dans une précédente affaire (la Flèche Wallonne, voir le tableau des affaires), Geneviève n'avait reçu qu'un avertissement et une amende. Dans la pratique, cela équivalait à peu de chose. Dans la perspective d'une récidive, cela avait pourtant valeur d'une première offense. D'où cette suspension à vie.

Et maintenant ? Maintenant, le clan Geneviève en appelle de la décision du Review Board. L'instance suivante, appelée la AAA, sera formée de trois arbitres indépendants qui viendront entendre les parties à Montréal au début du printemps. C'est cette même AAA qui n'avait donné qu'un avertissement et une amende à Jeanson dans l'affaire, évoquée ci-dessus, de la Flèche Wallonne.

Si la AAA confirme la décision du Review Board, alors il faudra aller au TAS à Genève, le Tribunal Arbitral. Combien de fois d'ici là Geneviève aura-t-elle à répéter : Je n'ai jamais pris d'EPO, ni aucune substance interdite ?

Combien la croient encore ?

Geneviève fait valoir que le second test, celui de l'UCI, venu 60 heures après le premier, et analysé au même labo, est négatif. Zéro EPO. «Comment je peux être pleine d'EPO et n'en garder aucune trace 60 heures plus tard ?», demande-t-elle. Les mêmes experts qui ont mené avec succès la bataille pour le triathlète belge affirment qu'il est mathématiquement impossible d'être négatif à 0 %, 60 heures après avoir été positif à 100 %.

Complètement faux affirment d'autres experts tout aussi experts. Il est tout à fait possible de faire disparaître toute trace d'EPO en 60 heures, soit par transfusion, soit que l'EPO disparaisse d'elle-même : le corps cesse d'en fabriquer quand il en a assez...

Comment croire maintenant que les quatre affaires, toutes possiblement reliées à l'EPO qui ont assombri le parcours de Geneviève Jeanson depuis le début ou presque de sa carrière, comment croire encore qu'elles sont dues au hasard ? Admettons qu'elle est, comme ce triathlète belge, une fausse-positive naturelle, une exception, un cas rare, admettons que, comme lui, elle produise une protéine qui sera lue sur les bandes comme étant de l'EPO, admettons sa nature très particulière.

Mais à Hamilton alors ? Quand elle a pété la balloune à Hamilton (56 de taux d'hématocrite), on avait suggéré aussi que sa nature particulière était à l'origine de son intempestive production d'oxygène. Son sang devait être spécial, avançait-on.

Des urines spéciales. Un sang spécial. Cela commence à faire beaucoup de singularités pour la même petite fille.

Cela lui a fait, en tout cas, une carrière bien mouvementée. Révélée au public en 1999 alors qu'elle devient double championne du monde junior à Vérone, elle s'embourbe dans sa première affaire de dopage dès 2001, affaire toujours pendante d'ailleurs, l'affaire du docteur Duquette. Puis ce seront les Championnats du monde à Hamilton et son éviction de la course sur route. Puis ce sera le faux pas de la Flèche Wallonne dont elle se tire par un miracle et dont on n'a peut-être pas tout dit. Enfin ce Tour de Toona qui sera, on l'espère, le point final. C'est assez. Ou elle est dopée et décidément bien maladroite. Ou elle ne l'est pas et c'est trop d'injustice.

Fille d'ombres et de lumières, il y aura eu deux Geneviève. Celle qui court, limpide, lumineuse, sans équivoque, la Reine du mont Royal qui dépose ses adversaires à 300 mètres de la ligne et s'envole vers la victoire. Et l'autre, dissimulée, qui se dérobe même aux questions les plus anodines, qui ne trouve sa clarté que pour nous asséner :
Je n'ai jamais pris d'EPO, ni aucune substance interdite.
En reste-t-il pour la croire ?