Le mardi 24 janvier 2006


Le Canada s'est couché content
Pierre Foglia, La Presse

Ma soeur californienne, au téléphone dimanche soir : Le Canada va voter conservateur, tu crois ?
Probablement.
Tu dois être castatrophe ?
Pas une seconde. Je serais plutôt content.

Elle n'a pas compris pourquoi son frère, bien plus à gauche qu'elle, applaudissait à l'arrivée de conservateurs.

Ah bon ça te fait plaisir d'avoir un pro Bush dans ton back yard ?
Euh...

Ce ne sera pas une élection facile à expliquer aux étrangers. Pourquoi ce coup de folie dans un pays " si près de ses valeurs " comme dirait M. Martin ? Des valeurs plutôt libérales, anti-guerre en Irak, anti-Bush. Pourquoi ce pays qui tient tant à son système de santé public a élu un type qui n'osera pas le foutre en l'air, mais qui va rêver de le faire avec une vraie majorité ? Pourquoi ce pays assez largement en faveur du droit à l'avortement et du mariage entre conjoints du même sexe s'est choisi un premier minitre résolument contre ? On pourrait continuer comme ça longtemps.

Allez donc expliquer à des étrangers que cette élection a été gagnée par un parti qui ne présentait aucun candidat, et ne proposait aucun programme : le parti anti-libéral. Le parti anti-Pettigrew, anti-Lisa, anti-Co-derre, anti-Garneau, anti-La-pierre, anti-Martin.

Le scandale des commandites ? Les gens ne sont pas allés voter en pensant au scandale des commandites. Les libéraux ne menaient-ils pas dans les sondages au début de la campagne ? Alors quoi ? La performance du gouvernement Martin pendant son court règne ? Pas si mauvaise que ça. Alors quoi ?

Changer pour changer ? Ce n'était pas une de ces élections indifférentes où l'électoral donne son congé à un parti depuis trop longtemps au pouvoir. Un peu, mais hors de l'Ontario, il y avait bien plus que ça. Bien plus d'irrationnel dans l'air. Et même un peu de méchanceté. Un peu de l'atmosphère des arènes (plusieurs lions enragés de ne pas pouvoir bouffer du chrétien). Un peu de l'atmosphère des grands combats de boxe, tiens quand Joe Frazier a fermé la grande gueule de Mohammed Ali d'un méchant crochet de gauche au menton au 15e round. Même si on savait tous que Ali reviendrait pour le battre.

Hier, le Canada - hors de l'Ontario - a voté avec un ressentiment diffus, qui lui est venu tard dans la campagne. Comment expliquer ? Vous est-il déjà arrivé d'ouvrir la télé à deux heures du matin dans une chambre d'hôtel, de tomber sur un match de foot en reprise, de commencer à le regarder distraitement ? Cela m'est arrivé. Aucune idée de qui joue, mais tout d'un coup, je me mets à haïr les blancs. Et yé ! Les blancs se font planter. Je me couche content.

Au retour des Fêtes, le Canada qui jusque-là suivait cette campagne distraitement, le Canada, s'est mis tout à coup à haïr les libéraux. Et yé ! Les libéraux se sont fait planter. Le Canada s'est couché content.

Moi aussi. Même si je ne suis pas allé voter.

J'ai bien failli par exemple. J'y allais, il était autour de midi, je mange un morceau avant en écoutant la radio, Maisonneuve en direct, sauf que c'était Nicoloff. Les élections. L'importance d'aller voter. La même rengaine à toutes les maudites fois. Tous ces clichés comme des cantiques jamais revisités, jamais personne pour se demander, coût'donc, c'tu vrai ?

N'oubliez pas d'aller voter là.
Oui môman.
N'oubliez pas là !
Arrête.
C'est important là.
Tais-toi.

Je pompais en écoutant Nicoloff et ses invités redirent leurs redites.

Y'a des pays où y voudraient aller voter mais y peuvent pas...

Tu me la sors encore une fois, celle-là, pis j'y vais pas.

Ça a pris' moins d'une minute. Nicoloff : dites-moi professeur Machin (de l'Université de Montréal), il y a des pays où le droit de vote n'est pas acquis...

J'ai toujours prétendu que ce prê-chi-prêcha de dernière minute, outre de véhiculer des faussetés, n'a jamais convaincu un seul citoyen d'aller voter. Hier il en a convaincu au moins un de ne pas y aller. Moi.

Vous allez voir, nous serons plus de 20 % à avoir exercé, hier, notre droit démocratique de ne pas voter. Ne vous en déplaise, c'est une opinion.