Le samedi 28 janvier 2006


La mauvaise foi
Pierre Foglia, La Presse

J'ai bien aimé ma soirée d'élections à la télé de Radio-Canada. Même si M. Bernard Derome m'énarve beaucoup, même si son jupon dépasse -- j'ai bien cru qu'il allait pleurer sur la défaite de Mme Frulla --, tous les autres ont été incisifs, éclairants, une belle soirée vraiment. J'ai aimé la victoire des conservateurs, j'ai adoré la défaite des libéraux. Trotskiste un jour, trotskiste toujours ; plus ça va mal, plus ça va bien -- tu t'en souviens Alain Dubuc ? --, plus ça va mal, plus on approche du grand soir, biandera rossa trionfera.

Une belle soirée, absolument. J'attendais en trépignant que roulent les têtes, celle de Garneau, celle de Pettigrew, j'ai même espéré tard dans la nuit que roulerait aussi celle de Lapierre, mais on s'est fait déborder à gauche par un échevelé chauve.

Des fois, ceux de mon camp me font chier plus que ceux de l'autre bord. Il a manqué 2500 voix au candidat bloquiste dans Outremont pour battre Lapierre. Derrière eux, le candidat du NPD en a obtenu près de 7000. Peut-on escompter que s'il n'y avait pas eu de candidat NPD dans Outremont, du moins pas un candiat-vedette comme Léo-Paul Lauzon, une bonne partie de ses 7000 voix seraient allées au bloquiste ?

Quelle urgence y avait-il pour M. Lauzon d'aller faire le jars dans Outremont ? Pourquoi ne serait-il pas allé dans une circonscription sans conséquence, où il aurait eu sa tribune pareil pour passer son message social ? Pensez pas que Lapierre méritait une attention particulière ? Trouvez pas que c'eut été un beau trophée ? Le boss de l'autre gang. Un fighter qui cogne fort à part ça, me semble que ça valait d'essayer de le planter. Il se trouve des gens pour dire que la politique est un sport. Allons donc. Je ne connais aucun sport dont le but est de faire perdre son équipe.

Heureusement, il y a eu Liza pour me mettre en joie. Ah ! Liza ! Liza ! La pasionaria, la divina, la regina, la Lucia di Lammermoor da Verdun (abandonnée de tous), Liza ma compatriote, quoique je n'en sois pas si sûr. Par sa classe naturelle, par sa vaste culture et probablement aussi par sa sauce à spaghetti, elle est pas mal plus la compatriote de Franco Nuovo que la mienne. Je trouve.

Liza, l'amie de tous, même des bloquistes, l'amie des journalistes, l'amie de Radio-Canada, l'amie de la droite et de la gauche, Liza qui veut tellement qu'on l'aime, est-ce pour ça que je ne l'aime pas ? Ou serait-ce parce que je n'arrive pas à faire le lien entre ses poses de châtelaine (d'Abercorn), ses badinages de vedette de la radio et de la télévision et le discours de matante racoleuse qu'elle réserve à ses électeurs ?

Il y a très longtemps, je suis allé dîner avec elle, un dîner d'affaires. Je ne me souviens plus pourquoi, elle était la boss de quelque chose. Anyway, je l'ai détestée sur-le-champ. À l'époque, j'avais de meilleures raisons de lever le nez qu'aujourd'hui, elle était chromée, bronzée, Saint-Sauveur de la tête aux pieds -- au fait, elle est plus jolie aujourd'hui qu'elle ne l'était jadis dans sa version pétard.

Mais, je ne l'aime pas, c'est tout. Quand mes jeunes collègues l'ont unanimement félicitée d'avoir réussi à faire doubler le budget du Conseil des arts, j'en ai boudé quelques-uns. De la mauvaise foi, dites-vous ? Plein. Je déborde de mauvaise foi, surtout en hiver.

Dans ma circonscription ? Dans ma circonscription, les anglophones ont lâché le Parti libéral et Denis Paradis. Ils ont donné près de 8000 voix au conservateur, assurant ainsi une large victoire au bloquiste. Dans la circonscription voisine de Shefford, le Bloc reste en selle malgré une poussée des conservateurs, la libérale Diane Saint-Jacques, sorte de Liza rurale, termine troisième et annonce qu'elle ne se représentera plus. Une autre bonne nouvelle.

Bien sûr, vous allez me dire : de quoi vous mêlez-vous monsieur le chroniqueur puis que vous n'êtes pas allé voter. Ce n'est pas ma faute. C'est Satan. Du moins selon ce lecteur (Pierre Girard) : vous avez laissé Satan envahir votre esprit, ainsi le néant agit parfois sur les êtres de faible nature. Une blague ? Le reste du courriel me dit que ce n'en est pas une. C'est plus distrayant comme ça.

Parlant d'incitation à aller voter, avez-vous déjà feuilleté le guide publié par Élections Canada à l'intention des jeunes qui vont voter pour la première fois ? De l'infantilisme ! Par exemple, grande photo d'un rond avec une croix dedans. Dessous, en gros caractères : J'inscris un X dans le cercle dans le cercle du nom du candidat que je choisis. Ce X indique mon vote... Ah ben ! Plus loin, sous une autre grande photo que je vous laisse imaginer, deux autres lignes : Je dépose mon bulletin de vote dans la boîte de scrutin, je viens de voter ! Yé. Pour finir : Je rentre à la maison et je regarde les nouvelles. J'espère que mon candidat sera élu.

Un étranger qui tomberait sur ce truc se demanderait à quel âge on a le droit de voter au Canada. À quatre ans et demi monsieur.

Merci la vie

J'ai consacré le tiers d'une récente chronique à la solitude. Une première lettre de quelqu'un la célébrant. Une seconde de quelqu'un qui en mourait, qui m'annonçait son suicide pour overdose de solitude. Ne laissez pas les gens seuls, un mot, un geste peuvent changer beaucoup de choses.

Ces chroniques-là, on ne le sait pas quand on les rapaille, mais sont de l'eau versée dans une pompe désamorcée. Il suffit de faire aller deux ou trois fois le bras de la pompe et ça me coule, ça coule, ça n'arrête pas de couler...

Je m'appelle Caroline C., j'ai 33 ans. J'ai des idées suicidaires. Le vendredi 13 janvier -- trois jours avant que soit publiée votre chronique -- mon mari m'accompagnait à l'hôpital Pierre-Legardeur. Merci à l'infirmière au triage qui a pris le temps de me regarder dans les yeux, de mettre sa main sur ma cuisse en me disant que j'allais m'en sortir. Merci à Réal le brancardier qui m'a dit d'un ton bourru qu'il fallait que je m'occupe de moi. Merci aux trois infirmières, Isabelle, Karelle, et Marilou. Merci à mon médecin de famille, le docteur Christine Duguay. Merci au psy Michel St-Hilaire qui m'a dit de ne pas hésiter à l'appeler durant la fin de semaine. Merci à mon mari qui m'a prise au sérieux. C'est vrai qu'un mot, un geste peuvent changer beaucoup de choses.