Le samedi 8 avril 2006


Picotte is kaput
Pierre Foglia, La Presse

À la radio, des femmes parlaient du droit à l'avortement, disaient que ce combat-là était toujours à refaire. J'avais laissé la radio de l'auto ouverte exprès, pour que Picotte ne se doute de rien. Les chats ont l'intelligence des climats, ils sentent l'hostilité, l'attente, les départs, le deuil, l'amitié, l'amour, la mort. Mais ce que les chats sentent le plus, c'est le bonheur. La preuve, quand t'es heureux, il y a toujours un chat qui passe, la queue en l'air. La queue en l'air du chat, c'est la signature du bonheur.

J'ai huit chats, donc, et Picotte était mon préféré. S'cusez, je dis toujours â, j'ai huit chats. D'abord je n'en ai plus que sept. Et ce verbe avoir est complètement ridicule : on a des chiens, mais on est avec des chats. On a avec les chiens un rapport de maître, avec les chats un rapport de planète. Les chats sont des lunes indépendantes qui tournent autour d'un soleil qu'ils ont choisi. Ceux qui sont chez moi tournent autour de ma fiancée. Sauf Picotte, qui tournait autour de moi. Je n'ai jamais très bien su pourquoi, je crois que c'est parce que son système solaire était fucké, une histoire que je vous raconterais bien, sauf que chaque fois que je me répands sur les animaux, le lendemain j'ai des courriels qui me disent : on sait bien, vous aimez plus les animaux que les gens. Ce n'est pas faux, et ça me culpabilise terriblement. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, dans certains domaines, les animaux sont tellement supérieurs à l'homme et même à l'enfant. Quel domaine ? L'amour, par exemple. Les animaux savent quand tu les aimes, alors que les enfants, faut leur dire et leur répéter et leur répéter et pas n'importe pas comment, y a des règles à suivre et des livres de psys à lire. C'est pas simple. L'autre jour, je dis à ma petite-fille : t'es même pas belle. Elle part à brailler, se jette dans les bras de sa mère : grand-papa il a dit que j'étais pas belle.

Picotte, là, je le prenais dans mes bras, pis j'y chuchotais des horreurs dans les oreilles : espèce de faux chatreux, de chahuahua, de coquecigrue à moustache... j'avais même composé une petite comptine, juste deux lignes, que je pouvais y seriner dans l'oreille pendant dix minutes : Picotte is fucked up / Picotte is fucked up... Vous me voyez chanter ça à mes petits-enfants ? Et bien Picotte, lui, adorait, Ronronnait comme un fou. Mettait ses pattes autour de mon cou. Picotte is fucked up. Me mordillait le nez, le menton.

Ce chat-là m'aimait, c'est effrayant. Il savait deux semaines à l'avance quand j'allais partir en voyage et allait se coucher sur ma valise. Avant que je parte pour Turin, je l'avais bien averti de ne pas mourir : tu ne crèves pas pendant que je suis parti, espèce de chat sournois. Tu m'as bien compris ? T'attends que je revienne.

Il a attendu. Il était malade depuis un an. La glande thyroïde. Y a rien à faire. Avec cette maladie-là, ils ont toujours faim, mangent tout le temps et pourtant maigrissent au point de devenir squelettiques. Picotte, on voyait à travers. Je n'y chantais plus Picotte is fucked up. J'y chantais Picotte is kaput. J'ai appelé la vet. C'est pour une euthanasie, docteur.

À la radio, des femmes parlaient du droit à l'avortement, j'avais laissé la radio de l'auto ouverte exprès. Si on était monté en silence, Picotte aurait entendu que je pleurait à plein robinet.

La salle d'attente était si pleine qu'on se serait cru dans un hôpital pour les gens. On faisait la queue à la réception. La dame devant moi tenait dans ses bras un petit chien ridicule qu'elle appelait Carlo. Il a bobo, Carlo ? j'ai demandé pour la niaiser, j'avais le goût de fesser dans le monde entier. Puis ça été mon tour.

Avez-vous rendez-vous ?
Oui.
Le nom de l'animal ?
Picotte.
Ah oui, une euthanasie.
Chut, pas si fort.
Elle est partie avec la cage. Je suis allé m'asseoir et j'ai pensé à rien. Un petit quart d'heure, elle est revenue avec la cage vide et un sac en plastique d'épicerie, Picotte était dedans comme si c'était une pinte de lait et du céleri. Elle dit : ça se peut qu'il bouge encore, c,est les nerfs. Dans l'auto, j'ai pas ouvert la radio. Je guettais le sac d'épicerie du coin de l'oeil, mais il n'a pas bougé.

Ma fiancée l'a enterré derrière un talus où pousseront peut-être un forsythia et des tulipes perroquet si Sophie, la dernière arrivée, une petite chatte blanche adorable et hyperactive, arrête d'aller gratter.

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Pro-Vie

Pour rester dans les histoires de bêtes... Athéna, la chienne d'une voisine, n'a qu'un défaut : c'est un pitbull. Fine comme tout, les enfants lui tirent la queue, les chats dorment dans ses pattes, les autres chiens lui volent ses os, elle vit avec une biquette, un âne et une vingtaine de chevaux qui n'en ont vraiment rien à foutre que ce soit une pitbull, mais pas les gens. Les gens disent : hon, une pitbull !

Elle n'avait jamais eu de petits, mais là, depuis six mois elle en voulait, je laisse Dominique, la voisine en question, vous raconter : « Elle se creusait des nids où elle couvait tantôt un vieux toutou, tantôt une chaussure volée, c'est ainsi que les chiennes passent leurs grossesses nerveuses, alors avant qu'elle vire folle on l'a présentée à un boxer. »

Pour vous dire comme elle voulait beaucoup beaucoup des bébés, elle en a eu 17 !

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Ménagerie

Quelques nouvelles printanières du reste de ma ménagerie. Le chevreuil blanc a survécu à l'hiver, je l'ai vu encore hier. Les ratons foutent le bordel dans le garage, la mouffette n'a pas encore arrosé les chats, je me demande bien pourquoi, et l'autre matin monsieur et madame coyote étaient de sortie, monsieur coyote creusait comme un fou avec ses pattes de devant, a pogné une souris, et l'a déposée devant sa madame, qui l'a mangée.

Regarde comme il est fin, m'a dit ma fiancée en me passant les jumelles.

Fin ? Peut-être qu'il n'aime pas les souris ? Peut-être qu'il préfère les chats.

On a revu aussi la tortue serpentine dans l'étang. Un bestiau énorme et si méchant que le livre des amphibiens et des reptiles du Québec la qualifie de tortue mordeuse et même de tortue hargneuse, si bien que je ne l'appelle plus la tortue, mais la torture.

Et, pour finir, une bécasse. Attendez que je me souvienne, c'était à la radio jeudi, elle annonçait son spectacle pour le soir même au théâtre Corona en disant que son chant distillait en même temps le miel et le sirop d'érable. Ça chante, les bécasses, crisse ?