Le mardi 11 avril 2006


Boxe et nostalgie
Pierre Foglia, La Presse

Samedi je suis allé à la boxe, avec Chapleau, au Casino. Préférez-vous que je vous parle de boxe, du Casino ou de Chapleau ? Chanceux, vous aurez les trois.

Pas grand-chose à dire du combat, le genre dont tu pourrais écrire le compte rendu la veille. Un vieux boxeur intelligent contre un jeune aspirant à la couronne mondiale, 22 combats, 22 victoires. Le vieux boxeur intelligent s'est fait planter, mais justement parce qu'il est intelligent, il s'est retiré avant de se faire vraiment maganer.

Otis Grant a roulé avec les coups pendant sept rounds, il n'est pas revenu pour le huitième. Sage décision. La boxe est plus belle aujourd'hui qu'à l'époque où je ne ratais pas un combat, les boxeurs mieux entraînés, mieux entourés surtout, tout ce qui subsiste de mon temps, c'est la poupoune-au-carton qui monte dans le ring entre chaque round. Mais je ne suis pas contre. Chapleau non plus. Hein, Chapleau ?

Il ne m'a pas répondu, absorbé par le poupoune en question qui sortait justement du ring. Il y a cette seconde très critique où elle se penche et lève la jambe, pour se glisser entre les cordes, juste à cet instant, quand elle lève la jambe, Serge a très peur qu'elle tombe et ne la quitte pas des yeux. Serge ? Serge, j'te parle... Anyway, il est pour. Je suis sûr de ça.

J'étais allé le chercher chez lui dans la Petite Patrie, il habite la maison où il est né et qu'il vient de racheter. Ma fille habite à deux pas de là, dans la même rue, je ne me souvenais plus,mais il paraît que lorsqu'ils étaient petits, je les amenais des fois, elle et son frère, chez Chapleau rue Saint-Denis : « On aimait assez ça, y'avait une machine à boules, y'avait des marionnettes, plein de trucs et de machins, et y'avait déjà Gérard assis dans se chaise berçante. »

Chapleau, c'est Gérard depuis bien plus longtemps et bien plus que vous pensez, c'est la Petite Patrie que je n'ai pas connue mais que je me suis fait raconter... Dans cette maison, les Chapleau vivaient à 12 : aujourd'hui Serge trouve que c'est trop petit pour deux. Ça doit, puisqu'il y vit seul. Les temps changent ? Pas tant que ça, ce quartier en bordure du marché Jean-Talon et de la Petite Italie est en train de redevenir, comme avant, plein d'enfants et de voisins qui se voisinent. Mais bien sûr comme souvent les lieux de souvenir, tout est pareil et pourtant complètement différent. Qu'est-ce qu'il y a donc de changé ?

Toi, Serge. Toi, t'as changé.

Seule fausse note de ce samedi après-midi de boxe et de souvenir, la déprimante traversée du Casino qu'il faut parcourir d'un bout à l'autre pour se rendre au cabaret où est dressée l'arène. Un choc. Voyons, Foglia, t'es donc jamais allé au Casino ? Une fois, il y a 100 ans. J'en avais gardé une image exotique, un peu théâtrale, une ambiance feutrée... Au lieu de ça, on débarque dans une enfilade de salles où s'entassent des machines à sous, même clientèle glauque et variqueuse que celle des bingos, on est très loin de Monaco et tout près de la grosse madame d'à côté de Michel Tremblay.

Le plus déprimant, c'est ce cordon rouge qui relie la plupart des joueurs à la machine à sous. On dirait des malades sous perfusion. Au bout du cordon est attachée une carte de débit que le joueur introduit dans la machine qui peut ainsi pomper le fric directement dans la poche du joueur. Quand on est sorti, la queue des autos s'étirait bien au-delà du pont de la Concorde. Qu'on arrête donc de nous parler d'une attraction touristique, ce n'est pas le touriste qu'on détrousse dans ce bordel d'État, c'est le pauvre.

Une Plogue

Je dis toujours non à ces trucs-là, mais là j'ai dit oui, je ne sais même pas ce qu'est la fibromyalgie, non non ne me le dites pas, anyway, l'association de la fibromyalgie fête son 10è anniversaire le 28 avril à la salle Brébeuf du collège du même nom où Clémence DesRochers donnera un spectacle bénéfice. Ah ben voilà ! C'est pour ça que j'ai dit oui : Clémence ! N'importe quoi Clémence, c'est oui. L'autre dimanche, j'étais à Orford à la manifestation contre un autre projet tout croche de M. Charest, je m'ennuyais un peu. Clémence est apparue sur l'estrade, et tout d'un coup, youppi. J'ai su pourquoi j'étais là : pour défendre le terrain de jeu d'une petite fille qui grimpe aux arbres et s'arrête à tous les noeuds pour dire une drôlerie.

Clémence donne son spectacle au bénéfice de la fibromyalgie le 28 avril, au Collège Brébeuf, à 19 h 30. On peut se procurer les billets (45 $) par le réseau Admission.

La Révolution

Parlant de Clémence, l'autre jour, je suis allé à une manifestation où elle n'était pas, mais elle aurait bien dû ! Qu'est-ce que je me suis embêté. J'exagère. C'était pas si pire. C'était une soirée à la mémoire de Charles Gagnon décédé en novembre dernier. Charles Gagnon, du FLQ première mouture (la seconde en fait), mais surtout d'En Lutte à partir de 1972 jusqu'à la fin, c'est Charles qui a mis la clef sur la porte d'En Lutte dont il était le secrétaire général au début des années 80. C'était mon ami d'avant même le FLQ où je ne l'ai pas suivi. Et après En Lutte aussi, quand il a renoué avec l'humanisme.

Je me suis retrouvé à cette soirée par erreur, je croyais être invité à un truc intime, je suis tombé dans un parti d'ex-En Lutte et de nouveaux -- parce qu'il y en a des nouveaux, qui s'appellent je crois : Bureau international pour le Parti révolutionnaire, sont toujours prolétaires et toujours dogmatiques, imagine, à cette soirée en l'honneur d'un des grands intellectuels de la gauche québécoise, il s'en est trouvé pour le planter, pour le traiter de traître ou presque, ma foi du bon dieu, à un moment donné, je me suis demandé s'ils n'allaient pas le déterrer pour le fusiller drette là. C'était finalement plutôt divertissant, surtout du point de vue anthropologique.

N'empêche. En Lutte a laissé des traces insoupçonnées dans les structures mentales de nombre de nos élites intellectuelles, de la gauche comme de la droite qui y sont passés. Les idées ne sont plus du tout les mêmes évidemment, mais la discipline est restée, la rigueur, et l'efficacité de l'argumentation notamment.

Ça va, Françoise ? Satisfaite de ce premier petit pas ? Qu'est-ce que tu t'es fait planter à cette soirée-là. Ils t'ont même traitée de « bien commun à roulettes ». C'est pas fin, Mais j'ai souri pareil. C'est les roulettes.