Le samedi 15 avril 2006


Les loges du tiède
Pierre Foglia, La Presse

Ben pas moi. Contrairement à Robert Lepage, je ne me sens pas du tout canadien à l'étranger. On me l'a dit mille fois à Angoulême, à Bagdad, à Damas, à Calcutta : Ah, vous êtes canadien. Mais, honnêtement, non. Je ne suis pas canadien. J'insiste : ça ne me dérangerait pas de l'être. Il se trouve simplement que je ne le suis pas.

Mon dernier séjour à Turin, même si je l'ai adoré, me dit aussi que je ne suis plus italien. Mon passeport italien vient d'expirer ; je ne pense pas le faire renouveler. Le passeport canadien est plus pratique.

Et je ne suis plus Français non plus, même si, revenu de mes bibites de fils d'immigré, j'ai aujourd'hui beaucoup de tendresse pour la France. Mais je ne suis pas français. J'y vais assez souvent pour le vérifier dans le détail comme dans la trame. Je pourrais y vivre, mais je m'y trouverais dans un léger décalage qui, pour être exotique, finirait par me lasser. Alors quoi ? Québécois ? Pas beaucoup plus que Michel Tremblay et Robert Lepage. Et pas du tout embarrassé de cette réserve. De cette tiédeur, si vous préférez. Ça ne me dérange pas que vous la nommiez ainsi : tiédeur. Non seulement je la revendique, mais je ne suis pas loin de penser que c'est la moindre des décences et que le monde se porterait mieux si les Américains, les Japonais, les Bulgares, les Ouzbeks, les Israéliens, les Luxembourgeois, les Canadiens étaient américains, japonais, bulgares, ouzbeks, israéliens, luxembourgeois, canadiens avec tiédeur.

Contrairement aux nouveaux philosophes qui voient dans le nationalisme la source de tous les intégrismes, le nationalisme ne m'inquiète pas quand il ratifie un état culturel. Je vous avoue du même souffle que je ne sais pas trop ce que je veux dire par « ratifier un état culturel ». Je choisis ce mot-là -- ratifier -- surtout parce qu'il est drabe et parce qu'il me semble être exactement le contraire d'exalter. Le nationalisme m'inquiète quand il exalte. Il me semble aller de soi quand il ratifie, prend acte, sanctionne.

J'étais d'accord avec tous les gens qui, cette semaine, dans les éditoriaux, dans les tribunes, dans les chroniques, ont dénoncé le nationalisme exacerbé qui sous-tendait les vitrioliques répliques à Michel Tremblay et à Robert Lepage. Mais en même temps j'étais furieux contre ces mêmes éditorialistes, chroniqueurs, fédéralistes de tout poil. Où êtes-vous quand il s'agit de dénoncer le nationalisme canadien, qui se manifeste tout aussi grossièrement , que ce soit ici ou à l'étranger ? Pourquoi ce ridicule complexe de supériorité Canadian ne vous agace-t-il jamais ?

Tous cela pour vous dire que, si je fonde un jour un parti pour remplacer le PQ quand il aura achevé de sombrer, ce sera le parti pour un Québec indépendant mais tiède.

Lettre à une araignée

Félicitations, madame, pour votre courriel de toute dernière minute à la Commission des libérations conditionnelles. Mais, si vous me le permettez, il y avait moyen de vous venger mieux encore. Parce qu'il s'agit bien de vengeance, n'est-ce pas ? S'il s'agissait de justice, vous vous seriez manifestée en même temps que l'autre, ou même avant. Mais vous n'êtes pas du genre à frapper un homme déjà à terre. Vous attendez qu'il se relève en croyant que c'est déjà fini, et là, paf ! c'était pas fini, lalalère.

Reste que vous êtes de la race des araignées ordinaires, un peu hideuse, mais pas assez intelligente pour être vraiment méchante. Il fallait attendre encore, madame. Laisser la Commission des libérations conditionnelles le renvoyer à sa cellule et à sa thérapie, ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire sous la pression populaire. Votre intervention est un peu inutile, à ce moment-ci du processus. Il fallait rester tapie dans votre toile. Attendre encore, disais-je. L'attente est le vrai ressort de la vengeance ; plus il est tendu, mieux il tue.

Attendre quoi ? Sa sortie, madame. Le laisser recouvrer sa liberté. Le laisser émerger de son cauchemar pour mieux l'y replonger. Imaginez la scène : la police arrive chez lui au moment où il s'apprête à fêter son premier Noël en famille.

La foule qui frétille dans votre sillage vous aurait ovationnée, madame. La foule aime la vengeance mille fois plus que la justice. On vous aurait proposée pour la médaille de la gouverneure générale. Évidemment, la télé et la radio à ne plus finir. Un film d'Arcand, sûrement. Un livre. Je peux vous aider, si vous voulez,pour le livre. Si Vastel, qui écrit comme un pied, a vendu plus de 100 000 exemplaires avec l'histoire de l'autre, je vous promets qu'on tapera le million. J'ai déjà le titre : que diriez-vous de La Tarentule ? C'est une sorte d'araignée velue et pattuse. Mais c'est aussi pour la rime subliminale, tarentule.

En attendant de vos nouvelles, votre dévoué, etc.

Italia

J'avais tout faux pour les élections italiennes, du moins en ce qui regarde le vote des Italiens d'ici. Je prédisais qu'ils voteraient massivement Berlusconi, alors qu'ils ont décisivement voté à gauche. Au point où ce sont eux qui ont fait la différence en donnant à Prodi cette majorité au Sénat qui lui faisait défaut jusqu'au dépouillement du vote des Italiens hors d'Italie.

Je ne crois pas pour autant qu les Italiens des États-Unis, d'Australie, d'Argentine et d'ailleurs, mais surtout ceux d'ici, soient de gauche. Quelques universitaires, quelques intellectuels... Mais l'Italien de Saint-Léonard ?

Alors ? Alors l'explication serait celle-ci : ce vote de gauche serait en fait un vote contre « la mère patrie », qui les traite avec mépris et paternalisme, notamment à travers les ambassades et consulats italiens. Il faut être allé une fois dans un consulat italien -- celui de Montréal, par exemple -- pour voir avec telle sidérante hauteur les fonctionnaires traitent leurs compatriotes.

Ce serait aussi un vote contre cette folklorique RAI Internationale (leur TV5), qui leur fait tant honte. Et, me glisse-t-on, enfin, ne vous en déplaise, M. Foglia, il y a aussi que les Italiens d'ici ont beaucoup évolué au contact des autres cultures.

Évoluer ? Vous voulez dire que ce ne sont plus des paysans, ce sont des hommes d'affaires ? Vous voyez là une évolution, vous ?