Le jeudi 20 avril 2006


Perroquet qui Tue
Pierre Foglia, La Presse

Voici quatre ou cinq ans, j'avais écrit quelques lignes sur une dame dont les deux fils, de pères différents, étaient gais. Pour le premier, elle s'était dit : c'est la séparation qui l'a bouleversé... Vous savez comment sont les mères, toujours à se culpabiliser. Pas toujours à tort d'ailleurs. Pour le second, elle a carrément freaké. Mettez-vous à sa place : petit couple straight reconstitué, papa, maman, papa psy à part de ça, bungalow à Laval, stabilité et harmonie. Néanmoins, le jour de ses 19 ans, le second gamin rebondit : maman je suis gai aussi. Pas un, deux ! Qu'est-ce que je fais de pas correct ? m'avait demandé la dame qui s'appelle Françoise.

Je n'en entends plus parler pendant des années, jusqu'au récent congé pascal, Vendredi saint donc, une dame au téléphone : je suis Françoise, la maman des deux fils gais, vous vous souvenez ? Euh, oui, oui, attendez un peu vous là, pas trois ?

Non pas trois. Elle m'annonçait plutôt la mort du premier dont les obsèques avaient eu lieu la veille. Mes condoléances madame, et je suis resté silencieux. Qu'aurais-je pu dire ? Je ne connaissais pas ce garçon, ni sa mère d'ailleurs. Je lui ai parlé une fois au téléphone, il y a cinq ans. Il avait 38 ans, me dit la dame. Ah bon ! Pour être poli, je lui demande de quoi il est mort.

À cause de son perroquet. Il était allergique. C'est une des deux raisons pour lesquelles je vous appelle, je cherche une famille d'accueil pour le perroquet.

Le perroquet qui a tué votre fils ?
Oui.
Et la première raison ?
Retrouver le fils de mon fils. Il y a quelques mois, on a sonné à la porte de son appartement sur le Plateau. C'était un ado, 14 ans, sa planche à roulettes sous le bras : bonjour je m'appelle Karl, tu te souviens d'une Nathalie ? C'est ma mère. T'es mon père... Mon fils ne m'a jamais parlé de ça, probablement pour m'éviter un choc. Il en a parlé à ses amis gais qui m'en ont fait part lors des obsèques. Des courriels en témoignent. Dans l'un de ces courriels, il précise avoir une « preuve génétique » que ce garçon est bien son fils. Malgré toutes nos recherches, sur le portable de notre fils, dans son ordinateur, son courrier, ses papiers dans l'appartement, aucun indice, aucun numéro qui nous renvoie à un Karl, rien trouvé qui nous permette de joindre ce garçon ou sa mère, qui ne serait pas au courant des retrouvailles de son fils avec son père. J'ai pensé aller à l'émission de Claire Lamarche, mais franchement ce n'est pas mon style, alors je me suis souvenue de vous...

C'est gentil de me faire sentir utile. Résumons-nous. On cherche un jeune skater de 14 ans, prénommé Karl, dont la mère, Nathalie, aurait eu une aventure avec votre fils qui s'appelle comment, au fait ?
Patrice Mercier.
Très bien, Patrice Mercier, donc. Qui a été tué par son perroquet, c'est bien ça ? Quel genre de perroquet ?

Un cacatoès blanc à ombrelle.
Pour lequel vous cherchez une famille d'accueil ?
On s'est quitté là-dessus en prenant rendez-vous pour le mardi à l'appartement du défunt.

------------------------------------------------------------

(Petit aparté qui n'a rien à voir, mais quand même un peu. Quand cette dame a téléphoné à la maison vendredi, j'étais en train de lire Le Vol du corbeau, de la Canadienne Ann-Marie McDonald. Un roman de 840 pages. J'étais rendu à la page 300 environ, 300 pages dans lesquelles il ne se passe pratiquement rien même que j'étais un peu tanné. Et soudain le téléphone, et en cinq minutes, dans la réalité vraie, me voilà en présence d'une maman dont le fils gai a été tué par un cacatoès blanc à ombrelle quelques mois après avoir appris qu'il était le père d'un adolescent de 14 ans. Vous le saviez déjà, mais je vous le confirme, la vie (et la mort) écrivent tous les jours des histoires dont n'importe quel auteur hésiterait à faire un roman de peur de se faire dire : franchement, tu trouves pas que tu en mets un peu trop ? Fin de l'aparté.)

------------------------------------------------------------

Mardi matin, rue Chabot entre Gilford et Mont-Royal, dans l'appartement de feu Patrice Mercier. Sont présents, la maman Françoise, son conjoint le psy, beau-père de Patrice, un long monsieur très réservé. Est présent aussi Paul qui a été le compagnon de Patrice. Paul tient la boutique de vélo Bicycles Beaubien. Enfin, est hyper présent Colonel, le foutu cacatoès blanc qui a tué Patrice, hyper présent parce qu'il crie comme un dément -- un cri qui tient du croassement et du vomissement. Ça ne fait pas 10 minutes que je suis là qu'il a dit 20 fois bonjour colonel, bonjour colonel, et j'ai déjà pris la décision que, no way, je ne demanderai pas à mes lecteurs d'adopter cet insupportable volatile.

Paul raconte qu'il vivait encore avec Patrice, il y a sept ou huit ans, quand Patrice est tombé amoureux de Colonel dans un pet shop quelconque. Il a fini par le ramener à la maison, devenant son esclave. Les cacatoès blancs sont des magnifiques oiseaux, mais très dépendants, exclusifs, despotes affectifs qui exigent une attention permanente. Asthmatique, Patrice était allergique à l'espèce de poudre que produisent des oiseaux pour se paraffiner les ailes. Cent fois on lui recommanda de se départir de la bête. Il n'en était pas question, malgré les crises et les suffocations. C'est en allant porter sa demande de passeport qu'il s'est écroulé dans la rue. Quand Urgences Santé est arrivé, il était mort cérébralement, ayant manqué d'oxygène pendant 20 minutes. Sa soudaine disparition a stupéfait ses parents, ses amis, ses collègues de travail (il travaillait à l'Agence métropolitaine de transport). Averti par les parents, Paul est arrivé en courant pour prendre soin de Colonel en attendant...

Paul et Patrice se donnaient des nouvelles de loin en loin. Le dernier courriel de patrice à Paul remonte à janvier ; ces quelques extraits ; Je suis toujours à l'AMT, toujours gestionnaiiiiiiiire... je dois aller en Espagne cet hiver rejoindre mon père... Ah ! oui, j'ai découvert que j'avais un fils, il est venu sonner à ma porte, il m'a demandé : Nathalie, ça te dit quelque chose, genre y'a 14 ans ? Ça fait drôle ! On s'est revu quelques fois... à part ça je fais ma vie avec Colonel toujours aussi beau, aussi gentil et aussi criard...

Paul me confirme que ce n'est pas une bonne idée d'offrir Colonel dans le journal, il va s'en occuper.

Pour Karl, l'ado allait voir son père de temps en temps, il y a un message collé sur la porte de l'appartement, avec un numéro de téléphone. C'était la meilleure chose à faire. Cela m'étonnerait qu'il lise le journal. Je veux bien faire ma part en lançant un appel à toutes les Nathalie qui ont un fils de 14 ans qui s'appelle Karl et qu'elles auraient conçu avec un certain Patrice Mercier. Pas de panique, il est mort. Tué par son perroquet. Mais la grand-mère aimerait bien voir l'enfant.

------------------------------------------------------------

Deuxième aparté qui n'a rien à voir non plus, je demande comme ça à Paul qui fut l'amant de Patrice, vous, vous n'avez pas d'enfants bien entendu ?

Ah si !, j'en ai deux. Un garçon et une fille. J'ai donné mon sperme à une coupe de lesbiennes , des amies très proches qui se sont fait inséminer. Je connais les enfants et ils me connaissent et tout est bien, je suis le père sans l'être vraiment.

À la maison, j'ai repris la lecture de mon roman au paragraphe où je l'avais quitté, des courges et des citrouilles s'amoncelaient dans les paniers aux portes du marché IGA, l'air matinal sans être frisquet était suffisamment frais... c'est pas mal écrit, mais je trouve que ça manque beaucoup de perroquet.