Le samedi 6 mai 2006


Taisez-vous, citoyens
Pierre Foglia, La Presse

Prenez M. Harper. Je vais finir par l'hayïr, c'est sûr, il va contre toutes mes convictions, mais pour l'instant comment ne pas applaudir la manière et la posture ? Je ne me souviens pas d'un premier ministre aussi droit à la barre, et qui tienne le cap avec autant d'assurance.

Maintenant prenez M. Charest. Les deux hommes partagent les mêmes valeurs néolibérales, la même vision de Canada, je ne crois pas que M. Charest soit moins intelligent que M. Harper. Cherchez l'erreur ! Comment, à l'envers de M. Harper, M. Charest se débrouille-t-il pour faire de lui-même une perpétuelle catastrophe ?

Prenez le mont Orford. Qu'avait-il besoin d'aller livrer sur le flanc de cette modeste montagne une bataille hautement périlleuse ? Je viens de dire de M. Harper qu'il est droit à la barre. M. Charest, lui, est raide, braqué, tout de suite sur ses ergots. Toute son attitude a l'air de dire : gueulez tant que vous voulez, moi, je gouverne. D'une histoire de condos, il a réussi, en se braquant, à faire une Cause.

Moi qui ne signe jamais rien, j'ai signé la pétition. Moi qui ne vais plus aux manifestations pour ne pas y entendre M. Boisvert, je suis allé à Orford. Pourtant, au départ, ce n'est pas une histoire qui me prend aux tripes. je suis résolument contre la vente d'une partie du parc du Mont Orford à des intérêts privés, mais bon, je n'irais pas me coucher sur le chemin pour empêcher les bulls d'aller dévierger la montagne. Je n'en reviens pas des proportions que prend cette histoire, mais en même temps M. Charest, par sa posture, n'arrête pas de me pomper très énormément.

Toute son attitude a l'air de dire : gueulez tant que vous voulez, vous ne savez même pas pourquoi vous gueulez.

Je vous demande bien pardon, monsieur. Je n'en fais pas une Cause mais, à Orford, vous remettez en cause un principe d'aménagement du territoire auquel je tiens. Je vous explique. Le parc du Mont Orford est en partie constitué de terres qui ont été cédées par des fermiers riverains à la communauté, dans un esprit de conservation. Ce faisant, ces fermiers donateurs n'ont pas seulement fait un beau geste. Ils ont lancé une pratique, planté une idée qui tourne autour de la prise en charge par des citoyens de leur environnement immédiat, dans un esprit de sauvegarde du territoire plutôt que de développement touristico-industriel.

Il est arrivé un peu la même chose chez moi, enfin pas loin de chez moi. Le mont Pinacle était menacé d'un projet débile. Les gens qui luttaient contre ce projet se sont fait dire par les promoteurs : si vous la voulez, la montagne, vous n'avez qu'à l'acheter ! C'est ce qu'ils ont fait en partie. Un groupe -- une fiducie -- d'environ 125 citoyens (j'en suis) ont donné 1000 $ chacun pour acheter une petite partie de la montagne. aux terres acquises sont venues s'ajouter des servitudes de conservation, c'est-à-dire des terres pratiquement données, comme à Orford, par des fermiers du coin. Ce n'est pas ce qui a empêché le projet, reste qu'il s'agit, comme à Orford, d'un exemple de prise en charge par les citoyens de leur environnement immédiat. Les terres de la fiducie, entretenues et aménagées pour l'écotourisme (avec nos cotisations annuelles), sont accessibles à toute la communauté.

À la différence de notre fiducie, Orford est un parc, mais il a été constitué dans le même esprit d'implication des citoyens et de conservation du territoire. Et vous, M. Charest, vous débarquez avec vos gros sabots sur nos sentiers et vous nous dites : j'en ai rien à foutre de vos petites merdes citoyennes, tassez-vous que je construise mes condos.

On comprend bien que vous menez un gouvernement très à droite, démocratiquement et assez massivement élu, et on s'attend effectivement à ce que vous construisiez des centrales hydroélectriques sur tous les foutus ruisseaux de la province, on s'attend à ce que vous leviez le moratoire sur les porcheries, on s'attend à ce que le Conseil du patronat n'en finisse plus de vous applaudir, on s'attend à ce que vous bulldoziez les employés de la fonction publique, mais on n'attend pas à ce que vous soyez arrogant en plus.

Ce disant, je ne pense pas au mont Orford, le mont Orford relève plus de la bêtise que de l'arrogance. Parlant d'arrogance, je pense au projet de loi no 9 tout récemment déposé par la ministre déléguée aux Transports, Mme Boulet.

Que je sache, l'énormité de la chose n'a pas encore été relevée. Le contexte : fin 2004 une juge donne raison aux 600 familles riveraines de la piste du Petit Train du Nord qui se plaignaient du bruit que font les motoneiges. La juge a interdit la circulation des dites motoneiges sur une section de la piste (entre Saint-Faustin et Labelle). Jugement qui fait date au sens où, pour une rare fois, la qualité de la vie des citoyens a prévalu sur l'industrie habituée à s'approprier l'espace public au nom du progrès et des jobs.

D'autres s'apprêtaient à faire valoir, eux aussi, leur droit au silence, mais M. Charest s'est dépêché d'apporter des modifications à la Loi sur les véhicules hors route, interdisant tout recours judiciaire portant sur le bruit et les émanations produits par ces véhicules. Je comprends qu'un recours judiciaire peut être abusif, mais illégal ? Anyway, la mesure valait jusqu'en mai 2006. Le projet de loi numéro 9 la prolongera jusqu'en 2011 !

Pourquoi s'arrêter là ? Pour les 10 prochaines années tout recours judiciaire contre la contamination des sols par le lisier de porc devrait être interdit. Cela compléterait bien la levée du moratoire sur les porcheries. Pour les 10 prochaines années tout recours judiciaire contre la construction domiciliaire dans les zones vertes est interdit. cela mettrait fin au zonage agricole qui empêche tant le progrès.

Le style de M. Charest est contenu tout entier dans ce projet de loi qui impose le silence. Taisez-vous, citoyens, qu'on entende les moteurs.