Le vendredi 4 août 2006


Un sport à la mode
Pierre Foglia, La Presse

Le plus bel événement sportif des Outgames? Le triathlon, hier matin, à l'île Notre-Dame. Super-ambiance. Les chialeux de gradins vides seront contents: y avait du monde! Pas 30000 spectateurs, mais assez pour faire du bruit. Parents, conjoints, amis qui avaient emmené des amis. Ambiance super, et le décor aussi. Elle est jolie, l'île Notre-Dame au petit matin, encore un peu décoiffée des orages de la nuit. Du côté du bassin d'aviron, on se croirait dans la vaste cour d'un château: même impérieuse symétrie.

L'ambiance, le décor et le niveau de la compétition. Ce triathlon tout à fait olympique - un kilomètre et demi de natation dans les eaux un peu suspectes du bassin, 40 kilomètres de vélo sur le circuit Gilles-Villeneuve et 10 kilomètres de course à pied - ce triathlon s'est gagné en 2h05. On est plus près ici de l'élite que du récréatif. Participaient des Allemands, des Anglais, des Néerlandais, des Mexicains, des Irlandais, des Français, des Danois, des Tchèques, des Australiens, beaucoup d'Américains... Mais c'est un Sherbrookois qui a gagné. Martin Lacasse, 33 ans, entraîneur à l'Université de Sherbrooke, un petit look militaire - il l'est, d'ailleurs. Militaire et hétéro. Il y est allé du refrain habituel sur le respect des différences et sur l'inclusion, à peu près dans les mêmes termes que dans les discours officiels, mais donnons-lui qu'il avait l'air très convaincu.

À la question «qu'êtes-vous venu faire ici?», la réponse de Martin: «C'est bien d'aller défendre la démocratie en Afghanistan, mais il faut voir aussi au respect des différences, dans notre propre cour.»

Absolument sincère. Il n'est pas venu courir un triathlon de plus. Il est réellement venu participer aux Outgames avec sa femme, Elvy Lapointe, fier de faire la promotion des droits et libertés au paradis même des droits et libertés: le Canada.

Mettons que, demain matin, je me lancerais dans une carrière tardive de triathlète, c'est pas lui que j'irais me chercher comme coach. D'après moi, il ne sait pas où est le stash de testostérone. Ce n'est pas du tout un reproche. Ça prend de tout pour faire un beau et grand pays comme le nôtre.

Qu'allais-je vous dire? Ah! oui: vous savez, ce recueil de mes chroniques du Tour de France, que les éditions Vélo Mag ont sorti il y a deux ans? Le monsieur qui en a fait la conception graphique et qui a choisi la typographie courait le triathlon, hier. Patrice Francoeur. Je me suis dit tiens, c'est une bonne occasion de le remercier.

Il a fini septième. 2:22:05, battu par un Anglais. Il a raté par 5 secondes la médaille d'or des 40 ans et plus. On a parlé un peu de triathlon et, mine de rien, comme la conversation tombait: dites Patrice, vous ne m'avez pas trouvé trop chiant quand on a fait ce livre?
A-t-il hésité un instant? Il a dit non.
Il m'a annoncé qu'il courrait le marathon demain. Je trouve qu'on vit des temps extrêmes. Un triathlon le jeudi. Un marathon le samedi. Et Foglia à mettre en page le dimanche. C'est beaucoup, non?

UN SPORT TRÈS IN - Ce n'est pas un hasard si le triathlon des Outgames a été un grand succès. Cela n'a rien à voir avec les gais. Cela a à voir avec le triathlon, le sport qui monte, un sport à la mode comme le fut le marathon au milieu des années 80. On parle beaucoup de l'effet Whitfield. Septembre 2000, première épreuve des Jeux olympiques de Sydney, première fois que le triathlon est au programme olympique. À la surprise générale, le Canadiem Simon Whitfield, après une remontée spectaculaire dans le 10 km, remporte la médaille d'or. Le triathlon au Canada aurait décollé à partir de là. Il y a eu aussi Peter Reid, qui vient de prendre sa retraite, trois fois vainqueur de l'Iron Man à Hawaii, encore que ses formidables exploits soient restés bien confidentiels... Sait-on comment arrivent les modes?

Voilà un sport exigeant qui demande de s'entraîner dans trois disciplines différentes - natation, vélo, course à pied -, un sport qui attire pourtant une clientèle qui justement n'a pas tellement le temps de s'entraîner: jeunes cadres, profs, jeunes professionnels. Un sport qui séduit aussi les ados, qu'on dit allergiques à l'effort. Un sport qui coûte cher. Juste le vélo, c'est 3000 en partant...

Les trois enfants de Jocelyne Mercier - elle officiait pour la fédé hier sur le circuit - ses trois enfants font du triathlon. La plus vieille, 15 ans, est en sports-études au centre national de triathlon de Trois-Rivières. Juste pour elle, c'est 12000.

Mercredi, Bruny Surin, dont les deux gamines font du tennis, nous disait qu'il n'en revient pas comme ça coûte cher.

Un luxe, le sport? Et je ne vous ai pas parlé du prix des vitamines.

LE RESPECT - Encore hier, sur le site du triathlon, j'ai pu vérifier que ces Outgames ont été portés à bout de bras par les fédérations sportives. Hier encore, j'ai vu des officiels pinailler sur des détails comme si c'était les championnats du monde. Mais, au lieu de s'en irriter, les athlètes l'ont pris comme une marque de respect. Et c'en était, du respect.

On s'est beaucoup gargarisé de grandes formules, mais ce que j'ai vu de plus admirable à ces jeux, c'est le professionnalisme avec lequel les compétitions ont été tenues et dirigées par les officiels, chronométreurs, commissaires, arbitres, annonceurs, préposés au sautoir, ou à la cage des lanceurs, pour la plupart des petits mononcles super straight qui ont fait leur job avec gentillesse, mais sans condescendance et avec la même rigueur qu'aux championnats canadiens.

Pour moi, le succès des Outgames est d'abord dans l'imperturbable sanction apportée par ces petits mononcles straight à ces jeux dont ils ont fait des jeux comme les autres, olympiques, panaméricains, peu importe. J'ai vu des préposés au sautoir vérifier avec leur tape que la barre du saut à la perche était bien à 1,95 m. Il faut savoir que, au saut à la perche, 1,95 m, c'est au-delà du ridicule (même sans perche, 1,95 m, c'est rien pour écrire à sa mère, alors avec une perche!).

Bref, demandez-leur. Les athlètes gais ont été profondément touchés d'être respectés d'abord comme... athlètes.