Le samedi 16 septembre 2006


Remets ta culotte, mon coeur
Pierre Foglia, La Presse

J'arrive du salon où était exposée Émilie Mondor, cette jeune athlète qui s'est tuée dans un accident de la route dimanche dernier.

J'ai beaucoup pensé à elle et à ses parents toute la semaine. Comme toujours dans ces cas-là se mêle à la peine un sentiment de colère. On est bien sûr impuissant devant la mort, mais on l'est doublement devant la mort par accident.

Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi à cet endroit ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Il n'y a pas de réponse. C'est un ac-ci-dent.

Cette chronique ne parlera pas d'Émilie. Ni de cette jeune femme morte cette semaine dans des circonstances beaucoup plus dramatiques qu'Émilie mais tout aussi inexplicables. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Il n'y a pas de réponse. C'est un accident aussi.

Cette chronique parlera de l'Accident.

Ou plutôt de sa négation.

Notre idéal social tourne beaucoup autour de cette idée d'une société sans accident. Comme il est impossible de supprimer l'accident, il reste à le nier. Comment ? En lui donnant un sens. Par définition, l'accident n'a aucun sens. Si on lui en donne un, si on en invente un, si on plaque un sens sur ce qui en a pas, ce n'est plus un accident.

Cette quête du sens a commencé dès les premières minutes du drame de Dawson. Qui a-t-on convoqué ? Qui a-t-on vu arriver en courant ? Les psys. Avez-vous déjà entendu un psy dire « ça n'a aucun sens » ? Cela irait contre sa pratique. Quand il n'y a pas de sens, les psys en fabriquent. Ils ont aussitôt lancé des pistes, les médias les ont explorées en recourant à d'autres experts, à d'autres fabricants de sens.

Revoyons, si vous voulez, les grandes fabrications de Dawson.

D'abord les armes. On a presque immédiatement visé M. Harper et son gouvernement, qui, on le sait, ne veulent pas du registre des armes implanté par les libéraux, registre imposé par un lobby qui s'est formé après la tuerie de Polytechnique. On a montré du doigt M. Harper, disais-je, presque comme un criminel.

Alors que, tout au contraire, cette tuerie souligne à l'évidence l'inutilité de ce registre des armes, du moins son inutilité pour empêcher ce genre de tuerie. Rappelons-le, les armes du tueur étaient légales et dûment inscrites au registre. Preuve de l'absurde que ce foutu registre ne sert foutrement à rien. Je m'excuse, le plus absurde, n'est pas cela. Le plus absurde, c'est que, si on avait refusé au tueur ce permis d'arme, combien on parie que, maniaque de fusils comme il l'était, il s'en serait procuré un quand même ?

Quand on a su que les armes étaient enregistrées, oups ! terrain miné. C'est pas les armes. C'est les goths ! Pour vous dire, je pensais que c'était surtout les filles. Je pensais que la goth était l'épouse du punk, sinon son épouse, qu'elle partageait son habitat au coin de la rue, comme la mouffette partage l'habitat du raton laveur. Je pensais que, lorsqu'ils deviennent adultes, les goths organisent ces déplorables festivals médiévaux. Déplorables, mais qui n'ont jamais tué personne.

Après que quelques profs de quatrième secondaire qui ont des goths dans leur classe -- c'est un trip de quatrième secondaire -- eurent pris leur défense en racontant qu'ils étaient trop endormis pour être tannants, les fabricants de sens se dit bon, si c'est pas les goths, alors c'est leur musique funèbre.

À la fin des années 70, j'étais un fan de Joy Division (New Order par la suite) -- probablement le premier groupe gothique de l'histoire du rock -- et de son chanteur, Ian Curtis, qui s'est suicidé à 23 ans. J'écoute encore parfois leur très bel album Closer à la pochette on ne peut plus macabre. Je n'ai pourtant jamais eu envie de massacrer personne. Même, une fois, j'ai été invité comme conférencier à un congrès de psys à Québec et j'ai complètement oublié d'apporter ma Kalachnikov.

Si ce n'est pas la musique, c'est leur style heavy metal en général, d'abord... T'es ado -- attardé dans le cas du tueur de Dawson -- t'es ado, t'habites Fabreville, à quel modèle culturel vas-tu t'identifier ? Qu'est-ce qui est le plus loin de la culture de tes parents (surtout s'ils sont Indiens en plus d'être straights) ? Quel style est le plus éloigné de l'ordonnancement propret de duplex jumelés de Fabreville ? Qu'est ce qui est le plus loin, comme dirait Zappa, du stupid-white-male-person-conservative-kind-of-the-road-cotton-undegarment ? Bref, qu'est-ce qui est le plus loin de Fabreville ?

Le style heavy metal.

Dans un reportage de mon collègue Alain De sur les hauts lieux du heavy metal à Montréal (la boutique Rock'n'Stock rue Crescent, aujourd'hui fermée), les clients qu'il avait interviewés étaient tous de Fabreville (j'exagère un peu, mais c'est parce que vous ne comprenez rien quand je n'exagère pas du tout).

Bref, ce garçon était peut-être d'origine indienne, mais avoir le goût de l'ironie macabre, on pourrait proposer ce fils d'immigrés comme modèle d'intégration réussie. Je veux dire qu'il était de Fabreville et qu'il était heavy metal, tu ne peux pas être plus de Fabreville que ça.

J'arrive du salon où était exposée Émilie Mondor, cette jeune athlète qui s'est tuée dans un accident de la route dimanche dernier. J'ai pensé à elle toute la semaine jusqu'à ce que cette autre jeune femme se fasse tuer dans la cafétéria du collège Dawson. Une morte en chasse une autre. Pourquoi elle ? Pourquoi là ? Pourquoi comme ça ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?

Il n'y a pas de réponse. C'est un ac-ci-dent.

J'y reviens, notre idéal social tourne beaucoup autour de cette idée d'une société sans accident. Comme il est impossible de supprimer l'accident, il reste à le nier. Comment ? En lui donnant du sens. Par définition l'accident n'a aucun sens. Si on lui en donne un, si on lui en invente un, ce n'est plus un accident.

Quête du sens qui est venue avec l'État-prévoyance. Enregistre ton arme, mets ton casque, ne fume pas, ne mange pas de gras, n'écoute pas de musique morbide, n'engueule pas tes enfants, ne va pas sur les sites pornos, ne délire surtout pas. Et bientôt, on va aller vérifier ce que tu écris dans ton blogue. Parce que ce n'était pas un accident. C'était son blogue.

Il n'y a plus d'accident. Tous les maux de l'homme viennent de l'homme. Il n'y a plus d'individu. Il y a un être social interdépendant du système de santé, du système de sécurité, du Grand Système de merde lui-même. Mets ton casque et ferme ta gueule.

J'arrive du salon où était exposée Émilie, qui s'est tuée alors que son auto est rentrée dans un arbre. Ma question : faut-il couper l'arbre ?