Le vendredi 3 novembre 2006


Le chrono de Lance
Pierre Foglia, La Presse

Non, ce n'est pas moi qui couvrirai le marathon de New York. C'est mon collègue Simon Drouin que vous lirez dans ces pages à partir de demain. Oui, je suis toujours en vacances (jusqu'à Pâques), mais il m'arrive de lire mes courriels et une question y revient si souvent ces derniers jours que je ne peux pas vous laissser comme ça dans le noir.

La question: selon vous, M. Foglia, en combien de temps Lance Armstrong courra-t-il le marathon de New York, dimanche?
Réponse: 2 h 54.

Ha ha! Vous pensiez que j'allais vous répondre je sais pas! Deux heures et 54 minutes, oui madame, prenez note.

Il y en a même un qui m'a demandé: pensez-vous que Lance Armstrong va gagner le marathon de New York?
Il ne finira pas dans les 200 premiers, monsieur.

Le jeu m'a d'abord agacé. Toutes ces revues «people» avec leur page how fast can Lance do? Tous ces gens qui n'ont jamais couru un kilomètre et qui vous lancent des «2h58» comme si c'était une recette de pot-au-feu: laissez mijoter environ trois heures... J'ai un ami qui travaille à Wall Street et qui me disait qu'on pariait ces jours-ci sur le temps de Lance Armstrong jusque sur le plancher de la Bourse.

J'étais là quand Armstrong a parlé publiquement pour la première fois de courir le marathon de New York. C'était sur les Champs-Élysées en juillet 2005, il venait de franchir la ligne d'arrivée du Tour de France pour sa septième et dernière victoire. Lance, vous êtes maintenant à la retraite, qu'allez-vous faire?

Redevenir un homme ordinaire, nous a-t-il répondu (c'est un peu raté, je trouve, pour l'ordinarité!), redevenir un homme ordinaire, m'occuper de mes enfants, continuer de ramasser des fonds pour lutter contre le cancer, donner des conférences et courir le marathon de New York l'an prochain.

Pourquoi un marathon?
C'est quelque chose qu'il faut avoir fait une fois dans sa vie.
En combien temps pensez-vous le courir?
2 h 30!

Holà cowboy... Remarquez que Armstrong pourrait sans doute courir un marathon en 2 h 30, mais à condition d'y consacrer tout son temps et de s'entraîner avec la même détermination que pour le Tour de France. Or, Armstrong ne veut plus de cette vie d'ascète: j'ai déjà donné, dit-il, je vais peut-être courir d'autres marathons après celui de New York, peut-être même un Ironman, mais pour m'amuser.

Armstrong n'imaginait pas que sa retraite serait aussi occupée à sillonner l'Amérique et le monde, conférences, bonnes oeuvres, événements pour ramasser des fonds pour le cancer (les Livestrong Challenge) et retour dans son jet privé pour passer le week-end avec les enfants.

Bref, Lance a dû revoir ses prévisions à la baisse ou à la hausse selon le point de vue, plus le départ approche, plus il ajoute des minutes, de 2h30 il est passé à 2h45, puis à 2h55, puis à 3h, le voilà maintenant qui prétend que cela ne le dérangerait pas de finir «in the middle of the pack».

Lance Armstrong est tout ce qu'on veut, sauf un athlète «in the middle of the pack». Quelque 37 000 coureurs au départ, 34 000 à l'arrivée, il ne sera pas au milieu, vous pouvez être certains.

Pourrait-il surprendre tout le monde en courant sous les 2 h 40?
Non. Et je suis prêt à parier là-dessus.
Armstrong pourrait-il dépasser les trois heures?
C'est fort possible. Et cela resterait une performance respectable. Rappelons ici que pour courir un marathon en trois heures, un homme normal doit y consacrer énormément d'énergie, de temps et de discipline. Armstrong n'est pas un homme normal, sa capacité pulmonaire, son rythme cardiaque, sa production d'acides lactiques à l'effort ne sont pas ceux d'un homme normal. Reste que le moteur ne suffit pas... Il faut le faire tourner. Personne, même le plus surdoué des athlètes, même Armstrong, ne peut courir 42 kilomètres sur sa valeur... intrinsèque.

Pourquoi j'avance 2h54? Parce que c'est un peu moins que 2h55. L'an dernier, un autre glorieux retraité du peloton du Tour de France, le Français Laurent Jalabert, a couru ce même marathon de New York en 2h55 min 39 s. Et je suis presque sûr que c'est le chrono que Armstrong aura en tête au départ dimanche matin. Il déteste Jalabert et je connais assez le moineau pour savoir que planter Jalabert une fois de plus, lui ferait un beau dimanche.

LA VRAIE COURSE - Mon collègue Simon Drouin vous en dira plus demain, mais sachez tout de même tout de suite que ce marathon de New York, c'est beaucoup plus que Lance Armstrong. C'est le Kényan Paul Tergat, vainqueur d'un souffle l'an dernier, actuel détenteur du record du monde (2h04 min 55 s). C'est le Sud-Africain Hendrick Ramaala, un avocat de Johannesburg, vainqueur à New York en 2005, troisième à Londres cette année (2h06 min 55 s). C'est l'Italien Stefano Baldini, actuel champion d'Europe et champion olympique. Ce sont trois ou quatre autres Kényans, Rodgers Rop, Daniel Yego, William Kipsang, Daniel Cheribo. C'est un Éthiopien, Hailu Negussie, et c'est peut-être aussi un Américain d'origine érythréenne, Meb Keflezighi, médaille d'argent à Athènes, derrière Baldini.

Parmi les absents, les trois meilleurs mathoniens de l'heure, Gebreselassié, meilleur chrono cette année (2h05 min 56 s à Berlin), et les Kényans Felx Limo (vainqueur à Boston et Chicago) et Sammy Korir (2h06 min 39 s à Rotterdam).

Chez les filles, trois favorites, l'Américaine Deena Kastor, meilleure performance de l'année (2h19 min 36 s) au marathon de Londres qu'elle a gagné. La Kényane Catherine Ndereba, dite la grande Catherine, qui a gagné quatre fois le marathon de Boston, deux fois celui de Chicago, argent à Athènes... Et la Lettone Jelena Prokopcuka, la gagnante en 2005.

PARLANT MARATHON - Le marathon de New York est-il le plus populaire de tous les marathons? Si par populaire vous entendez la masse des marathoniens, la réponse est oui et de très loin. Pour l'ambiance, pour les millions de gens sur le parcours, pour Harlem, pour le Bronx, pour les ponts, pour l'arrivée à Central Park, pour les millions de spectateurs le long de parcours, pour New York quoi. Et plus encore depuis le 11 septptembre 2001.

Après New York, Paris. Et après Paris, une curiosité: le marathon du Médoc (dans les vignes du bordelais), une organisation complètement débridée paraît-il, dégustation de vin et d'huîtres sur le parcours, des marathoniennes en robe, mais seulement 6000 entrées. Puis, Stockholm pour la beauté du parcours. Puis, Disney World, à Orlando, pour le trip familial. Puis, Dublin pour les Irlandais et les pubs. Enfin Comrades, en Afrique du Sud, pour l'aventure, mais ce n'est pas un marathon, c'est un peu plus de deux! Cinquante-cinq milles exactement (91 km), les 55 milles qui séparent Durban de Pietermaritzburg...

Pour les coureurs de la «petite élite», l'élite de la masse- les chronos entre 2h40 et 3h15- le marathon fétiche, le vrai de vrai, l'unique, c'est Boston.

Pour l'élite pure et dure, pour les pros, pas vraiment de préférence. Les meilleures bourses sont à New York (13 000 $ au vainqueur) et à Chicago et à Boston, mais la bourse n'est pas le seul facteur, cela dépend aussi des primes de départ, et peut-être plus encore du parcours... l'élite ira de préférence aux parcours les plus faciles, Rotterdam, Berlin, Chicago, Londres qui se prêtent aux grandes performances, voire aux records qui mènent aux contrats juteux avec les équipementiers.

Parlant de chaussures, les plus portées par les marathoniens de tous calibres: Asics et New Balance, loin devant Nike, Brooks et Saucony. Pour les Européens: Asics, New Balance et Adidas, loin devant Mizuno, qui vient avant Nike, Puma et Reebok.

PARLANT MUSIQUE - La revue Runners (aussi bien dire la Bible) a mené une enquête pour savoir ce qu'écoutaient les marathoniens dans leur iPod (60 % des marathoniens américains courent en musique). les 10 tounes les plus écoutées: Beautiful Day (U2), Lose Yourself (Eminen), le thème de Rocky, Running On Empty (Jackson Browne), Runnin'Down a Dream (Tom Petty), Born to Run (Springsteen), Pump It (Black Eyed Peas), Eye Of the Tiger (Survivor), Back in Black (AC/DC) et, ô misère!, le thème de Chariots of Fire.

PARLANT DU CANADA - Il était une fois un marathonien canadien qui a couru un marathon en deux heures et 10 minutes (2h10 min 9 s exactement), on le félicite, il s'appelait Jerome Drayton. C'était en 1975. Personne n'a fait mieux depuis. 2h10 min 9 s, c'est toujours le record canadien. Pour vous donner une idée, juste cette année, une cinquantaine de marathoniens dans le monde ont fait mieux que 2 h 10 min. Pas un au Canada en 30 ans. Depuis le début des années 2000, seulement cinq Canadiens sous les 2h20. Mais, bon, on gagne des médailles olympiques en trampoline, on ne peut pas être bons partout.

La Fédé canadienne d'athlétisme vient de nommer un recruteur-entraîneur (Hugh Cameron) chargé de prendre le marathon canadien en mains. On lui souhaite bien du plaisir.

Même désert du côté des filles. Sauf que le marathon canadien féminin a connu son heure de gloire dans les années 80-90 avec une demi-douzaine de coureures dans les 2 h 30, presque toutes québécoises, Lysane Bussières, Jacqueline Gareau, Carole Rouillard, Odette Lapierre, Hélène Rochefort, le record canadien est toutefois détenu par une Ontarienne, Silvia Ruegger, 2h28 min 36 s.

À signaler les 2h29 min 42 s de Lioudmila Kortchaguina au marathon d'Ottawa ce printemps. Lioudmila, 35 ans, venait tout juste d'obtenir sa nationalité canadienne.