Le samedi 16 décembre 2006


La mauvaise sortie
Pierre Foglia, La Presse

D'abord redire de Mme Myriam Bédard, avant que cela ne s'engloutisse dans la glauque actualité, redire qu'elle fut une très très grande athlète. Vous le saviez ? Mais non, vous le savez pas. Avant 1994, on n'était pas cinq dans toute la province à s'intéresser à ses résultats. En 94, aux Jeux de Lillehammer, elle gagne le 15 km et le 7,5 km, les deux épreuves reines du biathlon en battant les filles de l'Est, Allemandes, Bulgares, Ukrainiennes, qui étaient en principe sans rivales dans ce sport d'inspiration militaire. Comme d'habitude le Québec s'investit tout entier dans sa nouvelle championne, et, comme d'habitude, la consume en moins de trois mois. À la fin de l'été de la même année, je m'amuse, pour les fins d'une chronique, à demander aux gens, comment elle s'appelle, déjà, la fille qui a gagné deux médailles d'or à Lillehammer ?

Euh...

Alors le redire pour qu'on le sache bien : avant de faire une folle d'elle dans le scandale des commandites, avant d'être subjuguée par un gourou, avant de voir des terroristes partout, avant d'être recherchée pour l'enlèvement de sa propre fille, Myriam Bédard a été une très grande athlète. L'égale ou presque de Guy Lafleur ! Ciel, comme vous y allez, monsieur le chroniqueur. C'est qu'on n'a peut-être pas la même culture sportive. Juste pour vous situer, dans mon « Hall of Fame » personnel, les plus grands athlètes du Québec des 40 dernières années se déclineraient dans cet ordres : Guy Lafleur, Gaétan Boucher, Pierre Harvey, Myriam Bédard et Caroline Brunet.

Redire aussi, pour ajouter une dernière touche au portrait de l'athlète, que Mme Bédard est une championne à l'ancienne, en ce sens qu'elle n'est pas le produit d'un système. Le sport canadien n'avait pas de système à l'époque (il vient tout juste de s'en donner un avec Vancouver pour objectif). Mme Bédard s'est faite toute seule, contre sa fédération, contre les structures et les fonctionnaires en place, et c'est dans cette adversité qu'elle s'est forgé la formidable assurance qu'on lui voit maintenant.Mme Bédard n'a jamais douté de rien. Surtout pas d'elle-même.

Quel intérêt à faire aujourd'hui le portrait de Mme Bédard en athlète ? Si elle avait été coiffeuse au lieu d'athlète d'élite, l'eussé-je montré en coiffeuse ? Probablement pas. Il y a cependant une différence. Si tu veux, tu peux être coiffeuse toute ta vie. Athlète d'élite, tu peux pas. Même si tu veux. À un m'ment donné c'est fini. Il faut retourner à la vie civile. La transition n'est pas si facile, la sortie pas si évidente.

C'est là toute l'histoire de Mme Bédard qui a pris la mauvaise sortie.

Je reprends : une transition difficile. Physiquement d'abord, dans les premiers mois de sa retraite, l'athlète est carrément en manque d'adrénaline. Et après six mois, un an, survient la petite crise identitaire : si je ne suis plus un athlète, qui suis-je ? Quelques-uns contournent le problème en restant dans le milieu comme entraîneur, comme cadre dans les officines du sport, tandis que d'autres, très nombreux, annoncent... leur retour ! Ils tiennent alors à peu près tous le même discours, ils reviennent pour achever ce qu'ils ont commencé, ils ne veulent pas avoir de regrets. En fait, ils sont dans le déni : ils n'acceptent pas que ce soit fini.

Passage délicat. Une petite mort, carrément. J'ai quelques fois abordé ce sujet avec la plongeuse Sylvie Bernier (la marraine spirituelle d'Alexandre Despatie), médaillée d'or à Los Angeles, un exemple particulièrement éclatant de transition réussie. Je le lui répète chaque fois qu'on en parle : vous devriez donner des ateliers sur ce sujet, madame, vous n'imaginez pas les services que vous rendriez. Elle me répond, et elle a bien raison,que ce n'est pas affaire de recette.

Bref, si la plupart des athlètes finissent par s'en sortir, quelques-uns capotent dans une dépression plus ou moins grave, plus ou moins permanente. Je crois que c'est ce qui est arrivé à Mme Bédard.

Dans les quatre années qui ont suivi son triomphe à Lillehammer, Mme Bédard a fait une pause pour mettre au monde une fille, celle-là même qu'on l'accuse aujourd'hui d'avoir enlevée. À son retour de maternité, elle est ralentie par des problèmes de glande thyroïde. On la devine aussi moins pressée de s'entraîner, plus assise sur le confort que lui a apporté sa célébrité, bref aux Jeux de Nagano en 1998, elle n'était que l'ombre de la championne de Lillehammer. Ce qui en soi n'est pas un drame. Elle n'avait plus rien à prouver à personne. Elle termine 50è. C'est ce qu'elle vaut à ce moment-là, sauf que ce n'est pas ce qu'elle dit. Elle ne dit pas : j'ai fait ce que j'ai pu, merci bonsoir. elle dit : je n'avais pas les bons skis, je n'avais pas la bonne cire.

Ils disent souvent ça quand ils perdent, sans y croire vraiment. Elle si. Et elle ne nous ment pas. Elle se ment. C'est le début des folies. Elle annonce plus ou moins sa retraite, puis son retour en... patinage de vitesse. On a été quelques-uns, à ce moment-là, à se dire, cout'donc, est-elle en train de capoter ? On n'était pas si loin.

Puis elle va rencontrer ce gourou échevelé vers lequel tout le monde se tourne aujourd'hui : c'est de sa faute. Mais non ! Celui-là ou un autre. Mme Bédard n'est pas une victime. Ni une pauvre fille qui fait pitié, comme le disait son ex-employeur à VIA Rail (Jean Pelletier). Mme Bédard est une très grande athlète qui a complètement raté sa sortie.