Le mardi 19 décembre 2006


Pour une anthropologie dogmatique
Pierre Foglia, La Presse

C'est une blague, je ne suis ni pour ni contre l'anthropologie dogmatique. Il se trouve seulement que je suis en train de lire un article d'un philosophe français (Legendre) qui en appelle à la constitution d'une anthropologie dogmatique capable de repenser l'Occident comme objet anthropologique, et comme je me cherchais un titre pour cette chronique, je trouve que celui-ci a beaucoup de classe, Pour une anthropologie dogmatique...

C'est toujours mon problème avec ce genre de chronique disparate : le titre. J'ai cent choses à vous dire, toutes minuscules, je vais vous parler d'un dentiste, d'une vache qui pète, d'un encadré, d'un chanteur et, à la fin, je vais devoir chapeauter l'une de ces vétilles d'un titre sur cinq colonnes dont j'aurai honte le lendemain en ouvrant le journal. Alors que celui-là, pour une anthropologie dogmatique, c'est bien, non?

L'ÉTÉ ÉTERNEL

L'autre jour, à la une de mon journal, il y avait des vaches, des superbes Holstein noires et blanches. L'article de mon confrère François Cardinal commençait ainsi : «Par leurs pets et leurs rots, les vaches contribuent davantage au réchauffement climatique que l'ensemble des camions et des autos. L'élevage des bovins constitue même l'un des plus grands fléaux environnementaux de la planète».

Ce n'était pas une grande nouvelle, la FAO le dit dans tous ses rapports depuis au moins 30 ans, l'article a pourtant eu un effet boeuf, mon collègue a reçu des tonnes de courriels qui lui criaient des noms, les radios du matin se sont bien amusées, et un presque voisin, chroniqueur politique récemment passé à la concurrence, s'est même dit «agressé dans sa ruralité», la ruralité de ce grotesque connard consistant essentiellement à regarder pousser ses quatre pieds de vigne et à idolâtrer les vaches du voisin pour le besoin, si j'ose dire, de son blogue.

Cela dit, je vous informe qu'à une semaine de Noël, il y a toujours une demi-douzaine de Hereford dans mon champ et qu'elles en sont fort aises. C'est ce que je leur expliquais encore hier, pétez et rotez mes belles, et réchauffant ainsi la planète vous pourrez pâturer toute l'année. On ne dira plus que les hirondelles font le printemps pour la bonne raison qu'il n'y aura plus de printemps, les vaches nous auront fait un été éternel.

CHANTE-MOI UNE PETITE CHANSON

Ah! ah! me niaise un lecteur en m'envoyant une copie des articles de journaux et de revues françaises qui saluent le talent de Pierre Lapointe.

Quoi? Je n'ai jamais douté que la France ferait un triomphe à ce jeune homme. La France a déjà fait un triomphe à Yves Duteil et Yves Duteil rime tout à fait avec Venez à pied ou à dos de corneille/Venez vite boire le liquide vermeil. Je me contrecrisse de ce que disent les Français, monsieur. Dans la vie, j'ai un gros problème avec le liquide vermeil. J'ai un gros problème avec Yves Duteil. J'ai un gros problème avec les mots quand ils sont si bien placés qu'ils ne peuvent plus respirer, j'ai un problème avec les jardins japonais, avec les petits soldats bien alignés sur la grande place, j'ai un problème avec la pouaisie en rang, et, avant d'avoir un problème avec vous, je vais vous dire un truc dont vous allez pouvoir vous servir pour me traiter de con : non seulement Duteil, mais Brassens aussi, je suis pas capable. Pas capable la chanson française des années 50, 60, et 70, sauf, vous allez rire, Aznavour pour trois ou quatre chansons un peu quétaines et pourtant presque parfaites dans ce qu'elles montrent, La Mamma par exemple.

Voyez bien que je suis un con. Mais je me soigne. Par exemple, Moffatt. Je ne l'avais jamais vue et ce que j'entendais, bof. Je l'ai vue en fin de semaine à Belle et Bum. Et monsieur, y'en a dans ce petit pot-là. La fille gagne beaucoup à être entendue de visu.

LE DENTISTE TROP PETIT

Je voudrais maintenant attirer votre attention sur le dernier film de Woody Allen, Scoop, une comédie gentillette et un peu nunuche, sauf en version originale avec sous-titres français. En fait, ce film est surtout à lire pour les dialogues de Woody Allen. Rappelons que Allen Stewart Konigsberg de son vrai nom est un des grand maîtres de l'absurde et devenu cinéaste précisément pour cela; en fait, il aurait préféré être dentiste, mais, confie-t-il dans Dieu, Shakespeare et moi, j'étais trop petit. Outre l'ouvrage cité, à lire aussi chez le même éditeur (Virgule, Laffont) Destins tordus, et Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la culture.

N'importe lequel de ces trois petits livres (pas du tout récents) vous fera mesurer ce qui sépare l'humour du festival du même nom, tout en vous expliquant la subtile différence qu'il y a entre un enterrement, une crémation et un week-end à Saint-Hyacinthe.

LES ENCADRÉS

Je ne déteste pas les encadrés qui agrémentent les entrevues et les longs articles et nous évitent ainsi de les lire en nous les résumant. Par exemple, dans une entrevue, son CD préféré, sa couleur préférée, sa destination préférée, son émission de télé préférée, qu'a-t-on besoin de savoir de plus, je vous le demande.

J'ai sursauté en fin de semaine quand, dans un de ces encadrés, à la question quel est votre livre préféré, la vedette dont on tirait le portrait a ingénument répondu: je n'ai JAMAIS lu un livre au complet. Tout ce que je lis c'est le journal de temps en temps.

Je ne vous dirai pas de qui il s'agit, ce n'est pas l'idée, notons seulement que c'est quelqu'un de bien connu, en particulier connu des jeunes garçons et des ados qui vont se faire une joie de rapporter à leur professeur, ou à leurs parents : pourquoi devrais-je lire? Chose n'a jamais lu un livre de sa vie, pis y'est cool pareil.

Jamais Maurice Richard ou Boum Boum Geoffrion n'auraient dit un truc pareil, ou s'ils l'avaient dit, jamais le journaliste ne l'eût écrit. Par respect. Pour les protéger contre eux-mêmes. En ces temps-là, il y avait encore une gêne à dire qu'on n'avait jamais lu de livre. Il n'y en a plus aucune. On a franchi une étape.

Je ne vous dis pas oh là là comme c'est épouvantable. Je vous dis seulement que la prochaine étape pourrait bien être une société sans livres. Ce qui ne veut pas dire sans lecture. Il y aura toujours, Dieu merci, les encadrés (et les blogues).